Dire que Nathanaël était nerveux aurait
été un grossier euphémisme. Le jeune homme était en proie à un stress
épouvantable qui broyait sa poitrine et ses poumons. Il sautillait à travers la
pièce, essayant vainement de calmer les pulsations affolées de son cœur. Deux
coups à la porte le firent violemment sursauter. Il vit alors la tête d’Ael
passer dans l’entrebâillement et ses yeux s’écarquiller.
-
Tu as
encore défait ta cravate ! lança-t-il sur un ton de reproche.
-
J’ai
l’impression d’étouffer ! répliqua Nathanaël, paniqué.
-
OK, à moi
de jouer.
Son ami referma la porte derrière lui et
lui offrit un sourire réconfortant avant d’attraper la cravate rouge qui gisait
sur un accoudoir. Il souleva le col de son ami et fit glisser l’instrument de
torture autour de son cou. Sans un mot, il ajusta les plis et noua délicatement
l’étoffe en prenant garde de ne pas trop serrer le nœud. Puis il leva un regard
pétillant de bonheur sur son ami.
-
C’est un
grand jour…
-
Oui,
mais… tenta Nathanaël.
Il sembla alors se raviser et se tut.
Soucieux de découvrir ce qui tourmentait son ami, Ael l’encouragea doucement à
se confier.
-
J’ai
tué…
L’ex-agent lui prit l’épaule pour
l’inviter à s’asseoir. Son ami lui
découvrit le poignet, celui où les oiseaux d’encre semblaient prendre leur
envol vers la liberté, débarrassés de leur gangue de chair. Nathanaël eut un
sourire douloureux.
-
Même mon
père, je l’ai tué. Elles
ne cessaient de me parler, nuit et jour, j’en devenais fou. J’étais si affaibli
que j’obéissais à leurs ordres dans le seul espoir qu’elles se taisent. Azela
est devenue mon unique protection contre elles… Est-ce normal d’épouser une
personne uniquement parce qu’on ressent le besoin viscéral de l’avoir à ses
côtés ?
Ael réfléchit un moment aux paroles de
son ami. Il allait répondre quand Nathanaël se leva brusquement, comme monté sur des ressorts.
-
Mes
meurtres ont réduit ma famille en lambeaux, j’ai blessé les personnes qui
comptaient le plus pour moi. J’ai assassiné mon propre père, je t’ai étranglé… Alors… Pourquoi,
Ael, ai-je le droit au bonheur ? Est-ce juste ? Je suis un
assassin ! Chaque nuit, je revois leurs visages, mais tu sais le
pire ? Ils sont si paisibles…
-
Nat’…
Ael referma ses bras sur son ami dans une
étreinte protectrice. Nathanaël se rendit alors compte qu’il pleurait.
De peur…
De doute…
-
Evidemment
que tu as droit au bonheur, lui chuchota le père d’Antoine en passant une main
rassurante dans le dos du futur marié. Comme chaque être humain sur cette
terre. C’est juste que, toi, tu as été frappé d’un fléau incommensurable, qui
t’a rongé durant de longues années. Maintenant que l’as vaincu, Nat’… Ne
lui fais le plaisir d’empoisonner ton esprit. Tu es une personne formidable qui
aime profondément sa femme, qui aura des enfants magnifiques et qui mènera une
vie heureuse. Je le sais, je le sens… parce que tu as la force de faire de
tes espoirs les plus fous une réalité.
-
… Tu
le penses vraiment ?
-
J’en suis
persuadé.
Ael se recula et plongea son regard dans
le sien. Il y voyait toute sa détresse, mais aussi son désir… Celui de
rendre celle qu’il aimait plus heureuse que n’importe quelle autre femme. Parce
qu’elle avait trop souffert, elle avait maintenant l’obligation de vivre, de
vivre pleinement.
-
Tu en as le
pouvoir, lui murmura Ael en encadrant son visage entre ses mains. Tu le peux,
je le sais. Tu comprends, non ?
-
Mais… mes
meurtres…
-
Ils sont le
fruit de quelque chose qui a dépassé ton entendement. Et j’en suis
désolé… J’aurais dû faire plus pour toi… J’aurais dû être plus présent,
mais…
-
Ne dis pas
ça ! s’exclama vivement Nathanaël. C’est toi qui venais le soir me voir,
c’est toi qui m’a toujours donné la force d’avancer ! Je serais
véritablement devenu fou sans toi.
