lundi 17 juin 2013

EROS ET THANATOS, CHAPITRE 19

Scène de cohabitation




Azela parcourut avec ravissement son nouveau chez-elle. Ce n’était qu’un petit studio, à la hauteur de leurs moyens, mais elle l’aimait déjà. Pour la première fois, elle allait vivre avec son fiancé dans un vrai foyer, comme n’importe quel couple, sans craindre à chaque instant que la brigade leur tombe dessus. Nathanaël déposa leurs affaires à terre, deux grosses valises, et observa autour de lui avec un petit sourire.
-                Je crois qu’on sera bien, là.
-                Je le pense aussi !
La jeune femme était ravie. Vu l’heure, ils prirent la décision de commander quelque chose à manger et de déballer les affaires demain. C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent à terre avec une pizza fumante posée entre eux deux. 
-                Dire que dans deux mois, je me marie, murmura Azela, ayant du mal à y croire. C’est un rêve.
-                Une réalité, rectifia son fiancé d’un ton professoral.
-                Oui, c’est vrai… Que ferons-nous, après ?
-                Je ne sais pas… Personnellement, j’aimerais reprendre des études. Avec mon niveau, je n’irai pas bien loin, mais j’aimerais avoir un métier qui nous fera vivre décemment.
-                Moi aussi… 
-                Quelque chose te tente ?
-                J’ai toujours voulu être comme ta sœur.
-                Marielle ? s’étrangla Nathanaël.
-                Oui, une policière aussi droite qu’elle !
-                Heu, oui, pourquoi pas, après tout… Du moment que tu ne choppes pas son caractère, ça me va !
Azela leva les yeux au ciel, un sourire amusé aux lèvres. Elle allait ajouter quelque chose quand le portable de Nathnaël sonna. Son fiancé s’excusa d’une grimace avant de décrocher. 
-                Oui ?… Cinaed ? Qu’est-ce qu’il y a ?… QUOI ?

