Voici le chapitre 3 de Médée, comme promis ! En espérant qu'il vous plaise ! Bonne lecture !
Les
Bacchantes, armées de leurs lyres, devaient danser une folle ronde, remplissant
les airs de leurs chants distordus. Toute à leur ivresse, elles ne tarderaient
pas à arracher les têtes de ceux qu’elles croiseront sur leur chemin.
Ainsi va
l’escorte de Bacchus.
Médée les
avait souvent observées de loin. Ses orbes glacés parcouraient leurs chairs, à
peine cachées sous les peaux de tigre qu’elles s’étaient jetées en travers de
leurs épaules. Elle se souvenait avoir interrogé son aïeule, Sol Indiges, dieu
du soleil, à leur sujet. Comment des créatures aussi joyeuses pouvaient-elles
habiter une telle folie meurtrière ?
Aujourd’hui,
elle comprenait.
Cette envie de
rire, de danser, alors que seule la haine faisait mouvoir vos membres. Comme
une lueur de folie, une baise rougeoyante… Il suffisait d’un souffle pour en
faire un brasier destructeur… Alors si trois furies soufflaient à plein poumons
dessus, nul doute que le feu qu’elles provoqueraient serait spectaculaire.
Médée leva une
main blanche vers les feux qui dansaient dans le lointain. Des braseros avaient
été allumés dans les rues alors qu’une parade répandait sa joie sur tous les
habitants de Corinthe. Silencieuse, un étrange sourire gravé sur le coin des
lèvres, la magicienne contemplait ces danseuses qui riaient, telles les
Bacchantes, ces musiciens qui éclaboussaient le monde de leurs notes liquides.
A ses côtés, Nérine demeurait immobile, le souffle quasiment suspendu, les yeux
rivés sur sa maîtresse. Elle songeait à cette lueur folle qui se tapissait au
fond de ses prunelles et un sentiment proche de la terreur glaçait son être.
Bien qu’elle ait toujours craint sa maîtresse, c’était la première fois qu’elle
se sentait elle-même en danger. Jupiter seul savait à quel point les pouvoirs
de Médée étaient terrifiants ! des coups donnés contre le battant de la
porte arracha la nourrice à ses sombres pensées.
-
Prêtresse, vos enfants vous demandent, annonça une voix
féminine.
-
Faites-les entrer, ordonna Médée d’un ton doucereux.
Phérès et
Merméros entrèrent en trombe dans la chambre de leur mère. Cette dernière leur
ouvrit les bras pour qu’ils puissent s’y réfugier.
-
Mère ! pépia Merméros avec innocence. Vous êtes
belle !
-
Merci, mon fils, sourit cette dernière.
Médée était
habillée d’un chiton, cette ample
tunique noire, dont les longues manches étaient fendues en deux à partir du
coude et retenu aux épaules par des fibules ornées de pierreries. Par dessus,
Nérine avait ajusté une stola
argentée. Les cheveux de Médée coulaient dans son dos, libres de tout lien.
Curieux, Phérès détailla la toilette de sa génitrice et esquissa un fin
sourire, saisissant avec facilité les différents messages qui émanaient de
cette simple tenue. La qualité du tissu prouvait le haut statu social de Médée
et la stola était tout vêtement qu’une femme mariée se devait de porter en
public. Mais les cheveux lâchés étaient portés ainsi en signe de deuil. Sa mère
jouait sur un habile paradoxe, proclamant ouvertement qu’elle était encore liée
à Jason tout en dénigrant complètement son mari. Et ses couleurs, et ses
pierres précieuses… Saphir, pierre de lune, perle et cristal…
-
Mère, vous vous rendez à la réception en tant que prêtresse
d’Hécate ? lui demanda-t-il.
