lundi 17 juin 2013

EROS ET THANATOS, CHAPITRE 17

Scène de crise





La sonnette émit un son particulièrement désagréable aux oreilles de Cinaed à cette heure encore matinale. Il grogna comme un ours avant de rabattre sa couette sur la tête. Allongé à ses côtés, encore à moitié endormi, Ael ouvrit un œil. 
-                Tu attends quelqu’un ? demanda-t-il.
-                Non, grommela dessinateur. C’est mon jour de congé, aujourd’hui, qu’on me foute la paix.
Ael esquissa un sourire et passa une main tendre dans les cheveux ébouriffés de son amant. Ce dernier apprécia la caresse quelques instants avant de prendre Ael dans ses bras et de caler sa tête sur son torse. L’ex-agent se laissa aller entre ses bras protecteurs, mais la sonnette continuait toujours de retentir.
-                Je crois que ton visiteur insiste, fit-il remarquer.
-                Oublie-le.
-                Ce n’est pas bien raisonnable, ça… 
-                M’en fiche, ‘veux rester au lit, comme ça… 
Trente secondes plus tard… 
-                Mais c’est qui cet abruti qui s’acharne sur la sonnette ?!
Exaspéré, Cinaed quitta rapidement la chaleur des draps, décider à enguirlander celui ou celle ou ceux qui osai(en)t gâcher son jour de congé ! Ael poussa un soupir et se décida à sortir du lit à son tour. Il s’habilla d’un tee-shirt qui traînait et d’un boxer avant de gagner la cuisine pour faire du café.
-                C’était qui, Cin’ ? demanda-t-il quand il entendit la porte claquer.
-                Ael… gronda son amant. Qu’est-ce qu’ils foutent là ?
L’intéressé se retourna… et reçut deux monstres dans les bras !
-                Julie ! Gof ! s’exclama-t-il.
-                Ael, tonton Cinaed fait peuuuuur ! gémit le garçonnet.
-                Mais qu’est-ce que vous faites là ? n’en revenait pas le jeune homme.
-                ‘Voulais te voir ! répondit Julie, un large sourire sur le visage. T’es content, hein ?
-                Bien sûr, toujours, mais…
-                On peut savoir comment vous êtes venus ici ? soupira Cinaed qui sentait un mal de tête poindre le bout de son nez.
-                Lizzie nous a conduits ! annonça fièrement Gof.
“Alors elle, si je l’attrape… !” se promit le jumeau de Gabrielle.
-                Vous avez mangé, au moins ? voulut savoir Ael en fronçant les sourcils.
-                Non ! répondirent les deux monstres en chœur.
-                Je vois… Des céréales, ça vous tente ?
-                Oh, oui !
-                On devrait avoir ça, allez vous asseoir dans le salon…
Les enfants obéirent dans la joie et la bonne humeur. Cinaed poussa un grognement très évocateur.
-                On ne va pas les garder toute la journée, si tu ne veux pas, lui assura Ael. Mais on ne va pas les renvoyer comme ça, le ventre vide. Après, on pourra les ramener.
-                J’espère bien, je veux une journée tranquille, que diable !
Ael consulta sa montre rapidement (celle que lui avait prêtée Lydéric et qu’il n’avait toujours pas rendue) et grimaça.
-                Je suis désolé, Cin’, mais j’ai un truc urgent à faire, tu veux bien t’occuper d’eux ?
-                Tu m’abandonnes ?! s’indigna le jumeau de Gabrielle.
-                Juste la matinée, je reviens après.
-                Mais… 
-                Je dois me dépêcher, je vais être en retard !
Il passa en coup de vent dans la chambre pour s’habiller. N’ayant aucun vêtement à lui, il dû piocher dans l’armoire de son amant. Tout en enfilant un pull, il revint dans la cuisine pour boire une tasse de café. Cinaed l’observa faire sans rien dire.
-                Où tu vas ? finit-il par demander.
-                A un entretien d’embauche, répondit Ael.
-                Tu n’es pas obligé de travailler, mon salaire est suffisant pour deux.
-                Je sais.
-                Alors, pourquoi ?
Ael sembla réfléchir à la question. Finalement, il indiqua d’un simple haussement d’épaules qu’il n’y avait pas réellement pensé. Il alla embrasser les deux enfants qui s’étaient installés devant un épisode des Totally Spies puis gagna l’entrée pour se chausser. Une fois qu’il fut prêt, il se tourna vers son amant.
-                Je serai revenu pour manger, lui annonça-t-il.
-                D’accord. Bonne chance.
-                Merci.
Cinaed lui donna un chaste baiser en guise d’au revoir, mais refusa de défaire son étreinte. Il garda encore un moment son amant dans ses bras.
-                Cin’, je dois y aller, murmura Ael.
-                Encore un instant.
-                Je reviens vite, arrête de t’en faire.
-                Promis ?
-                Mais oui, mais oui, allez, je vais vraiment être en retard, là… 
Cinaed le relâcha à contrecœur. Amusé par sa mine boudeuse, Ael attrapa son visage entre ses doigts pour l’embrasser avec toute la tendresse qu’il ressentait. Le dessinateur demeura immobile, yeux clos.
-                Je t’aime, lui murmura l’ex-agent. Autant qu’il y a six ans… 
Ael passa la porte. Cinaed poussa un soupir et se frotta l’arrière du crâne d’une main ennuyée, encore troublé par cet aveu, ne pouvant s’empêcher de sourire bêtement. En entendant les rires de deux enfants dans le salon, il se reprit. Le plus dur restait à venir… 
-                Le premier qui utilise ses pouvoirs ici, je lui montre le mien !