Cinaed n’aimait pas les bains… Il s’ennuyait dedans. Pour pallier au problème, il s’était acheté un canard en plastique, mais, finalement, ce volatile jaune avec ses grands yeux bleus ne faisait que flotter stupidement sur l’eau ; il n’était pas le moins du monde distrayant.
Le jeune homme immergea son nez pour faire des bulles dans l’eau chaude. Ael lui manquait… son absence était comme une brûlure qui ne cessait de le lancer… Quelle ironie, quand il y pensait. Il avait de nombreuses fois rêvé de se marier, de finir sa vie avec lui et même d’élever un enfant… Et alors que le jeune homme lui avait présenté la possibilité de vivre ce fantasme, il avait fui… Un rire amer fusa de ses lèvres.  
-                Quelle belle connerie… 
Il laissa son regard vagabonder sur le carrelage blanc de la salle de bain éclairé par une lumière faiblarde. Il pouvait encore y voir chantonner le fantôme d’Ael. Leur vie commune avait été d’une rapidité incroyable… Après six ans d’attente, le rêve ne s’était révélé qu’une illusion. Ael et lui avaient fait leur choix… Il n’y avait plus de place pour lui…  Une larme douloureuse tomba dans l’eau chaude.
Un craquement de fin du monde le tira de sa torpeur. Stupéfait, il se précipita hors du bain, manqua de s’étaler de tout son long, mais retrouva son assiette in extremis. Attrapant rapidement un peignoir qu’il enfila à la va-vite, le jeune homme courut vers la source du bruit… et fut accueilli par une série de braillements surpuissants !
Au centre de la pièce, ou plus précisément des restes de la table basse littéralement explosée, pleurait Antoine. Cinaed devint blême, comprenant mal comment l’enfant avait pu atterrir dans son salon alors qu’il était censé se trouver dans un avion en partance pour le Japon.
Mais, pour le moment, ce qui le préoccupait davantage, c’était que le dessus de sa table était en verre… Le dessinateur enfila ses chaussons avant de s’avancer vers l’enfant dont le visage était barbouillé de sang.   
-                Heu… Antoine ? appela-t-il, ne sachant que faire. Ça… Ça va ?
Mais la sirène ambulante qu’était devenu l’enfant refusa de lui répondre autrement que par des pleurs sonores. Inquiet à la vue du liquide rouge, Cinaed obligea Antoine à se lever pour s’éloigner des tessons tranchants. Bon, que faire, maintenant ? Heu… Vérifier s’il allait bien ! Examinant l’enfant en le manipulant sans ménagement, le jeune homme fut soulagé de constater que le verre n’avait causé que des dégâts superficiels. Antoine avait cessé de hurler et gémissait maintenant. Il avait mal, il avait peur et il était en colère contre lui-même parce qu’il avait encore perdu le contrôle de son pouvoir. En plus, il s’était téléporté chez la seule personne qu’il voulait à tout prix éviter : celui qui avait brisé le cœur de son père.
Il le vit se saisir d’un téléphone et se rappela qu’il en avait un aussi. Il fouilla ses poches, mais ne le trouva pas. Affolé, Antoine fouilla la pièce du regard et le repéra au milieu des débris de la table basse. Cinaed s’étant isolé pour téléphoner, il n’hésita pas et s’élança vers l’objet de son désir.
Dans le couloir, complètement dépassé par les évènements, Cinaed voulait joindre le père du gamin, mais n’avait pas son numéro. Alors il appela la seule personne susceptible de lui donner des conseils.  
-                Oui ? émit une voix avec quelques tonalités particulièrement stressantes.
-                Nat’ !
-                Cinaed ? Qu’est-ce qu’il y a ?
-                Le… Le gamin… Le gamin est chez moi… 
-                QUOI ?
-                Le gamin est chez moi ! cria Cinaed, paniqué. Il est apparu de, de, de nulle part ! Je ne sais pas quoi faire ! Il est blessé !
-                OK, commence par te calmer. Je vais venir, ne t’en fais pas. En attendant, ne le quitte pas des yeux et soigne-le.
-                O… OK.
-                Et sois gentil avec lui !
Cinaed raccrocha, pas rassuré pour un sou. Il regagna timidement le salon… et se figea. Antoine venait de récupérer son portable au milieu des débris de verre et de bois.
-                Antoine !
Surpris, l’enfant sursauta et recula, effrayé par le ton du jeune homme. Complètement affolé, Cinaed se précipita sur lui et le souleva dans ses bras.
-                Viens ici, on doit te soigner !
Il l’emmena dans la salle de bain où il retira ses vêtements. Il se saisit d’un spray dont il aspergea généreusement les coupures. Antoine gémit sous la morsure du produit et se mit à gigoter, mais Cinaed le força sèchement à s’immobiliser pour appliquer des pansements. Dès qu’il le put, Antoine lui échappa pour courir dans le couloir où il sortit son téléphone. Cinaed poussa un long soupir avant d’attraper le balai pour nettoyer les dégâts au plus vite et éviter qu’Antoine se blesse à nouveau. Il l’entendait gazouiller au téléphone. Finalement, il le vit sur le seuil du salon qui lui tendait timidement son portable. 
-                Papa veut te parler, déclara-t-il.
Cinaed en lâcha son balai. Il hésita, puis s’approcha et prit l’appareil.
-                Allô ? murmura-t-il.
-                Je suis désolé, Cinaed, s’excusa précipitamment Ael. Je ne pensais pas qu’il irait atterrir chez toi !
-                … Qu’est-ce qui s’est passé ?
Même s’il ne pouvait le voir, il savait Ael au bord des larmes, prêt à éclater en sanglots. Il l’entendit prendre une grande inspiration.
