lundi 17 juin 2013

EROS ET THANATOS, CHAPITRE 9

Scène de révélations






-                Ael !
Le garçon refusa de répondre. Tant que ses jambes le portaient, il était décidé à continuer de courir. Vite… il voulait s’éloigner au plus vite ! Loin de cette douleur. Loin de lui… Il sentit soudain une main se refermer sur son poignet. 
-                Bon sang, tu cours vite !
Cinaed reprenait difficilement son souffle. Ael dégagea vivement son poignet.
-                Qu’est-ce que tu me veux ? demanda-t-il sèchement.
-                Ael… 
Le jeune homme essuya rageusement les larmes traîtresses qui étaient parvenues à trouver le chemin de ses yeux. Cinaed, triste, voulut le prendre contre lui, mais le garçon le repoussa.
-                Ne me touche pas !
-                Mais laisse-moi t’expliquer, au moins ! Ce n’est pas ce que tu crois !
-                Ah oui ? ricana amèrement le jeune homme. Tant mieux pour toi. Laisse-moi, maintenant !
-                Arrête de crier et écoute-moi !
-                Je ne veux pas t’écouter !
Cinaed jeta un regard circulaire.Les gens commençaient à s’arrêter et à les observer, se questionnant sur la situation. Agacé, le garçon attrapa son ami par les épaules. Ce dernier voulut se dégager, mais Cinaed ne lâcha pas prise.
-                Cinq minutes ! supplia-t-il. Accorde-moi cinq minutes !
-                Non !
-                Ael, je t’en prie ! Rien que ça ! Je ne te retiendrai pas plus longtemps !
-                … OK, céda l’ami de Nathanaël. Cinq minutes, pas plus.
-                Super ! Viens !
-                Où ? se braqua immédiatement le garçon.
-                On ne va pas rester plantés en plein milieu de la rue. Il y a un café juste à côté.
Ael le suivit, mais refusa de prendre la main que Cinaed lui tendait. Leur court trajet se passa dans un silence électrique. Ils pénétrèrent dans un petit établissement à l’atmosphère chaude et calme. Les murs lambrissés, les lampes tamisées et le vieux comptoir en bois donnaient à l’endroit une touche vintage tout à fait charmante. Les deux jeunes hommes s’assirent près d’une table en verre.  
-                Cinq minutes, rappela Ael.
-                Je t’aime.
Le garçon se crispa. Cinaed attaquait d’entrée de jeu. Les cinq minutes allaient lui être particulièrement pénibles, il le sentait.
-                Ael, je t’aime, répéta Cinaed d’un ton presque désespéré. Ce n’est pas un mensonge, tu peux me croire.
-                Tu n’as pourtant pas bien mis longtemps à me remplacer.
Il voulut partir, mais Cinaed le retint.
-                Les cinq minutes ne sont pas écoulées ! protesta-t-il.
-                On n’a rien à se dire ! Laisse-moi partir !
-                Laisse-moi m’expliquer, bon sang de bois ! Tu es plus têtu qu’une bourrique !
-                … Très bien. Je t’écoute.
Ils se rassirent. Cinaed sembla hésiter, puis se lança.
-                Sais-tu pourquoi je suis homosexuel ?
-               
-                Par dégoût. Un jour, j’ai vu mes parents coucher ensemble. Ma mère est une personne soumise, elle a été élevée dans cet esprit-là… Au lit, c’était pire que tout. Mon père l’humiliait, lui crachait au visage… Après ça, je n’ai jamais pu considérer le sexe comme quelque chose… d’attirant.
La surprise d’Ael s’étalait sur son visage. Attentif, désormais, il avait tout oublié : le temps, sa colère… Il ne voyait plus que cette personne en face de lui qui souffrait et qu’il avait envie de réconforter. Cinaed réprima ses larmes et continua son récit.
-                Je n’ai jamais voulu tomber amoureux, pour moi, c’était hors de question. Il en était de même pour Gabrielle. Elle a toujours refusé les avances des garçons, pourtant nombreuses. Puis, le jour où mon père a découvert que j’étais gay… il m’a renié. Et j’ai été chassé de la maison.
Ael écarquilla les yeux.
-                Gabrielle m’a alors suivi et on s’est mis à vivre de nos propres moyens. On a tous les deux intégrés le lycée de Honeda et c’est là que je t’ai rencontré. Tu étais toujours seul, caché derrière tes grandes lunettes. J’ai eu envie de te taquiner, mais, à peine ai-je ouvert la bouche que tu m’envoyé sur les roses. Dès lors, j’étais amoureux.