Ael avait menti. Le cœur serré à cette idée, il demeura debout quand le métro se mit en branle. Il fixait sans les voir les gens qui se pressaient ce matin-là dans l’espace étroit de la rame. Il pouvait sentir leur chaleur, il pouvait entendre leurs rires ou leurs chuchotements, mais c’est comme s’il ne faisait pas partie de leur monde.
Il avait menti. Ses doigts se resserrèrent sur la barre à laquelle il était accroché pour ne pas tomber. A quoi bon chercher un travail ? Il était un temps où il aurait tout donné pour un métier qu’il aime. Après avoir déménagé, il avait intégré un lycée français où il s’en était très bien sorti puis il avait été accepté dans une école préparatoire, mais qu’il n’avait jamais achevée. A cette époque, il avait cessé d’attendre un signe de Cinaed et tentait désespérément de l’oublier. Il avait eu quelques amourettes, mais jamais rien de bien sérieux, jamais quelque chose qui le remuait, qui le faisait vibrer. Il s’était tourné vers les études pour échapper à la solitude glacée qui habitait son cœur.
Puis, un soir, alors qu’il sortait des cours, il y avait eu cette rencontre magique, exceptionnelle.
Et il s’était retrouvé dans la brigade.
Ael descendit à sa station. Quelle mâtinée pourrie… Son entretien avec la police, une demi-heure plus tôt, lui avait donné envie de pleurer. Rien, encore et toujours aucun signe de vie malgré les avis de recherche diffusés à travers la France.
Où était-il… ?
Son regard s’assombrit. Et le reste de la matinée s’annonçait tout aussi désastreux… 
Cinq minutes de marche plus tard, il pénétrait dans le hall de l’hôpital. Lizzie l’attendait dans la chambre de Gabrielle, nerveuse.
-                Ils sont déjà arrivés ? lui demanda-t-il.
-                Ils sont en train de discuter avec le médecin.
Le jeune homme glissa la main dans sa poche et caressa la crosse de son revolver. Ses doigts tremblaient… Il remarqua alors le regard inquiet de Lizzie et lui offrit un petit sourire crispé.
-                Ne t’en fais pas… 
-                Cinaed n’est pas venu ?
-                Je ne lui ai rien dit.
-                Mais, ce qui est en train de se jouer, c’est… !
-                Je sais…
La porte s’ouvrit sur trois personnes. Ael et Lizzie se levèrent, terriblement nerveux. Le médecin s’avança, l’air extrêmement ennuyé.
-                Monsieur Duncin, mademoiselle Ymay… 
-                Docteur, le saluèrent poliment les deux visiteurs.
Ael se tourna vers le couple qui était entré avec le médecin. Une femme au dos courbé par la fatalité, au visage émacié par les regrets et un homme à la face ravagée.
Ravagée par des flammes haineuses qui avaient rugi six ans plus tôt.
Les parents Helldi.
Tous trois échangèrent des regards froids et lourds. Puis le père de Gabrielle se tourna vers Lizzie, un sourcil haussé.
-                Je peux savoir ce qu’une négresse fait auprès de ma fille, Duncin ? grinça-t-il.
-                Quelle est votre décision ? répliqua calmement Ael.
La mère s’était assise près de sa fille dont elle tenait la main.
-                Ça ne peut plus durer, murmura-t-elle. Les médecins sont formels, Ael. Elle ne se réveillera pas.
-                Nous allons la débrancher, conclut le père.
Les deux parents échangèrent un regard où transparaissait toute leur douleur. Ael ferma les yeux alors que son cœur se serrait à lui en faire mal.