-                Il a un pouvoir de téléportation très instable, il n’arrive pas à le contrôler. Je suis désolé, je saute dans le prochain avion en partance pour la France. Le problème est je ne serai pas là avant demain soir au mieux… 
-                Je pourrais m’oc…
-                Ça te dérangerait d’appeler Nathanaël pour qu’il s’occupe d’Antoine ? Désolé de prendre de ton temps…
-                Non, non, c’est bon… 
-                Merci, tu me sauves la vie ! Peux-tu me repasser Antoine, s’il te plaît ?
-                Oui, bien sûr… Au… Au revoir… 
Il rendit le téléphone à l’enfant qui le lui arracha pratiquement des mains, pressé de récupérer son bien. La sonnette retentit peu après et Nathanaël débarqua. A sa vue, Antoine lui sauta dans les bras, plus que ravi d’avoir enfin une présence rassurante auprès de lui. 
-                Coucou, bonhomme, lui sourit gentiment le garçon. Bah alors, que s’est-il passé ?
-                Je me suis téléporté… encore, avoua honteusement le garçon. Je suis désolé… 
-                Ne t’excuse pas, ce n’est pas grave. Tu ne t’es pas fait mal en atterrissant ici ?
-                Non, pas du tout ! mentit fièrement l’enfant.
Nathanaël se tourna vers Cinaed qui attendait en se balançant d’un pied sur l’autre, ne sachant comment réagir.
-                Antoine, tu veux bien me laisser parler avec Cinaed un moment, s’il te plaît ? lui demanda-t-il.
-                Oui, d’accord !
Une fois l’enfant parti, le sourire faussement joyeux du jeune homme s’effaça pour laisser place à l’inquiétude.
-                Il a pas mal de coupures, on dirait… 
-                Je m’en suis occupé, le rassura Cinaed.
-                Bien… Cin’ ?
-                Oui ?
-                Je suppose que tu veux que je le prenne avec moi ?
-                A moins que tu ne préfères qu’il finisse traumatisé… 
-                Je ne peux pas.
Silence… 
-                QUOI ?
-                Chut, baisse d’un ton ! Cinaed, je viens d’emménager. Chez moi, il n’y a rien, on part dès demain avec Azela pour s’acheter des meubles et vivre à peu près décemment. Je ne vais trimballer ce pauvre gamin de magasins en magasins alors qu’il pourrait être tranquille ici.
-                Nat’, tu sais bien que je…
-                Cin’, je sais, mais… c’est une étape importante pour Azela et moi, tu comprends ?
-                Je ne peux pas, Nat’ !
-                Pourquoi, tu as une réunion importante prévue durant les deux prochains jours ?
-                Non, mais… 
-                Alors il n’y a pas de problème.
Il s’approcha du jeune homme et continua à voix basse pour être sûr de ne pas se faire surprendre d’Antoine.
-                Ce n’est pas en fuyant que tu vaincras tes démons, Cin’. Ce gamin est terrifié, bouleversé… Mets-toi à sa place, demande comment tu voudrais qu’on agisse envers toi. Je te fais confiance.
Quand Nathanaël ferma la porte derrière lui, Cinaed vit Antoine débouler dans le couloir, l’air terrifié.
-                Mais… et moi ? murmura-t-il.
Cinaed passa une main fatiguée sur son visage.
-                Toi, tu restes avec moi, marmonna-t-il.
-                Quoi ? s’étrangla l’enfant.
-                Tu m’as bien entendu ! cria Cinaed, à bout de nerfs.
Il se figea en voyant les larmes dans les yeux de l’enfant. Ah… Il avait encore merdé… Il repensa au conseil de Nathanaël. Agir, agir… Comment ? Il se souvenait aussi de ces instants où son père lui criait après sans raison apparente. Alors que, dans ce genre de moment, lui, tout ce qu’il voulait… Cinaed s’accroupit à hauteur de l’enfant et lui offrit un maladroit sourire qui ne rassura pas vraiment le gamin.
-                Je crois que l’on est parti sur de mauvaises bases, toi et moi, commença-t-il avec hésitation.
-                … 
-                Ecoute… Ton papa reviendra te chercher dans quelques temps. En attendant, on ferait mieux de bien s’entendre, tu ne crois pas ?
-                Il revient quand ? demanda timidement Antoine.
Cinaed passa une main gênée sur sa nuque et eut l’air de réfléchir.
-                Dans un jour ou deux. Dès qu’il le pourra.
-                … 
-                Heu… Je… Tu as faim ?
Les yeux de l’enfant s’allumèrent et il hocha vigoureusement la tête. Cinaed lui fit signe de le suivre, mais, alors qu’il se détournait de lui, il sentit une main tirer sur sa manche et baissa la tête. Antoine lui tendait ses bras, une moue à la fois suppliante et adorable sur le visage. Mais le garçon ne saisit pas le message. Il fronça les sourcils et, doucement, frappa dans les mains tendues. A la vue de la tête de l’enfant, il sut que ce n’était pas ce qu’il voulait.
-                Heu… Oui ? finit-il par demander. Je suis désolé, mais je n’ai pas un détecteur pour comprendre le langage des bébés, moi !
-                J’suis pas un bébé ! protesta vivement Antoine, vexé.
-                Oui, oui… Alors quoi ?
-                Je voulais juste que tu me prennes dans tes bras, couina le fils d’Ael.
Surpris, Cinaed comprit qu’il avait une nouvelle fois gaffé. Il souleva le petit corps dans ses bras et le sentit se pelotonner contre lui avec ravissement. Un petit sourire vint effleurer les lèvres du dessinateur.
Peut-être que cette cohabitation ne sera pas si terrible que ça, finalement… 
 