-
C’est exact, Phérès. Lors d’un choix aussi important, il est
normal qu’Hécate soit présente pour leur montrer les voies du destin…
Elle lui
grimaça un horrible rictus qui dévoila ses dents sombres. Phérès cilla à peine
devant cette vision cauchemardesque. Dans quoi sa mère avait-elle planté ses
crocs pour les maculer de sang ? Il fit courir son regard sur le sol de la
chambre et fronça les sourcils en voyant, dans un coin de la pièce, une
chouette effraie aux ailes brisées. Son esprit d’enfant ne s’en effraya pas
pour autant, voyant ici encore la symbolique du geste de sa mère. La chouette
effraie était un attribut de Minerve, la déesse qui avait veillé sur les
Argonautes lors de leur épopée.
Elle était la
déesse qui était à l’origine de la rencontre de la magicienne et du prince
déchu d’Iolcos.
Elle était à
l’origine de sa tragédie…
Médée tendit
la main à ses fils.
-
Venez, doux enfants, allons donc assister à la fête que nous
offre votre pitoyable père.
Créuse était
assise devant une coiffeuse entièrement édifiée à partir de marbre de Paros
alors que des esclaves se pressaient autour d’elle pour arranger ses
magnifiques cheveux d’une blondeur quasi irréelle. La princesse de Corinthe
fixait son reflet droit dans les yeux, comme si elle menait un combat contre
elle-même. Quand on frappa à sa porte, elle chassa ses suivantes d’un geste
agacé de la main et se redressa.
-
Entrez ! lança-t-elle.
Un homme
coiffé de cheveux dorés pénétra ses appartements. Créuse sentit son cœur
s’accélérer dans sa poitrine à la vue de son futur époux. Il portait le paludamentum, un manteau rouge, qui lui sied à merveille. La
princesse ouvrit la bouche pour parler, mais Jason lui fit signe de se taire.
-
Douce Créuse, femme, que vous êtes belle ! lui
déclama-t-il avec un sourire émerveillé.
-
Jason…
Il l’observait
avec avidité. Mais ce n’était pas la femme qu’il voyait. Sous ses yeux se
dessinaient une gloire, une ascension au trône. Dans son regard brillait les
joyaux de la couronne de Créon, couronne qui sera bientôt sienne. Il avait tant
envie de poser ses doigts su cet amas de richesses, sur cet amas de
pouvoirs… Oui, il voulait le tenir entre ses mains… Un hoquet
étranglé le tira de son hallucination éveillée. Il remarqua ses mains posées
sur les hanches rondes de Créuse et un sourire de loup vint se dessiner sur ses
lèvres.
-
Ma chère et tendre, je suis las de vous attendre…
-
Vous ne devriez pas être là, murmura la fille de Créon, le
visage dévoré par un feu dévastateur qui rougissait ses joues.
Un délicieux
frisson la parcourut toute entière alors que les mains de son futur époux
migraient dans le bas de son dos.
-
Je vous veux toute entière… lui susurra-t-il au creux de
l’oreille.
-
Oh, Jason…
Elle hoqueta
en sentant ses mains se faire plus aventureuses. Jason se recula alors, la
laissant pantelante. Malgré la brume de plaisir dans lequel elle s’était
plonge, Créuse put percevoir la vive inquiétude sur le visage de son fiancé.
-
Qu’avez-vous ? s’enquit-elle. C’est encore elle ?
ajouta-t-elle d’une voix mauvaise.
-
De qui parlez-vous ? s’étonna le prince déchu. De
Médée ?
L’air
colérique qui planait dans les yeux de la princesse de Corinthe valait bien
toutes les réponses.
-
N’ayez rien à craindre, lui assura-t-il. Non, en fait, mon
désarroi trouve sa source ailleurs.
-
Qu’en est-il donc ? Parlez, je vous en prie !