-
Et moi, à
cette heure, je serais mort dans un caniveau, soi drogué soi poignardé,
peut-être même les deux. Tu as fait la même chose avec Azela… Tu es ce
genre de personne.
Il enleva ses mains de ses joues et
ajouta, un beau sourire aux lèvres.
-
Ce bonheur
est tien.
Marielle était extrêmement mal à l’aise.
Vêtue d’une courte robe verte, elle se balançait d’un pied sur l’autre alors
que ses yeux parcouraient l’assemblée qui lui faisait face. Elle vit Ael
trottiner le long de l’allée pour venir à ses côtés.
-
Mon martyr
préféré, sourit-elle d’un ton à la fois taquin et piquant. Cela faisait bien
des années.
-
En effet,
Marielle. Mais ça va, tu ne m’as pas manqué du tout.
-
Sale
gosse…
-
Policière
timbrée.
Ils échangèrent un regard entendu puis un
petit sourire vint étirer les lèvres du jeune homme.
-
J’ai appris
que tu étais en couple, lui confia-t-il.
-
Plus pour
longtemps, rectifia la jeune femme dans une grimace éloquente. Ce mec était
trop lourd à supporter.
-
Quelqu’un
d’autre en vue ?
-
Quelqu’une,
en fait.
Un petit rire incrédule échappa des
lèvres d’Ael. Marielle se détendit quelque peu.
-
Au fait, je
suis repassé au motel, il n’y a pas longtemps… lui apprit-elle.
-
Le
motel ?
-
Celui où tu
avais fui avec ton chéri, il y a sept ans.
-
Ça remonte,
sourit tendrement le garçon.
-
On avait
oublié sa voiture sur le parking.
-
Ah
oui ?
-
Ouais… Et
elle y est toujours.
-
C’est
vrai ?
-
Aussi
étonnant que cela puisse paraître, ouais. Je l’ai ramenée, elle est sur le
parking dans la rue d’à côté.
Ael voulut ajouter quelque chose, mais le
maire lui jeta un regard peu avenant. Il trouvait que ces témoins faisaient un
peu trop de bruit. Marielle haussa un sourcil. La cérémonie n’avait même pas
encore commencé, il n’allait pas lui chercher des noises longtemps,
celui-là !
Nathanaël entra, suivi comme de son ombre
par Antoine qui l’escorta fièrement jusqu’au bout de l’allée. Puis il courut se
réfugier en riant dans les bras de papa Cinaed.
La future mariée fit enfin son entrée.
Azela resplendissait. On dit que le
bonheur rend les femmes belles… Alors elle devait être heureuse, vraiment
très heureuse. Elle était au bras de son grand-père qui souriait, les larmes
aux yeux. Et elle… Ses
lourdes boucles brunes cascadaient sur ses épaules et ses yeux étincelaient.
Elle était discrètement maquillée, juste un peu de mascara et un coup de crayon
pour accentuer l’éclat de ses iris verts. La tenue qu’elle portait n’était en
rien traditionnelle. Elle avait choisi une robe d’un rose un peu parme qui
dévoilait ses mollets fermes. Et, chose peu commune, elle allait pieds nus.
C’était ainsi qu’elle se sentait le plus à l’aise, portant simplement en guise
d’unique bijou un ruban qu’Antoine avait attaché à son poignet au début de la
cérémonie.
Nestor finit par la quitter doucement. Il
la serra contre son cœur un court instant avant d’aller s’asseoir aux côtés
d’Anaïs Arra qu’il considérait autrefois comme sa pire ennemie, elle qui avait
commandé à la brigade. Azela sourit nerveusement à son amant puis à son témoin
qui la rassura d’un doux geste de main squelettique.
Le silence se fit, et le maire prit la parole.
Cinaed écoutait attentivement. Il croisa alors le regard de son amant qui
étincelait. Tous deux se sourirent. Dans l’assistance, Edda grondait gentiment
Siméon qui avait replongé son nez dans un livre. Quant à Antoine, il avait vite
glissé des genoux de son deuxième papa pour aller faire plus ample connaissance
avec Julie et Gof.
Le maire continuait son discours quand le
premier téléphone sonna. C’était celui d’Edda. Elle grimaça une excuse et
sortit précipitamment de la salle. Le deuxième fut celui d’Ael. Il consulta
l’écran en fronçant les sourcils, glissa quelques mots à son ami qui acquiesça
et le laissa filer. Au passage, Ael invita Anaïs Arra à le suivre. Cette
dernière coupa son portable et se leva. Cinaed fronça les sourcils. Que se
passait-il ? Thérèse ne tarda pas non plus à se lever, suivie de Siméon.