-                Tu as abandonné ce pauvre gosse alors ? pouffa Lizzie.
Elle était assise dans un fauteuil, juste à côté de Gabrielle, où elle dessinait de futurs plans pour la transformation du bâtiment. Le téléphone coincé entre l’épaule et la tête, elle écoutait Nathanaël tenter de se justifier.
-                Si ça se passe bien, peut-être qu’Ael et Cinaed reviendront sur leur décision.
-                Mais oui, Cupidon… le taquina Lizzie. Donc, en somme, même si le gamin est en pleurs et que Cinaed nous fait une dépression nerveuse, je ne dois pas accepter sa charge ?
-                Heu, peut-être que si, arrivés à de telles extrémités, non ?
-                Je retiens, je retiens. Je saute du coq à l’âne, mais, et votre déménagement ?
-                Impeccable. On compte s’acheter quelques meubles dès demain et aussi se mettre à la recherche d’un petit travail en attendant de pouvoir recommencer des études.
-                Je vais transformer le bâtiment en auberge de jeunesse. J’aurai besoin de main d’œuvre, si cela vous intéresse.
-                On n’y manquera pas.
Nathanaël et elle échangèrent quelques paroles avant que ce soit au tour d’Azela d’avoir le téléphone. Après de longues minutes de bavardage, Lizzie raccrocha, un petit sourire aux lèvres.
-                Ils sont si heureux, chuchota-t-elle. On sera comme ça, nous aussi, à ton réveil ?
Mais elle ne reçut aucune réponse de la part de l’intéressée… 