-                Vous vous foutez de moi ?! hurla Lizzie. Vous ne pouvez pas faire ça à votre fille !
-                Ça ne sert plus à rien ! cria madame Helldi alors qu’elle enfouissait son visage dans la main de Gabrielle. A quoi bon attendre ?! Cet espoir me tue, je n’en peux plus ! Cela suffit !
-                Vous ne pouvez pas ! Vous n’en avez pas le droit ! Gabrielle reviendra ! C’est une battante, une battante, vous entendez ?!
-                Vous ne croyez que ce n’est pas déjà assez dur comme ça ? répliqua monsieur Helldi d’un ton glacial. Vous croyez que l’on n’aime pas notre fille ?
-                Vous avez bien rejeté votre fils !
-                Vas-tu te taire, insolente ?!
-                Monsieur Helldi, baissez ce bras ! lui cria Ael.
Il voulut s’approcher de Lizzie, mais cette dernière le repoussa. Alors que la tristesse et la rage déformaient ses traits, elle se pencha sur Gabrielle à qui elle vola un baiser débordant de passion et de colère.
-                Moi, j’aime votre fille ! hurla Lizzie alors qu’elle se redressait.
-                Pourquoi la corrompre elle aussi ? gémit le père de Gabrielle, tremblant de rage. Ce monstre m’a déjà pris mon fils, faut-il que vous preniez aussi ma fille ?
Ledit monstre ne baissa pas les yeux. Il prit Lizzie par les épaules, doucement, mais fermement, et l’obligea à reculer.
-                Après tout, ce n’est pas comme si nous allions les laisser faire, chuchota-t-il au creux de son oreille.
La jeune femme sursauta et leva les yeux sur Ael qui lui souriait tranquillement. Elle leva alors ses mains à hauteur d’yeux. Ces mains qui avaient déjà causé tant de ravages, qui avaient transformé Azela en tueuse, qui avaient réduit son foyer en lambeaux… Pourraient-elles sauver la personne qu’elle aimait ? Elle vit à peine le garçon sortir de sa poche son revolver. Ce furent les cris qui la tirèrent de ses pensées. Ceux des Helldi, ceux du médecin. 
-                Sortez tous de cette chambre, ordonna l’ex-agent d’un ton incroyablement froid. Le premier qui essaie de débrancher Gabrielle se retrouvera avec du plomb dans le corps, suis-je assez clair ?
-                Vous n’oseriez pas, répliqua crânement le père de Cinaed d’une voix pourtant tremblante.
-                Ne me donnez pas une raison supplémentaire de vouloir vous descendre, monsieur Helldi, sourit doucereusement Ael. Sortez !
Ils furent forcés d’obéir. Ael bloqua la porte dès qu’il ne resta plus que Lizzie et lui dans la pièce. La jeune femme s’assit sur le lit de Gabrielle, les jambes sciées par l’émotion.
-                Que va-t-on faire, maintenant ? murmura-t-elle.
-                Tu es la dirigeante de l’anti-brigade, Lizzie, répliqua Ael. Tu as les moyens d’agir, non ? 
-                Que veux-tu dire ?
L’ex-agent rangea son revolver dans son manteau. Lizzie fronça les sourcils.
-                Qu’est-ce que tu faisais avec un revolver ? le questionna-t-elle.
-                Une mesure de sécurité, rien de plus, répondit le jeune homme. Cela fait trois ans maintenant que j’ai toujours une arme sur moi, une habitude.
-                … 
-                Il va falloir que l’on sorte. La police devrait débarquer d’un moment à l’autre, nous ne pouvons pas rester ici.
-                Et comment on s’échappe, gros malin ?
-                Je te l’ai dit, Lizzie. Tu es la dirigeante de l’anti-brigade. Rien n’est un problème pour toi, non ?