Inquiète, Azela se tourna vers Lizzie. Cette dernière ferma son portable à son
tour avec un minuscule sourire.
-
Le devoir,
souffla-t-elle. Pas de problème, ils seront de retour d’ici une à deux heures.
Greuz les attendait à l’extérieur. Tous
s’engouffrèrent dans sa camionnette.
-
Prêts ?
leur sourit-il.
Anaïs Arra se tourna vers son équipe.
-
Quelle est
la cible ? demanda simplement Ael en chargeant son revolver de balles
tranquillisantes.
-
Un des
nôtres a été repéré en train de faire usage de ses pouvoirs pour braquer une
bijouterie. C’est à nous d’agir, jeunes gens.
-
Type ?
-
Télépathe.
-
Un travail
pour moi, se réjouit Siméon.
-
Seulement
quand tu n’as pas école, lui rappela Edda en toute bonne tutrice qu’elle était.
Arra eut un sourire. Elle se coula sur le
siège passager du véhicule et se tourna vers Greuz.
-
Allons-y,
chauffeur !
-
Comme vous
voudrez, madame !
-
La brigade
est de nouveau opérationnelle !
La nuit était tombée depuis des heures
maintenant. La mission de la brigade, devenue un détachement spécial de la
police n’intervenant qu’en cas de problème avec un hybride, s’était déroulée
sans anicroche. Tout le monde était revenu à temps pour se restaurer pleinement
au buffet froid et se déchaîner sur la piste de danse, ayant de l’adrénaline à
évacuer. Maintenant, il était temps de rentrer. Antoine avait supplié ses pères
pour avoir l’autorisation d’aller dormir chez Julie et Gof ; ils avaient
finalement accepté. Maintenant seuls, Ael avait entraîné Cinaed à sa suite sur
un parking.
-
Marielle
m’a dit qu’elle l’avait garée dans le coin… Ah, la voilà !
Malgré l’obscurité, Cinaed reconnut tout
de suite sa vieille voiture, celle avec laquelle il avait fui en emmenant Ael
dans son sillage.
-
Incroyable,
je la pensais à la casse depuis le temps… murmura-t-il.
-
Visiblement
non. Marielle m’en a confié les clés, elles sont à toi, je pense.
Il les lui tendit. Emu, le dessinateur
recueillit le trousseau. Il hésita un moment puis déverrouilla la portière
arrière. Une odeur abominable de renfermé lui sauta à la gorge, mêlée à une
autre, plus ténue, chargée de souvenirs. Il repéra une tache sombre sur le sol,
celle qu’avait formé le sang d’Ael lorsqu’il avait été blessé par le coup de
couteau. Ael se glissa sur le siège passager avec un sourire.
-
J’ai
l’impression de faire un saut dans le temps, avoua-t-il.
-
Moi
aussi…
Cinaed avait toujours la même
odeur… Un fumet rassurant de
feu de bois… L’agent d’Arra frotta doucement son nez contre celui de son
amant pour un baiser esquimau tout doux.
-
Ça
chatouille… chuchota le frère de Gabrielle.
Ael émit un petit rire. Il se sentait
juste… bien. A sa place. C’était une sensation extrêmement plaisante. Il sourit
doucement à son amant.
-
Tu crois
qu’il est encore ouvert ?
-
Ce Formule
1 ? C’est à des kilomètres de là !
-
J’ai déjà
demandé à Thérèse si elle voulait bien garder le bout pour deux, trois jours.
Ça ne la dérange pas…
-
…
-
Tu ne veux
pas ?
-
Si. Mais
c’est moi qui conduis !
Ael rit de nouveau. Cinaed s’installa
derrière le volant avec un sourire. Comme il y a sept ans… Sauf que cette
fois-ci, pas de fuite, juste un voyage. Pas de tension, pas de peur, juste de
la sérénité et cette foi en l’avenir.
Et une flamme qui brûlait avec plus
d’ardeur que jamais.