Le bain fut un enfer… Déjà, il avait fallu courir dans tout l’appartement pour attraper le monstre, puis hausser la voix parce que crapahuter dans tous les sens n’avait pas été suffisant. Après la capture, l’emprisonnement. Et garder un sauvageon dans une baignoire pleine… non, impossible. Une fois le bain vidé de toute son eau, ça devient plus probable, mais, après, il y a un sacré coup de serpillière à passer et des vêtements à faire sécher. En somme, ce fut un moment très dur pour les nerfs du dessinateur. Mais il ignorait que le pire était à venir… L’heure de l’histoire ! Et, évidemment, Antoine refusa de céder. Il voulait son histoire et il était décidé à l’avoir. Cinaed, bien embêté, piocha dans sa propre bibliothèque parce qu’il n’avait guère d’imagination pour créer des scénarios à l’improviste.
Mais il avait oublié un léger détail. Un Stephen King pour dormir, ça passe quand on est un adulte aguerri. Un enfant de cinq ans… beaucoup moins.
C’est pourquoi, au beau milieu de la nuit, il se fit attaquer par un monstre pleurnicheur. 
-                C’est Carriiiiiiiie ! Elle vient me chercheeeeeeeer !
Et il se planqua sous la couette de Cinaed, plaquant ses pieds glacés contre lui. Autant dire qu’il apprécia peu le geste… Il allait l’enguirlander quand il croisa ses yeux pleins de larmes.
-                Heu… Tu as peur ?
-                Oui ! hurla l’enfant sur un ton de reproche. L’histoire que tu m’as lue faisait trop peur !
-                Ben, elle est pourtant bien, cette histoire… 
-                Non !
-               
-                … 
-                Heu, tu comptes rester là ?
-                J’ai peur !
-                Ah, heu… Qu’est-ce qu’il fait, ton père, dans ces cas-là ?
Antoine ouvrit de grands yeux. Puis un sourire rêveur vint flotter sur ses lèvres. 
-                On se fait un chocolat chaud, on mange des bonbons et on regarde la télé en faisant un câlin.
-                Ah… Heu… Tu veux un chocolat ?
-                Je veux bien, acquiesça timidement Antoine.
Le frère de Gabrielle poussa un soupir et quitta la chaleur des draps, suivi de près par l’enfant apeuré. Une fois le chocolat fait et les petits beurres Lu sortis de leur cachette, Cinaed s’assit sur le canapé avec l’enfant sur les genoux. Cette fois-ci, il prit bien garde de choisir un programme adapté à l’âge d’Antoine. Après avoir passé une bonne vingtaine de minutes à grignoter les biscuits et à rire des gags de Tom et Jerry, le fils adoptif d’Ael se laissa aller contre Cinaed. 
-                Cinaed… murmura-t-il.
-                Hum ? grogna le dessinateur à moitié endormi.
-                Pourquoi tu as fait du mal à mon papa ?
Sa voix était plaintive. Cinaed rouvrit doucement les yeux et choisit soigneusement ses mots.
-                Je l’ai blessé en prenant une mauvaise décision, lui avoua-t-il doucement.
-                A cause de moi ?
-                Ce n’est pas ta faute… 
-                Tu ne veux pas partager papa ?
Cinaed fronça les sourcils et fit face au regard on ne peut plus sérieux du garçonnet. Ce fut au tour de celui-ci de passer aux confidences.
-                Au début, j’étais content que papa soit qu’à moi. Mais papa, il a mal. Alors, si c’est pour qu’il soit heureux… je veux bien le partager. Mais attention, qu’avec toi, hein !
Cinaed médita un moment ses paroles.
-                Dis, Antoine, ça ne te gêne pas ?
-                Quoi ?
-                Que ton papa soit amoureux d’un homme ?
-                Ben non, pourquoi ?
-                Parce qu’il arrive que… Ah, comment t’expliquer… que des gens trouvent ça… anormal.
-                D’aimer ? émit l’enfant qui ne semblait pas comprendre.
-                Non, enfin, oui… c’est que… Heu… Tu vois, il existe un grand livre appelé la Bible qui condamne l’amour entre deux hommes. Ce livre dit même qu’ils finiront en enfer.
-                En enfer ? s’étrangla Antoine. 
-                Et il y a des gens qui croient ce qu’il y a écrit dedans.
-                Et toi ?
-                Heu, c’est… Hé, tu sais quoi ?
-                On s’en fiche ?
-                Ouais, totalement !