Nathanaël avait repris le volant de bonne heure. Il aimait rouler, cela lui procurait une impression de liberté. Sur le siège à côté de lui, Azela ne cessait d’admirer sa bague. Elle s’était pâmée longuement dans le rétroviseur le matin même, heureuse à n’en plus finir. 
-                J’ai hâte qu’on annonce la nouvelle, soupira-t-elle une énième fois.
-                Et moi donc ! s’enthousiasma Nathanaël. Qui sait, ça pourrait donner des idées à Cinaed !
-                C’est bien vrai !
Le visage d’Azela s’assombrit alors légèrement et elle se rencogna dans son siège. Surpris par sa saute d’humeur, Nathanaël lui jeta un coup d’œil inquiet.
-                Ça ne va pas ?
-                C’est juste que… Ça doit être dur, pour Lizzie.
-                A cause de Gabrielle ?
-                Oui… Et elle est la dirigeante de l’anti-brigade. Cette charge lui pèse tant.
-                Ne t’en fais pas pour ça, tout sera bientôt terminé. Elle nous l’a promis, souviens-toi. Plus de brigade, plus d’anti-brigade… Juste nous.
-                Oui, c’est vrai… Ce sera bien, n’est-ce pas ?
-                Ça, ça ne tient qu’à nous !
Nathanaël se pencha pour baiser rapidement les cheveux de son aimée avant de se concentrer sur la route. Azela alluma la radio qui crachota une musique dansante. Ravie, elle se trémoussa sur son siège sous le regard à la fois désespéré et amusé de son amant.
-                Tu es irrécupérable, souffla-t-il.
-                Je sais !
Nathanaël allait répliquer quand un bruit sourd attira son attention. Azela, sans perdre un instant, bondit de son siège.
-                Qui est là ? appela-t-elle.
Personne ne lui répondit, mais, dans la semi-pénombre de la caravane, elle devina une petite forme recroquevillée sur elle-même vers laquelle elle s’avança alors. Son fiancé, après avoir garé leur véhicule sur le bas-côté et allumé les feux de détresse, rejoignit sa petite amie.
-                Tout va bien ? lui demanda-t-il.
Il la trouva accroupie près du lit sous lequel semblait s’être réfugiée une forme humaine. La petite fille de Nestor se redressa, l’air ahurie. 
-                C’est un enfant.
-                Un enfant ? répéta bêtement le jeune homme.
-                Ouais, un gosse, un tout jeune. Viens, petit, l’invita-t-elle gentiment en tendant une main rassurante. On ne te fera aucun mal, tu n’as pas à t’en faire.
A force de paroles rassurantes et de propositions alléchantes, ils finirent par faire sortir l’enfant de sa cachette qui put, comme promis, dévorer une part de tarte de la veille, installé confortablement sur les genoux de Nathanaël pour qui il s’était soudainement pris d’affection. Azela attendit qu’il eût englouti la pâtisserie pour le questionner. 
-                Comment t’appelles-tu, bonhomme ?
-                Antoine, et j’ai cinq ans, clama l’intéressé en brandissant sa main, secouant ses cinq doigts tendus sous le nez de la jeune femme.
-                Moi, c’est Azela et lui, Nathnaël. Dis-moi, Antoine, comment t’es-tu retrouvé dans la caravane ?
Le visage du garçonnet se ferma à cette question. Nathanaël, contre ce silence obstiné, saisit Antoine sous les aisselles pour le retourner et lui faire face.
-                Tu ne veux pas nous le dire ?
-                Papa m’a dit que j’avais pas le droit, murmura Antoine.
-                Où est ton papa, petit cœur ?
-                Je sais pas…
-                Quelle honte ! clama Azela. Laisser un pauvre gosse tout seul ! C’est totalement irresponsable, indigne d’un père !
-                C’est pas sa faute ! protesta vivement le garçonnet, visiblement soucieux de défendre son père.
Nathanaël eut un tendre sourire et déposa un baiser sur le sommet du crâne d’Antoine
-                Tu as sûrement raison, on ne remet pas en cause ton père, ne t’en fais pas.
-                Que fait-on ? questionna Azela. Le mieux serait de le déposer au prochain poste de police, tu ne crois pas ?
-                Je ne pense pas que cela arrangerait les choses… Un gamin avec un pouvoir, Dieu seul sait ce qu’ils en feront !
-                Un pouvoir ? répéta sa fiancée, surprise.
-                Comment crois-tu qu’il ait débarqué dans la caravane alors qu’on roulait à près de cent trente kilomètres heure sur l’autoroute ?
-                Ce n’est pas vrai ! s’empressa de le contredire Antoine.
-                Ne t’en fais pas, bonhomme, Azela et moi possédons aussi un pouvoir. Tu n’as pas besoin de nous le cacher.
-                … C’est vrai ?
-                Promis, juré !
Un large sourire fendit le visage d’Antoine.
-                Emmenons-le à Lizzie, décida Azela. De là, on trouvera bien un moyen de contacter ses parents.