Lizzie avait longuement hésité avant de
pénétrer en ces lieux. Elle avait erré dans le crépuscule, à travers des rues
vides de toute présence, sans but, sans réfléchir. Voir celle qui avait
autrefois juré de la tuer si heureuse, si épanouie, lui avait rappelé que son
bonheur à elle lui était interdit. Il lui avait été ravi sans sommation, sans
avertissement. Le jour où elle avait cru le toucher, ses doigts n’avaient en
réalité fait qu’effleurer une illusion qui avait claqué comme une bulle de
savon, laissant derrière elle l’eau amère de ses propres larmes.
Maintenant, elle était là, sur le parvis
de ce bâtiment, à se demander si cela servait réellement à quelque chose. Mais,
il y avait des moments dans la vie où l’on se sentait si impuissant qu’on ne pouvait
qu’espérer une aide supérieure.
Pourquoi pas celle-là, alors…
La jeune femme ne se souvenait pas de la
dernière fois où elle était allée à l’église. L’ambiance particulière de ce
genre de lieux l’avait toujours mise mal à l’aise. Quand elle remonta l’allée,
elle croisa plusieurs personnes en position de prière, à murmurer fiévreusement
quelques paroles. S’agenouillant à son tour, Lizzie joignit les mains et ferma
les yeux. Elle ne connaissait aucune prière, pas même le Pater. Elle se sentait
un peu ridicule, mais le silence apaisant de l’endroit la rassura. Alors,
doucement, des mots lui vinrent et elle les murmura :
-
Peut-être
ne m’écouterez-vous pas, car vous me dites lesbienne et que vous condamnez mon
amour. Mais je ne demande rien, Seigneur, juste que Gabrielle puisse vivre de
nouveau. Vous nous avez dit d’aimer notre prochain, alors ça, vous nous l’avez
bassiné, vous qui êtes censé être paix et amour. J’aime Gabrielle, Seigneur,
oui, je l’aime, autant que Cinaed aime Ael, autant que Nathanaël aime Azela.
Vous m’avez pris mon aimée, vous la gardez jalousement près de vous… Mais je
vous en supplie, relâchez-la, je ne veux pas la perdre, pas une nouvelle fois.
Mon cœur et ma raison ne sauraient le supporter. Je sais que j’ai péché, de
nombreuses fois, même, mais je vous implore… Sauvez-la…
Elle essuya les larmes qui roulaient sur ses joues.
-
Je l’aime,
Seigneur.
Azela contempla un long moment son amant
qui était en train de défaire sa cravate en maugréant. Elle sourit, mais ne
bougea pas pour l’aider, le laissant s’empêtrer avec le nœud. La journée avait
été… merveilleuse. Parfaite, oui, le mot s’y prêtait. La cérémonie l’avait liée
définitivement à l’homme qu’elle aimait. Ensuite, ils avaient longuement dansé,
des slows langoureux et des farandoles endiablées. Nathanaël s’était assuré que
leurs chansons préférées passeraient. Ils avaient ri, mangé, bu, parlé… Un
sentiment de sérénité l’avait envahie en début de matinée et elle le sentait
encore diffuser sa chaleur à travers son être.
Son regard se porta une nouvelle fois sur
son homme. Elle se mordit la lèvre inférieure, un grand sourire aux lèvres. Son
mari… Elle avait encore du mal à croire qu’elle s’était enfin mariée… Elle
sentit soudain le matelas s’affaisser légèrement sous le poids d’une charge
supplémentaire. Azela se tourna vers Nathanaël qu’elle dévora des yeux. Il
avait un charme indéniable et une gentillesse incroyable. Si elle en était là
aujourd’hui, c’était uniquement grâce à lui. Elle, cette fille apeurée,
écoeurée par sa propre nature. Elle qui l’avait si longuement repoussé
sèchement et qui maintenant dépendait totalement de lui. Il lui avait fallu
longtemps pour arriver à la faire sortir de sa coquille, mais, à force de
patience et de tendresse, elle avait enfin accepté. Elle avait arrêté son jeu
manipulateur et s’était ouverte à lui, totalement, elle s’était montrée dans
toute sa vulnérabilité. Alors, il l’avait approchée, doucement, toujours pas à
pas, inoffensif et bienveillant. Elle avait l’esprit en miette, la foi
piétinée, la confiance brisée et il l’avait tout simplement reconstruite.
D’abord en rassemblant les tessons d’elle-même pour ensuite les assembler dans
un pénible puzzle.
Elle lui devait tout…
-
Je t’aime,
lui murmura-t-elle d’un ton brûlant.
Nathanaël lui sourit, de ce sourire
sincère et si bon.