-                Chéri, veux-tu bien quitter ce portable des yeux ?
Nathanaël poussa un soupir et rangea l’appareil dans sa poche avant d’offrir un sourire à sa compagne qui bataillait depuis tout à l’heure entre deux couleurs de coussins (à savoir bleu roi et bleu pas-roi-mais-presque-c’est-une-jolie-nuance-tu-ne-trouves-pas-Natou-chéri ?).
-                Désolé, s’excusa-t-il.
-                Si tu t’inquiètes tant pour Cinaed et Antoine, appelle-les, va les voir, mais cesse d’être à l’ouest alors que je tente de capter ton attention depuis tout à l’heure !
Elle gonfla les joues en une manière faussement vexée qui attendrit son fiancé. Il déposa un rapide baiser sur ses lèvres.
-                Nous irons les voir ce soir, qu’en penses-tu ? proposa-t-il. Ça ne te dérange pas ?
-                Non, bien sûr que non. A une condition.
-                Laquelle ?
-                Dis-moi lequel des deux coussins je dois prendre !
-                Ben, c’est pas les mêmes ?
-                Bien sûr que non, enfin !
-                Ah… 

Le soir venu, une fois qu’ils eurent déposés leurs nouveaux achats au studio, les deux fiancés partirent pour rendre visite à leurs infortunés compagnons. Au pied de l’immeuble, ils eurent la surprise de tomber sur Lizzie qui s’apprêtait à monter. Elle leur tint la porte avec le pied le temps qu’ils la rejoignent dans le hall. 
-                Vous arrivez à temps, se réjouit-elle. J’allais justement constater les dégâts par moi-même.
-                On a eu la même idée, à ce que je vois, sourit Azela. Mais, personne n’est avec Gabrielle ?
-                Si. Anaïs Arra est restée avec moi pour l’instant, le temps de voir ce qu’elle compte faire pour la suite. Du coup, elle s’est proposée pour veiller sur  Gabrielle.
-                Ah, je me disais aussi !
-                De quoi ?
-                Que la Lizzie poule que tu es n’aurait jamais laissé sa dulcinée sans surveillance !
La jeune femme choisit de ne pas relever. Ils arrivèrent enfin au palier que Cinaed partageait avec Lydéric quand un gigantesque cri retentit :
-                Là, c’est trop ! Tu vas me le payer ! Tu vas regretter d’être né !
Tous trois s’élancèrent sans se concerter et déboulèrent dans l’appartement à une vitesse folle !
-                Antoine ! Cinaed !
Les deux intéressés, respectivement habillés en cow-boys, en posture de duel, échangèrent un regard étonné. Ben quoi ? Nathanaël cligna des yeux, abasourdi.
-                Mais que s’est-il passé ici ?!
L’appartement était sans dessus dessous ! Quelques meubles renversés, des tiroirs ouverts, des coussins qui semblaient avoir volé à travers les cieux… Un tableau fort désordonné, en somme ! 
-                Ouais ! cria Antoine qui sauta dans les bras d’Azela. Vous venez jouer aussi ?!
-                Jouer ? répéta Lizzie en haussant un sourcil.
Antoine se mit à débiter sa journée avec un enthousiasme grandissant, tout à sa joie d’avoir trouvé un auditoire aussi attentif. Nathanaël émit un petit rire et sourit à Cinaed.
-                On dirait que ça ne s’est pas aussi mal passé, le taquina-t-il. Tu as peut-être un don insoupçonné avec les enfants, qui sait ?
-                Ça été un peu compliqué au début, mais on finit par s’y faire, sourit le dessinateur. Antoine n’est pas trop compliqué à comprendre.
-                Alors j’ai bien fait de te le confier, hein ?
-                Tu me le paieras quand même.
-                Je n’en doute pas une seconde.
-                Cin’ ! l’interrompit Lizzie. Je propose qu’on se fasse une soirée diététique ! Tu as de quoi faire des crêpes ?

Grâce à la clé de Lydéric, Ael put entrer directement dans le hall sans avoir à appeler Cinaed. Il consulta l’heure dans une grimace. Il devait être dans les alentours de cinq heures, peut-être devrait-il attendre un peu avant d’aller secouer Cinaed, un véritable ours au réveil, celui-là… En même temps, il était vraiment inquiet pour son bonhomme. Il n’avait pas réussi à joindre les fiancés, ignorait leur nouvelle adresse et Lizzie n’était pas chez elle… En somme, il n’avait pas eu d’autre choix que de se tourner vers le dessinateur. Il délaissa rapidement ses inquiétudes et monta rapidement les étages. L’appréhension devenait de plus en plus forte alors qu’il gravissait les marches. Il ignorait comment il allait réagir face à Cinaed. Il espérait seulement ne pas retomber dans ses bras… Il se le refusait…
Quand il arriva au palier, il remarqua très vite la porte entrouverte de l’appartement de Cinaed. Ses anciens réflexes d’agent prirent le dessus et son pas se fit aussi silencieux et léger que celui d’une ombre… Il se coula dans l’appartement sans un bruit. Là, il découvrit un spectacle qui le cloua sur place.
Couchés au travers une multitude de coussins colorés, cinq corps dormaient, pelotonnés les uns contre les autres. Azela dans les bras de son fiancé, le nez niché dans son cou. Contre son épaule, les mains soigneusement écartées, Lizzie semblait tellement paisible… Mais ce qui attendrit le plus le jeune homme fut Cinaed qui tenait dans le creux de ses bras puissants un minuscule Antoine qui dormait profondément. Le cœur d’Ael se mit à battre plus fort devant pareil tableau. Et si… ? Ne voulant pas briser l’harmonie et la sérénité qui se dégageait des endormis, le jeune homme recula à petits pas. Il venait de faire plus de vingt-quatre heures de vol, ayant souhaité repartir à peine l’avion à terre, et il était épuisé. Ne pouvant résister à l’appel du canapé, il s’allongea dessus et s’endormit aussitôt.