Jason leva sur
elle un visage si sincèrement peiné que la princesse sentit un aiguillon jaloux
se planter dans sa poitrine. Depuis le premier jour, elle l’avait désiré. Elle
avait désiré ce magnifique prince. Le poison avait depuis longtemps rongé son
âme, elle était corrompue à jamais. Car, contre l’âcre jalousie dont elle était
sujette, aucun remède jusque là n’avait eu d’effet. Elle se souvenait d’avoir
contemplé le mariage de Jason et Médée du haut de son balcon, le corps tout
entier secoué de haine.
Et
aujourd’hui, alors qu’elle allait enfin avoir pour elle cet homme qu’elle
désirait tant, quelque chose le préoccupait, prenait plus de place dans son
esprit qu’elle.
Et ça, elle ne
le supportait pas.
-
Voyez-vous, Créuse, votre père a ordonné une loi que je ne
saurai respecter.
Créuse se
recula, l’air froid. De la femme amoureuse, elle passa au statu d’héritière de
Créon.
-
Quelle loi donc vous importune ?
-
L’exil de la chair de ma chair, le sang de mon sang, les
larmes de mes étoiles. Mes enfants, Créuse ! Je ne peux supporter qu’on
les sépare de moi !
-
Si tel est l’ordre du roi, vous ne pouvez vous y dérober,
répliqua la princesse d’une voix sans appel.
Elle se raidit
en sentant des mains prendre en otage ses doigts. Elle voulut reculer, mais
Jason la tenait fermement contre lui.
-
Je vous en prie, Créuse… Si vous parlez à votre père, il
vous écoutera. Moi, non… ce sont mes enfants, ma seule fierté, ma raison
de vivre ! Oh, j’aimerai tant qu’ils soient élevés par une femme aussi
formidable que vous !
La femme refit
surface sous le masque de froideur de la princesse. Son cœur battit plus fort
dans sa poitrine. Jason souhaitait-il vraiment faire d’elle la mère de ses
enfants ? Mais son humeur s’assombrit tout aussitôt. Les enfants de
Médée… Elle eut un frisson de dégoût. Ils charriaient dans leurs veines le
sang gâté de leur mère. Et rien que pour cela, elle comprenait pourquoi son
père tenait à les exiler.
Pourtant, il
était déjà arrivé à Créuse de s’amuser avec Merméros. Ce gamin innocent aux
boucles claires et au rire jaillissant était une compagnie des plus agréable.
Mais son frère… Si l’un avait hérité du côté lumineux de leur père,
l’autre semblait avoir été façonné dans le même moule qui donna naissance à
cette créature qu’était Médée. Phérès possédait ses yeux qui peuvent vous
fouiller l’âme sans que vous ne puissiez rien y faire. Il avait dans la voix
cette impulsion, cette étincelle malfaisante qui le liait à l’obscur. Oui, cet
enfant était terrifiant…
-
Jason, décida Créuse finalement, j’accepterai de parler à mon
père en votre nom.
-
Oh, Créuse, vous êtes si merveilleuse !
-
Veuillez ne pas m’interrompre, je vous prie.
-
Oh, oui, bien sûr… Excusez-moi.
-
Je veux, qu’en échange, Médée me donne sa robe de mariage.
Jason eut
l’air surpris, ne comprenant visiblement pas le pourquoi d’une telle demande.
Mais Créuse n’avait pas choisi cette robe au hasard : c’était le seul
objet qui appartenait encore réellement à Médée. Cette robe était splendide,
une merveille, tissée à la main dans un tissu chatoyant et ce par la main même
de Circée, sa tante, offerte pour son mariage. Du passée de la magicienne, de
son passée glorieux et dorée de princesse de Colchide, c’était tout ce qu’il
restait…
Créuse voulait
détruire Médée, définitivement. Elle voulait que ce monstre souffre, qu’il
souffre autant qu’elle avait souffert durant toutes ces années en voyant
l’homme qu’elle aimait dans ses bras.
-
C’est l’unique condition, asséna-t-elle d’un ton bas et roque.
Vous n’aurez pas de mal à la respecter, non ?