-
Merci,
Azela. Moi aussi, je t’aime.
-
Tu te rends
compte que notre rêve va enfin pouvoir devenir réalité ? Avoir une
famille, un foyer, vivre comme n’importe quel humain normal… Plus d’elles, plus de brigade, plus de fuite…
-
Et notre
casier judiciaire définitivement effacé. Merci à Arra et à ses agents.
-
Oui, ce
qu’ils ont accompli… extraordinaire.
-
Un beau
cadeau de mariage.
-
Oui.
Azela se mit à quatre pattes et marcha
jusqu’à son amant qu’elle encercla de ses bras.
-
Tu sais,
j’aurais un souhait pour notre vie future, un parmi les autres…
-
Ah
oui ? chuchota-t-il en déposant de fugaces baises papillons sur la gorge
offerte.
-
J’aimerais
que Gabrielle se réveille.
Nathanaël se redressa légèrement, l’air
songeur.
-
Oui… ce serait
bien. Mais elle est plongée dans un coma surnaturel dû aux pouvoirs de Greuz.
Nous ignorons si elle en sortira un jour, ou, si elle en sort, quel sera son
état à son réveil…
-
Tu te
demandes si elle ne sera pas dans un état végétatif ?
-
Hum…
-
Nat’ ?
-
Oui ?
-
On parle
d’autre chose ? C’est notre nuit de noces, tout de même !
-
Hé, c’est
toi qui as lancé le sujet !
-
Pas
faux !
Elle rit doucement contre son cou, le nez
plongé dans la chair tendre et chaude. Elle courba l’échine pour loger son
menton sur la clavicule, l’oreille collée contre la gorge de son amour. Elle
pouvait entendre les pulsations lentes de son cœur… Elle ferma les yeux et
se laissa bercer par ce son sourd qui la ravissait.
Boum…
Nathanaël n’osait pas bouger, le souffle
pratiquement coupé. Il adorait l’odeur de ses cheveux…
Boum…
Il sentit une pression sur ses épaules
qui l’obligea à basculer sur le lit. Azela se coucha en travers son corps,
l’oreille collée sur sa poitrine, à l’affût du son…
Boum, boum, boum…
Le bruit s’était emballé. Elle sourit
avant de se redresser, féline, joueuse.
-
My sweet
love… susurra-t-elle.
Il lui tendit les bras dans un sourire,
elle s’y réfugia. Ils demeurèrent un moment immobiles, goûtant à la présence
silencieuse et rassurante de l’autre. Puis, doucement, leurs mains commencèrent
un long ballet. Ce n’était pas des caresses, les doigts effleuraient à peine la
peau, mais cette sensation voluptueuse, semblable à un souffle d’air, les
électrisait. C’était au premier qui craquerait, au premier qui céderait à cette
délicieuse torture. En général, Azela gagnait toujours. Mais, ce soir-là, aucun
n’eut la patience d’attendre bien longtemps. Très vite, les mains se firent
plus appuyées, plus aventureuses, plus amoureuses.
Et alors commença véritablement leur nuit
de délices.
Lizzie dormait, recroquevillée dans un
fauteuil. Quand Anaïs passa la voir, elle constata sa respiration calme et
sereine, mais les larmes séchées qui brillaient encore sur ses joues.
Doucement, la jeune femme se saisit d’un tissu dont elle recouvrit Lizzie.
Grâce aux gants de cette dernière, le tissu ne s’effrita pas à son contact.
Anaïs se redressa et s’avança doucement
vers le lit où dormait toujours Gabrielle. Elle consulta les résultats de son
activité cérébrale et dénota une certaine anomalie. Elle fronça les sourcils.
Que signifiaient les piques dans la courbe ? Intriguée, la dirigeante de
la nouvelle brigade se posta face au lit. Le coma de cette gamine l’intéressait
depuis longtemps, mais, jusque-là, elle n’avait jamais été au-delà de ses
interrogations car Lizzie était extrêmement possessive vis-à-vis de son aimée,
si bien qu’elle n’avait eu guère d’occasion de l’approcher. Là, cette courbe
piquait sa curiosité. Elle prit une profonde inspiration… et ses yeux virèrent
entièrement au noir. Aussitôt, elle sentit qu’on “l’arrachait” à son corps.