Quand Cinaed rouvrit les yeux, la matinée était déjà bien avancée. Il se redressa en prenant garde de ne pas réveiller l’enfant endormi. Il constata que Lizzie n’était plus là, mais les fiancés dormaient encore. Un bruit lui parvint depuis la cuisine. Il s’y dirigea et eut la surprise de tomber sur Ael aux fourneaux. Ce dernier se tourna vers lui et le dévisagea sans un mot. Puis il saisit la tasse à café qu’il venait de se servir et la lui tendit.   
-                Merci, murmura Cinaed.
Il s’assit à table, ne sachant que dire. Ael était en train de laver la vaisselle de la veille. Seul le bruit de l’eau qui coulait et de l’éponge frottée contre les assiettes troublaient le silence inconfortable.
-                Tu… Heu… finit par balbutier le dessinateur. Tu es rentré depuis longtemps ?
-                Quelques heures, confia Ael.
-                … 
-                Tu t’en es sorti avec Antoine ? Lizzie m’a dit que c’était toi qui t’en étais occupé.
-                Oui, ça a été. C’est un petit garçon très gentil.
-                Ah oui… 
Le silence, de nouveau. Cinaed savait qu’Ael le mettait à l’épreuve et il maudissait ses propres doutes.
-                Ael ? hésita-t-il.
-                Oui ? répondit tranquillement le jeune homme.
-                Tu m’en veux ?
-                Oui.
Ça avait au moins le mérite d’être clair… Cinaed se racla la gorge, gêné.
-                Je… Je suis désolé.
-                Pour ?
-                Ne pas t’avoir apporté mon soutien. Ça doit être très dur pour toi de gérer un enfant qui disparaît à tout bout de champ.
-                Je l’ai adopté en connaissance de cause.
-                … Tu sais pourquoi j’ai refusé ?
Ael cessa de frotter la vaisselle. Il essuya méticuleusement ses mains avec un torchon et se retourna, le bas du dos appuyé contre l’évier.
-                Je me doute, acquiesça-t-il. Tu fais un blocage par rapport à ta propre enfance, non ?
Le dessinateur opina du chef. Il leva un regard un peu perdu sur le jeune homme qui lui faisait face.
-                Je ne sais pas comment réagir avec les enfants. Je ne voulais pas qu’Antoine me haïsse.
-                Tu aurais dû me le dire, soupira Ael.
-                Je sais… 
-                Tu ne me fais pas confiance ?
-                Si, bien sûr que si ! Ce n’est pas la question… c’est plutôt en moi que je n’ai pas confiance.
Ael eut un minuscule sourire. Il vint s’accroupir devant son amant et posa ses mains sur ses genoux.
-                Moi, j’ai confiance en l’homme que j’aime, lui murmura-t-il. Je t’en sais capable, Cin’… Mais je ne t’y forcerai pas.
Il se releva doucement, mais sentit soudain des doigts se refermer sur son poignet. Instinctivement, il se tendit, mais se laissa tirer sur les genoux de Cinaed qui referma ses bras de manière possessive autour de son corps. Il plongea son nez dans son cou.
-                Je veux bien essayer, marmonna-t-il.
Ael eut un sourire où sa joie et son soulagement transparaissaient. Il se mussa dans les bras de son amant avec plaisir. Cette sensation de plénitude lui avait manqué… Il avait cru la perdre à tout jamais… 
-                Je t’aime, mon petit jeteur de flammes, lui murmura-t-il.
-                Je t’aime, mon ange… 
Ils échangèrent un tendre baiser, comme un pacte plein de promesses et d’avenir. Une simple caresse qui débordait de sentiments et de sensations, d’images, de sons, de couleurs et de parfums. Cinaed se recula à contrecœur. 
-                Une famille… murmura-t-il sans oser y croire.
Une étincelle s’alluma dans les yeux d’Ael. Il attrapa les doigts de son amant qu’il serra fort entre les siens.
Une famille, confirma-t-il.

5 commentaires:

SouLEateR5 a dit…

Cinaed est trop fort XD

Eragon a dit…

Adorable, le tchô !

Daviiiid a dit…

trop meugnon ce chap !

Jacques a dit…

Moi je le trouve chiant le gamin -_-

Anonyme a dit…

Une famillllllllllllle ! Waiiiiii !