samedi 1 juin 2013

RÊVE D'AVENIR

Une petit histoire courte sans prétention. Elle était déjà disponible sur le blog, mais, j'ai préféré vous la remettre pour plus de lisibilité. A (re)découvrir !



Je suis un chasseur de rêve. Je sais, dit comme ça, de but en blanc, ça paraît fou, insensé. Vous devez vous dire “Hein ? Mais sur quelle nouvelle je suis tombé, moi ?” Ou bien “Chasseur de rêve ? Tiens, quelle drôle d’idée ? À quoi ça sert ?”
Et bien… Chasseur de rêve est, je dois vous l’avouer, mon métier. Je travaille de nuit, sur les toits. Avec mon filet à papillons, je poursuis les rêves qui sortent des cheminées. Je chasse les plus rares, les plus exotiques. Et quand je parviens à les attraper, je les enferme dans mes bocaux qui sont alignés sur mes étagères. Puis je les vends. Je vais de ville en ville avec ma petite roulotte et j’insuffle aux gens, contre quelques sous, de merveilleux songes à l’aide d’une simple seringue. Je peux me vanter d’avoir déjà donné vie à quelques tableaux mystiques, quelques films incontournables ou encore quelques livres classiques. Je suis chasseur de rêves, vagabond et vendeur d’idées, mais pas schizophrène pour autant.
Ah, et j’oubliais ! Collectionneur. Les plus beaux rêves, je les garde, enfermés dans une boîte d’acajou rehaussée de rinceaux en nacre. J’aime les contempler, le matin, avant de me coucher. Ainsi que le soir, avant de partir travailler. Ils me donnent le courage de courir sur les toits, de vouloir aller plus loin.
Mais cette nuit-là fut différente.
Je m’étais établi aux Etats-Unis depuis près de deux mois. J’aimais ce pays et cette langue. Tous les gens étaient fascinants et tellement différents des français ! Quand je vis que le jour commençait à décliner, j’ai saisis mon filet, mon casse croûte, quelques bocaux et ma boîte qui ne me quittait jamais, en réalité. Je chaussai mes lunettes spéciales qui me permettait de voir les rêves et remit en place le col de mon calicot noir. Parfait… 
D’un bond souple, je descendis du toit de ma roulette où je m’étais perché. J’examinai le ciel d’un œil expert et claquai ma langue contre mon palet, satisfait :
-     Good night, jugeai-je.
Je partis vers la ville.
Ce qu’il y a de particulièrement amusant chez les Américains, ce sont leurs gratte-ciels. Rien de tel pour faire la dose d’adrénaline. Ici, sauter de toits en toits se révèle de la folie. Tant mieux, je n’ai jamais aimé les hommes de raison.
Me voilà en haut d’un building, contemplant les lueurs des réverbères, des boutiques, des néons et des phares de voitures qui constellaient la ville. J’ai l’impression de me retrouver entre deux ciels. De loin, la statue de la liberté dresse fièrement son flambeau, tournée vers le large. Peut-être qu’elle guette quelqu’un… 
Je secoue la tête pour me concentrer. Moi aussi j’avais quelqu’un à guetter. Enfin… Le mot quelque chose serait plus approprié.
22H06… Pile à l’heure, cette Madame Smith, comme toujours. Cette vieille femme s’endort à la même heure chaque jour de chaque mois. J’aime ces rêves… Ils sont empreints d’une mélancolie d’un passé où ses jambes lui permettaient de courir les marathons. Mais celui que j’attrape est le même qu’hier… Zut ! Je le relâche et il s’envole, tourbillonne avec nonchalance, avant de se perdre au loin.
Je reprends ma course.
Je contemple mon sac d’un air désespéré. La cata… Je n’ai que deux petits rêves bleus, ainsi qu’une demi-douzaine de rêves enfantins. Une bien piètre récolte, en vérité. Je m’assis sur le toit, les jambes perchées dans le vide, et consultai les astres de nouveau. Eux qui m’avaient promis une nuit exceptionnelle ! C’est alors qu’il surgit… 
Ce fut comme une fusée d’artifice. Le rêve monta haut dans le ciel et sembla soudain s’embraser, phénix de mille couleurs irisées. Pailleté d’étoiles plus lumineuses les unes que les autres, je crus que le soleil était venu faire une petite visite à l’astre lunaire ! Quel rêve, mais quel rêve ! Il fallait absolument que je l’attrape ! Jamais dans toute ma carrière je n’en avais vu de semblable… Il était tout bonnement magnifique !
Je bondis en avant et abattis mon filet sur lui, mais il me fila entre les pattes et bondit de toits en toits.
-     Ah, tu veux jouer à ça… marmonnai-je entre mes dents. Attends un peu que je te mette la main dessus, toi !
Notre course folle s’éternisa longtemps. C’était devenu un jeu que j’appréciai grandement. Je vis avec horreur l’ourlet noir de la robe de la nuit commencer à se délaver. J’accélérai comme un fou. Si ce n’était pas maintenant, je n’aurai plus jamais l’occasion d’attraper un si beau rêve !
-     Je te tiens ! hurlai-je.
Mon filet tournoya au-dessus de ma tête et me jetai en avant. Je l’avais ! Je l’avais attrapé ! J’étais euphorique. Doucement, sans le brusquer, je fis glisser le rêve dans un bocal dont je vissai soigneusement le couvercle.
La fatigue me tomba soudain dessus et courba mes épaules. Vivement que je puisse me glisser dans mon lit ! J’identifierai la provenance du rêve plus tard ! Tant pis !
Dans la rue, je me mêlai à la foule. Le rêve s’agitait dans mon sac… Mais qu’est-ce qu’il avait celui-là ? Je finis par le sortir et secouai le bocal pour le calmer. Des mots étincelants s’y imprimaient : I have a dream… 
-     Mais qu’est-ce qu’il me veut lui ?
Je m’assis. Des questions commençaient à se former dans mon esprit. À qui appartenait ce rêve ? Je ne soulevai qu’une partie du couvercle pour pouvoir plonger mon doigt à l’intérieur du bocal. Le rêve frôla mon doigt et je fus parcouru d’un délicieux frisson. Ça y est… Je savais à qui il appartenait. Je sortis mon feutre noir et marquai sur l’étiquette :
Rêve
Attrapé le : 28 août 1963
Rêvé par : Martin Luther King
  Je peux me vanter d’avoir déjà donné vie à quelques tableaux mystiques, quelques films incontournables ou encore quelques livres classiques. Mais jamais encore je n’avais tenu entre mes mains un discours qui allait bouleverser l’avenir.
Marine Lafontaine

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