C’était comme être projeté très violement en avant tout en étant retenue par
des chaînes solides. Mais elle finit par briser le lien avec son enveloppe
corporelle. Son environnement avait changé. C’était toujours le même lieu, mais
les couleurs lui semblaient toujours plus vives, plus vivantes… Elle
adorait ce monde parallèle. Lentement, elle s’approcha vers le corps et
distingua faiblement entre les couvertures une lueur dorée. Un sourire vint
s’inscrire sur les lèvres de la jeune femme. Elle avait trouvé…
La plaie causée par le pouvoir de Greuz.
Sans la moindre hésitation, elle y
plongea. Elle se fit aspirer par l’âme de Gabrielle. Aussitôt, ses sentiments
l’assaillirent. Elle s’y attendait, mais pas avec une telle force ! Elle
vacilla sous leur pression, s’efforçant néanmoins d’avancer. Elle s’arma de ses
propres pensées pour repousser celles qui tentaient de l’ensevelir. Elle
ressentait de la peur… énormément… Mais aussi de la force, de la
volonté… Soufflée, Anaïs se laissa guider par elle. Elle longea un long
couloir. Elle pouvait sentir des ondes parcourir les parois pour repousser
toute sensation négative. Bientôt, les ombres se détachèrent des pieds de la
jeune femme pour se laisser mourir à terre.
Au fond de ce tunnel se trouvait une
jeune femme nue, recroquevillée sur elle-même. Les yeux clos, elle luttait,
empêtrée dans une infinité de fils. Anaïs observa un moment cette pièce et
remarqua les dégâts. Déjà, des liens avait été arrachés, signe de la lutte sans
merci qui se menait ici.
La dirigeante de la nouvelle brigade prit
une immense bouffée d’air.
-
Je viens te
sauver, Gabrielle ! hurla-t-elle. Ouvre les yeux, lève-toi !
Gabrielle !
Elle vit les paupières de l’endormie
frémir. Lentement, elles se soulevèrent, dévoilant des prunelles fatiguées,
lasses.
-
Ne te
rendors pas ! la pressa Arrra en voyant sa tête dodeliner de nouveau. Je
suis là pour t’aider, Gabrielle ! Il faut que tu te lèves !
Combats ! Je suis là pour t’aider !
-
Qui… êtes…
vous ?
La voix était rauque, éraillée, comme si
elle n’avait pas servie pendant des années. Lentement, Anaïs s’avança.
-
Je suis
Anaïs Arra, la patronne d’Ael. Gabrielle, lève-toi, s’il te plaît. Beaucoup de
personnes t’attendent au-dehors. Beaucoup espèrent ton retour et sont prêts à
de nombreux sacrifices pour y parvenir.
-
N’avance
pas !
Anaïs s’arrêta. Elle vit Gabrielle se
redresser péniblement en s’appuyant sur ses bras. Elle réussit doucement à se
mettre à genoux.
-
Ses fils
t’emprisonneront si tu avances, lui déclara-t-elle calmement.
-
Pas si je
me montre plus forte qu’eux.
-
Que veux-tu
dire ?
-
Je suis
forte et tu l’es aussi, Gabrielle. La preuve en est que tu es toujours ici,
présente parce que tu luttes encore pour ta survie. Je n’ai pas fait tout ce
chemin seule. C’est toi qui m’a guidée jusqu’ici en émettant des ondes
rassurantes, tu m’as débarrassée ainsi de mes craintes. Si tu as réussi ce tour
de force, tu es aisément capable de te sortir d’ici. C’est juste que tu n’oses
pas… Alors, je vais t’aider.
Sans laisser de place aux doutes, Anaïs
s’avança dans les fils. Ces derniers se tordirent, craquèrent, pour tenter de
s’enrouler autour de son corps, mais elle les repoussa sans ménagement. Arrivée
à la hauteur de la jeune femme, elle lui tendit une main amicale.
-
Viens,
Gabrielle Helldi, il est temps que tu reprennes ta place parmi nous.
Sans même hésiter ne serait-ce qu’une
seconde, Gabrielle saisit sa main et se leva.
Quand Lizzie ouvrit les yeux, la première
chose qu’elle remarqua fut cette drôle d’appréhension dans le ventre. Elle se
redressa et la couverture glissa à terre. Un rire frais l’assaillit alors,
résonna dans ses oreilles et dans sa tête.
-
Tu as
vraiment une mine chiffonnée au réveil, toi ! s’esclaffa une voix.