Greuz surveillait Julie et Gof qui écoutaient une histoire lue par Siméon. Attendri, le mastodonte se laissa aller à la rêverie, mais la sonnerie de son téléphone le refit brutalement chuter sur terre. Il fouilla ses poches alors que les enfants lui lançaient un regard mauvais, mécontents qu’on interrompe leur moment lecture. Greuz s’excusa d’une grimace et s’isola pour décrocher.
-                Allô ?
-                Greuz, c’est Lizbeth. J’ai besoin de ton aide.

Cinaed consulta sa montre une nouvelle fois, sourcils froncés. Il était près de quatorze heures, mais que faisait Ael ? Il lui avait pourtant promis de revenir pour le déjeuner ! Il grogna, mécontent, et attrapa son portable avant de se rappeler que son amant n’en avait pas. Où son entretien pouvait-il bien se dérouler ? Peut-être que Lydéric aurait une idée. Il s’apprêtait à sortir quand son téléphone sonna. 
-                Allô ?
-                Ael, j’ai une bonne nouvelle ! Je l’ai enfin r…
-                Qui êtes-vous ?
La voix était féminine avec un semblant de familiarité. Où l’avait-il déjà entendu ? A l’autre bout du fil, il devina l’hésitation de son interlocutrice. 
-                Est-ce qu’Ael est ici ? finit-elle par demander.
-                Non, il est absent, répliqua Cinaed qui commençait à s’irriter. Qui êtes-vous et que lui voulez-vous ?
-                … Dites-lui qu’Anaïs Arra a appelé. Il faut qu’il me contacte au plus vite, c’est extrêmement urgent. 
-                Attend… ! Merde, elle a raccroché ! Qu’est-ce qu’elle lui voulait ?