-
Non, je ne le pense pas, acquiesça Jason. Si tel est votre
souhait, très chère, il ne saurait me tarder de le réaliser, bien
évidemment !
Créuse sourit,
un rictus plein d’amour et de haine.
Sa vengeance
allait pouvoir s’accomplir dans son entièreté.
Médée riait.
Nérine, glacée
d’effroi, la voyait danser sur les cadavres des animaux qu’elle avait sacrifié
en l’honneur des pieds. Ses pieds nus écrasaient les entrailles répandues sur
le sol et sa tenue était maculée de sang. Elle en avait jusque sur le visage et
dans les cheveux.
-
Pluton, Proserpine, Hécate, Sol, oh, divinités tout
puissantes ! s’époumonait la magicienne, bras levés vers le ciel, comme
pour prendre à témoin les astres de sa folie. Minerve, entends-moi, vois !
Toi qui a choisi comme héros Jason, je vais te prouver que nous autres,
infernaux, nous sommes plus aptes que lui à remplir quelconque mission. Ah,
toison d’or, t’en rappelles-tu ?
Elle éclata de
nouveau de rire. Les torches accrochées aux murs vacillèrent puis leurs flammes
vira progressivement au noir, jusqu’à ce qu’une lumière crépusculaire envahisse
la pièce où Médée s’était enfermée avec sa nourrice pour procéder à son macabre
rituel.
La nièce de
Circée eut un rictus terrifiant, qui aurait glacé le sang de n’importe quel
mortel. Elle siffla, une stridulation stridente qui vrilla le crâne de Nérine.
-
Mes sœurs, furies, soyez présentes, plus horribles encore
qu’au jour de mon mariage ! venez, présentez-vous à moi, avec vos mains
ensanglantées, brandissez les torches soufflées de mon hymen brisé !
Faites payer à Jason qui a souillé nos vœux…
La princesse
de Colchide se ploya, comme si ses paroles lui coûtaient. Elle planta ses
ongles aigus dans la chair tendre de ses paumes.
-
NON ! hurla-t-elle d’une voix suraiguë. Ne vous contentez
pas de le poursuivre et de le tourmenter jusqu’au fin fond de ses
cauchemars ! Son supplice doit être plus terrible encore ! Qu’il soit
trahi, trahi, trahi par les êtres qu’il aime le plus au monde ! Que ses
fils soient semblables à lui-même, semblables à moi ! Qu’ils soient
capables de se jouer de lui, autant qu’il l’a fait avec moi ! Qu’ils
soient capables de le poignarder, autant que je l’ai fait pour lui !
Nérine sentit
les larmes envahir ses joues. Elle joignit ses mains dans une posture suppliante.
-
Oh, Hécate, déesse aux trois visages, si vous aimez votre prêtresse,
sauvez-la de sa folie meurtrière !
Médée lui jeta
un regard tordu, un regard où transparaissait son âme brisée, son amour bafoué,
sa confiance piétinée. Elle offrit un sourire de travers à sa nourrice.
-
Allons, il est temps…
-
De quoi parlez-vous, maîtresse ? murmura Nérine avec
terreur.
Sans répondre,
Médée ouvrit en grand les portes de la salle. Dans le couloir l’attendaient ses
fils. Merméros et Phérès saisirent chacun une main de leur génitrice et lui
sourirent avec une innocence trop belle aux yeux d’une femme à l’âme noire.
Pourtant, elle ne se détourna pas. Elle assura sa prise sur les mains de ces
petits êtres entre ses doigts froids.
-
Allons, il est temps, sinon, nous allons être en retard à la fête !
Voilà, l'intrigue est maintenant correctement installée, le prochain chapitre sera donc un des nœuds de l'intrigue ! Attendez-le avec impatience, s'il vous plaît ! A bientôt, n'hésitez pas à commenter et/ou faire un petit tour sur le blog !
Marine Lafontaine