La jeune femme se leva d’un bond. Dans sa
précipitation, elle se prit les pieds dans la couverture et chuta à terre de
tout son long. Elle retint un grognement de douleur, mais un gloussement la fit
de nouveau sursauter. Elle bondit sur ses pieds sans oser y croire. Elle croisa
deux yeux rieurs, deux yeux ouverts, vifs qui la scrutaient, qui lui
souriaient.
-
Oh, mon
Dieu…
-
Gabrielle
suffira.
Redressée et maintenue par une pile de
coussins savamment disposés, Gabrielle lui souriait depuis son lit,
terriblement faible, mais bel et bien réveillée. Lizzie s’approcha d’elle à pas
de somnambule sans oser la quitter des yeux de peur qu’elle ne soit qu’un
mirage qui s’effacerait dès qu’elle se détournerait. Elle voulut tendre sa
main, s’assurer de la véracité de sa vision… puis se rappela au dernier
moment que c’était le geste à ne surtout pas faire. Alors qu’elle allait
retirer précipitamment ses doigts, Gabrielle coinça sa main entre sa joue et
son épaule en y mettant tout le poids de sa tête.
-
N’aie pas
peur, souffla-t-elle. Arra m’a assuré que je n’avais rien à craindre.
-
Quoi ?
croassa Lizzie qui, terrifiée, ne quittait pas sa main des yeux.
-
Je suis la
jumelle de Cinaed. Pour me protéger de ses flammes, j’ai développé une sorte de
système de défense contre les pouvoirs lorsque j’étais à l’état d’embryon.
C’était ça ou je finissais dévorée par le feu de mon frère…
-
Mais… Et
Greuz ?
-
Greuz ?
-
Celui qui
t’as plongée dans… le… le…
-
Le
coma ? suggéra doucement Gabrielle.
Elle vit Lizzie se tendre et libéra ses
doigts. Elle avait l’impression que ses membres étaient lestés de
plomb… Elle se sentait tellement faible… Il lui faudra des mois,
peut-être même plusieurs années, de rééducation avant de pouvoir de nouveau se
déplacer normalement. Elle savait qu’elle avait été endormie pendant une très
longue période… Et, presque inconsciemment, elle s’en voulait. De ne pas
avoir été là, ou plutôt, de n’avoir été qu’une masse inerte qui obsédait les
esprits, cette masse incapable de réagir, de sourire, de rassurer…
Elle reporta son attention sur Lizzie qui
attendait. Elle lui sourit.
-
Le coup a
été trop fort, j’aurais dû en mourir. Je ne dois ma survie qu’à ma protection.
Tout du moins, c’est ce que nous en avons déduit avec Arra.
-
D’où
connais-tu Arra ?
-
Elle est
venue m’aider.
-
T’aider ?
-
Oui. Elle
m’a guidée pour que je sorte enfin du coma.
-
…
-
Lizzie…
-
Oui,
Gab’ ?
-
Prends-moi
dans tes bras…
Lizzie écarquilla les yeux, surprise par
la demande, mais elle ne se fit guère prier. Elle s’assit sur le lit et,
doucement, avec hésitation, elle passa un bras autour de la taille de la jeune
femme et un autre autour de ses épaules. Après un ultime doute, elle posa ses
mains sur elle. Gabrielle se laissa aller complètement entre ses bras,
déchargeant son poids sur elle. Lizzie semblait toujours avoir du mal à y
croire. Elle était réveillée… Oui, réveillée…
-
Merci,
hoqueta-t-elle alors que les larmes roulaient sur ses joues. Oh bon sang,
merci…
-
Merci à
toi, lui chuchota doucement la jeune femme. Merci, Lizzie. Je suis revenue,
merci de m’avoir attendue…
Alors Lizzie éclata en sanglots. Elle
serra son aimée contre elle de toutes ses forces, elle pressa sa chair contre
la sienne, elle respira son odeur pour s’en imprégner. Doucement, Gabrielle
remua ses bras faibles et, au prix de lourds efforts, elle enlaça à son tour la
jeune femme.
Dans le couloir, Anaïs regarda un moment
son plateau d’un air sceptique. Puis elle choisit de le reporter en cuisines
pour laisser aux deux femmes le temps de se retrouver pleinement.
En souriant, elle décida également de ne
pas appeler son agent pour ne pas gâcher son week-end avec son amoureux. Ce
sera la surprise du retour !
3 commentaires:
La prière de Lizzie est absolument magnifique !
c'est vrai, ce passage est très émouvant :') bravo
original, de se marier pieds nus !
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