Quand Greuz arriva dans le hall de l’hôpital, il ne fut guère surpris par la grande quantité d’agents de police qui occupaient les lieux. Le mastodonte poussa un soupir découragé alors que Julie observait autour d’elle avec intérêt.
-                Et que sommes-nous censés faire, maintenant ? murmura Edda d’une voix peu assurée.
Lizzie, après délibération avec Ael et Greuz, avait autorisé qu’on relâche Edda, jugeant que ses capacités en informatique seraient précieuses. Et puis elle pourrait veiller sur Julie quand celle-ci userait de son pouvoir.
Greuz, de son côté, était tremblant rien qu’à l’idée de faire de nouveau usage de son pouvoir. Il avait refusé de s’en servir depuis qu’il avait plongé Gabrielle dans le coma. Mais, si c’était pour la sauver, il était prêt à tout. La jeune italienne  lui offrit un sourire crispé.
-                Bon, et si on y allait ?

Il régnait dans la chambre un silence tendu. Lizzie faisait les cent pas, peu sûre de la tournure des évènements. Tout ce qu’elle voulait, c’était que Gabrielle survive, mais s’ils échouaient maintenant… Elle ne pourrait se le permettre. Ael, lui, s’était assis sur une chaise, son revolver à portée de main, prêt à faire feu au moindre problème. Ses doigts pianotaient nerveusement sur l’accoudoir en plastique. Agacée par son attitude tendue et ce silence électrique, Lizzie finit par prendre la parole : 
-                Tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu étais entré dans la brigade.
Les doigts d’Ael cessèrent tout mouvement. Hésitant, il finit par se lever pour marcher jusqu’à la fenêtre. Lizzie, se doutant qu’il ne lui répondrait pas, choisit de ne pas insister, mais la voix de son ami s’éleva soudain.
-                J’avais besoin du pouvoir d’Anaïs Arra. Elle a accepté de m’aider si en échange j’entrais dans la brigade.
-                Si je me souviens bien, Arra peut visualiser les gens à distance ainsi que les espaces, c’est bien cela ?
-                Oui… 
-                Pourquoi avais-tu besoin d’un tel pouvoir à ta disposition ?
-                C’est… Je… 
Un soupir rauque souleva la poitrine d’Ael. Quand il reprit la parole, Lizzie pouvait sentir dans sa voix une tristesse profonde, ancrée à même son âme.
-                J’ai un enfant, Lizzie.
La jeune femme écarquilla les yeux. Pourquoi… une telle peine ? Un enfant n’était-il pas une chose merveilleuse ? Elle ne fit aucune remarque, attendant simplement qu’Ael se décide à parler. Ce dernier se tourna vers elle, un sourire amer sur les lèvres.
-                Il n’est pas de mon sang, mais je l’aime comme un fou. Je l’ai trouvé alors que je faisais des recherches sur vous auprès de réseaux plutôt louches. A l’époque, j’espérais encore avoir la possibilité de remonter jusqu’à vous tous… Mais… 
Il prit une goulée d’air bienvenue, la poitrine soudainement lourde sur ses poumons. Il était tremblant, au bord des larmes.
-                C’est sur lui que je suis tombé. Un tout petit être, tu aurais dû le voir. Je l’ai trouvé dans la rue, un soir de printemps. Né prématurément, les médecins ne lui donnaient aucune chance de survie. Mais il s’est battu, le petit bonhomme. Il a survécu. Il n’avait aucune famille, alors je l’ai adopté. Malheureusement, je n’étais pas au bout de mes peines parce qu’il a développé à une vitesse fulgurante un don de téléportation complètement hors de contrôle.
Lizzie fronça les sourcils, voyant peu à peu où Ael venait en venir.
-                Alors, pour le retrouver, tu as fait appel à Arra, déduisit-elle doucement.
-                Je n’avais pas d’autre choix. Tu imagines, un bébé qui dort dans son berceau et qui, l’instant d’après, se retrouve à des kilomètres de là ? Je n’osais jamais le quitter du regard ! Alors, Arra m’a proposé un deal et j’ai accepté. Grâce à la brigade, nous avons pu plus ou moins lui apprendre à canaliser et maîtriser son pouvoir…
Ael baissa les yeux, la gorge nouée, les poings crispés alors que ses ongles s’enfonçaient dans la chair tendre de ses paumes. Lizzie sentit son chagrin l’étreindre à son tour, un chagrin qui la faisait suffoquer. Elle se leva, n’osant le prendre dans ses bras de peur que son pouvoir ne frappe encore. Voyant ses gestes hésitants, Ael ne put s’empêcher de sourire, touché par sa tendresse maladroite. 
-                Merci, Lizzie, mais ça va aller… C’est juste que… qu’il a disparu, il y a près de trois semaines et que Madame Arra n’a pas réussi à le localiser depuis. Il n’a que cinq ans, je suis si inquiet… 
-                Ael… Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé ? Nous aurions pu t’aider, tu le sais ! Alors… 
-                Et comment aurait réagi Cinaed, à ton avis ? répliqua le jeune homme avec amertume. Il ne supporte pas Julie et Gof qui sont pourtant adorables. Il ne m’acceptera jamais avec un enfant…
-                … Je te pensais plus intelligent que ça.
-                Pardon ?
-                Ael, réfléchis deux secondes. Cinaed t’aime, il acceptera l’enfant, arrête de t’en faire. Je t’en donne ma parole.
-                Je ne demande qu’à te croire, mais tu crois vraiment que… 
-                J’en suis absolument certaine, lui sourit Lizzie. Et compte sur moi, nous allons le retrouver ! J’ai hâte de le rencontrer.
Ael sentit une douce chaleur envahir sa poitrine. Pour la première fois depuis trois semaines, il se détendit réellement. Il allait remercier Lizzie quand une ondulation dans l’air les figea. Lizzie, aussitôt sur ses gardes, recula jusqu’au lit de Gabrielle, prêt à la défendre au péril de sa vie. Ael, lui, eut un sourire. 
-                Tout va bien, lui assura-t-il. Julie entre en action.

