Je suis un chasseur de rêve. Je
sais, dit comme ça, de but en blanc, ça paraît fou, insensé. Vous devez vous
dire “Hein ? Mais sur quelle nouvelle je suis tombé, moi ?” Ou bien
“Chasseur de rêve ? Tiens, quelle drôle d’idée ? À quoi ça
sert ?”
Et bien… Chasseur de rêve est, je
dois vous l’avouer, mon métier. Je travaille de nuit, sur les toits. Avec mon
filet à papillons, je poursuis les rêves qui sortent des cheminées. Je chasse
les plus rares, les plus exotiques. Et quand je parviens à les attraper, je les
enferme dans mes bocaux qui sont alignés sur mes étagères. Puis je les vends.
Je vais de ville en ville avec ma petite roulotte et j’insuffle aux gens,
contre quelques sous, de merveilleux songes à l’aide d’une simple seringue. Je
peux me vanter d’avoir déjà donné vie à quelques tableaux mystiques, quelques
films incontournables ou encore quelques livres classiques. Je suis
chasseur de rêves, vagabond et vendeur d’idées, mais pas schizophrène pour
autant.
Ah, et j’oubliais !
Collectionneur. Les plus beaux rêves, je les garde, enfermés dans une boîte d’acajou
rehaussée de rinceaux en nacre. J’aime les contempler, le matin, avant de me
coucher. Ainsi que le soir, avant de partir travailler. Ils me donnent le
courage de courir sur les toits, de vouloir aller plus loin.
Mais cette nuit-là fut
différente.
Je m’étais établi aux Etats-Unis
depuis près de deux mois. J’aimais ce pays et cette langue. Tous les gens
étaient fascinants et tellement différents des français ! Quand je vis que
le jour commençait à décliner, j’ai saisis mon filet, mon casse croûte, quelques
bocaux et ma boîte qui ne me quittait jamais, en réalité. Je chaussai mes
lunettes spéciales qui me permettait de voir les rêves et remit en place le col
de mon calicot noir. Parfait…
D’un bond souple, je descendis du
toit de ma roulette où je m’étais perché. J’examinai le ciel d’un œil expert et
claquai ma langue contre mon palet, satisfait :
- Good
night, jugeai-je.
Je partis vers la ville.
Ce qu’il y a de particulièrement
amusant chez les Américains, ce sont leurs gratte-ciels. Rien de tel pour faire
la dose d’adrénaline. Ici, sauter de toits en toits se révèle de la folie. Tant
mieux, je n’ai jamais aimé les hommes de raison.
Me voilà en haut d’un building,
contemplant les lueurs des réverbères, des boutiques, des néons et des phares
de voitures qui constellaient la ville. J’ai l’impression de me retrouver entre
deux ciels. De loin, la statue de la liberté dresse fièrement son flambeau,
tournée vers le large. Peut-être qu’elle guette quelqu’un…
Je secoue la tête pour me
concentrer. Moi aussi j’avais quelqu’un à guetter. Enfin… Le mot quelque chose
serait plus approprié.
22H06… Pile à l’heure, cette
Madame Smith, comme toujours. Cette vieille femme s’endort à la même heure
chaque jour de chaque mois. J’aime ces rêves… Ils sont empreints d’une
mélancolie d’un passé où ses jambes lui permettaient de courir les marathons.
Mais celui que j’attrape est le même qu’hier… Zut ! Je le relâche et il
s’envole, tourbillonne avec nonchalance, avant de se perdre au loin.
Je reprends ma course.
Je contemple mon sac d’un air
désespéré. La cata… Je n’ai que deux petits rêves bleus, ainsi qu’une
demi-douzaine de rêves enfantins. Une bien piètre récolte, en vérité. Je
m’assis sur le toit, les jambes perchées dans le vide, et consultai les astres
de nouveau. Eux qui m’avaient promis une nuit exceptionnelle ! C’est alors
qu’il surgit…
Ce fut comme une fusée
d’artifice. Le rêve monta haut dans le ciel et sembla soudain s’embraser,
phénix de mille couleurs irisées. Pailleté d’étoiles plus lumineuses les unes
que les autres, je crus que le soleil était venu faire une petite visite à
l’astre lunaire ! Quel rêve, mais quel rêve ! Il fallait absolument
que je l’attrape ! Jamais dans toute ma carrière je n’en avais vu de
semblable… Il était tout bonnement magnifique !
Je bondis en avant et abattis mon
filet sur lui, mais il me fila entre les pattes et bondit de toits en toits.
- Ah,
tu veux jouer à ça… marmonnai-je entre mes dents. Attends un peu que je te
mette la main dessus, toi !
Notre course folle s’éternisa
longtemps. C’était devenu un jeu que j’appréciai grandement. Je vis avec
horreur l’ourlet noir de la robe de la nuit commencer à se délaver. J’accélérai
comme un fou. Si ce n’était pas maintenant, je n’aurai plus jamais l’occasion
d’attraper un si beau rêve !
- Je
te tiens ! hurlai-je.
Mon filet tournoya au-dessus de
ma tête et me jetai en avant. Je l’avais ! Je l’avais attrapé ! J’étais
euphorique. Doucement, sans le brusquer, je fis glisser le rêve dans un bocal
dont je vissai soigneusement le couvercle.
La fatigue me tomba soudain dessus
et courba mes épaules. Vivement que je puisse me glisser dans mon lit !
J’identifierai la provenance du rêve plus tard ! Tant pis !
Dans la rue, je me mêlai à la
foule. Le rêve s’agitait dans mon sac… Mais qu’est-ce qu’il avait
celui-là ? Je finis par le sortir et secouai le bocal pour le calmer. Des
mots étincelants s’y imprimaient : I have a dream…
- Mais
qu’est-ce qu’il me veut lui ?
Je m’assis. Des questions
commençaient à se former dans mon esprit. À qui appartenait ce rêve ? Je
ne soulevai qu’une partie du couvercle pour pouvoir plonger mon doigt à
l’intérieur du bocal. Le rêve frôla mon doigt et je fus parcouru d’un délicieux
frisson. Ça y est… Je savais à qui il appartenait. Je sortis mon feutre
noir et marquai sur l’étiquette :
Rêve
Attrapé
le : 28 août 1963
Rêvé
par : Martin Luther King
Je peux me vanter d’avoir déjà donné vie à quelques
tableaux mystiques, quelques films incontournables ou encore quelques
livres classiques. Mais jamais encore je n’avais tenu entre mes mains un
discours qui allait bouleverser l’avenir.
Marine Lafontaine
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