L’eau en suspension était une œuvre artistique à elle seule. Les éclaboussures accrochaient les rayons du soleil, gouttelettes scintillantes dans l’atmosphère. Le liquide s’écrasait au fond de l’évier en un tube de glace et se répandait en une large fleur translucide au fond de la porcelaine. Edda s’ébroua et se tourna vers Julie qui se baladait gaiement entre les gens du hall, statufiés grâce à son pouvoir. Quelle magnifique maîtrise ! Elle manipulait son pouvoir à la perfection.
-                Julie ! l’appela Edda. Viens avec moi, on va s’occuper d’effacer toute trace informatique de Gabrielle.
-                J’arrive ! s’écria joyeusement l’enfant.
Elle attrapa la main que lui tendait l’italienne. Cette dernière lui sourit tendrement, surprise elle-même par l’affection qu’elle portait à cette gamine. Avant, elle l’avait toujours vue comme un danger potentiel, comme une hybride… Pourtant, elle lui semblait si humaine, là, à rire et à lui sourire. Edda serra sa petite menotte dans la sienne, un sourire triste sur les lèvres. Et si Ael avait eu raison ? Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir Greuz qui montait les escaliers quatre à quatre en direction de la chambre de Gabrielle. C’était à elle de jouer, maintenant… 

3 commentaires:

SouLEateR5 a dit…

Mission sauvetage enclenchée ! XD Trop fort Ael !! respect !

Clamafia… a dit…

Mais tue-les ces connards de parents Helldi ! Tss…

MiniSOLO a dit…

Julie et Gof sont pas mal dans leur genre X) j'espère que Cinaed ne va pas trop leur faire peur :p