-                Tu ne serais pas un peu masochiste, toi ? railla Ael. Si je me rappelle bien, tu m’avais abordé en disant “Hé, le vilain petit canard !”.
-                Exact, et toi tu m’as répondu “Quoi, l’affreux crapaud ?” Je dois avouer que ça m’avait surpris… 
-                Hum… 
-                Après, je me suis vraiment mis à agir bizarrement. A certains moments, je ne me reconnaissais pas… Une fois, je t’ai suivi pour savoir où tu habitais ! Ensuite, je suis resté tard dans la rue, rien que pour t’apercevoir à la fenêtre !
-                Là, t’es vraiment flippant, tu te rends compte ?
-                Mais je n’osais même pas t’adresser la parole ! Alors je ne faisais que t’observer de loin. Et heureusement que je l’ai fait !
Ael porta la main à sa gorge. Oui… Il savait parfaitement ce à quoi Cinaed faisait allusion.
-                Tu avais l’habitude de rejoindre Nathanaël le soir, dans la cabane au fond de son jardin. Ce gars avait l’obligation de rester chez lui, mais comme c’était ton voisin, tu allais souvent le voir. Pour tout t’avouer, je pensais même que vous étiez amants !
-                Pas avec Nathanaël ! grimaça Ael. J’aurai l’impression de coucher avec un frère !
-                Oui, ben, je ne pouvais pas le savoir. Donc j’allais espionner de temps en temps.
-                Tu aurais pu te faire arrêter pour ça, tu sais ?
-                Qu’importe ! Te savoir dans les bras de ce taré m’était insupportable !
-                … 
-                Un soir, j’ai entendu des éclats de voix… Puis le bruit d’un objet qui se brise, une lutte… Tu peux te vanter de m’avoir foutu la trouille de ma vie ! J’avais tellement peur que j’ai cessé de réfléchir. Mes flammes ont surgi et ont tout dévoré, y compris ton ami qui s’en est sorti avec pas mal de brûlures. Et toi… Tu… 
Ressasser ce souvenir lui semblait très pénible. Ael baissa les yeux, soudainement honteux. Il avait l’impression d’être cruel, de faire souffrir Cinaed… Enfin, le garçon se reprit.
-                Tu étais évanoui au milieu des flammes, la gorge marquée par des traces rouges. J’ai cru pendant un instant que tu étais mort. Je t’ai pris dans mes bras… et je t’ai ramené chez toi… D’ailleurs, c’est là que je t’ai embrassé pour la première fois !
-                Q, q, q, q, qu… QUOI ?!
-                Je pensais que c’était un amour à sens unique ! se justifia Cinaed. A l’époque, je croyais que n’aurais plus jamais l’occasion de t’embrasser !
“Mon premier baiser, volé, dans mon sommeil ! n’en revenait pas Ael. Ce mec finira par me faire perdre la tête !”
-                Ael… 
-                Quoi ? grogna le garçon.
-                Les cinq minutes sont passées depuis quelques minutes, fit remarquer Cinaed.
Ael sursauta. Il n’avait pas du tout fait attention au temps ! Il se heurta au sourire ravi de Cinaed et sut qu’il avait perdu. Néanmoins, il fronça les sourcils.
-                Alors c’était qui ? attaqua-t-il.
-                De ? s’étonna Cinaed.
-                Le gars que tu tenais par la main tout à l’heure et avec qui tu as sûrement fait d’agréables galipettes.
-                Aucune idée.
Ael jeta un regard suspicieux à Cinaed.
-                Je t’assure ! se défendit celui-ci. Je ne sais même pas comment il s’appelle ce gars. J’ai couché avec lui plus pour contrarier mon père qu’autre chose !
Puis il sembla brusquement se rendre compte de la situation et dévisagea Ael avec des yeux ronds.
-                Mais… T’es là !
-                Heu, ouais.
-                Je ne m’attendais pas à recevoir ta visite ! Mais j’en suis très touché, merci.
L’ami de Nathanaël esquissa un timide sourire. Cinaed, aux anges, quitta sa chaise pour s’asseoir près du jeune homme. Timidement, silencieusement, il lui prit la main puis avança son visage vers le sien. Agacé par ses hésitations, Ael reprit possession de ses doigts qu’il noua derrière la nuque de son amoureux pour l’attirer à lui. Leur baiser se fit doux, plein de tendresse.
-                Je t’aime, lui chuchota Cinaed.
-                Le dernier bus pour Honeda est à dix-huit heures, je ne peux pas rester très longtemps. En plus, il faut que je ramène Lizzie chez elle.
-                Lizzie ? Ah, la fille dans le salon ! C’est qui exactement ?
-                L’amour de ta sœur, je pense.
-                HEIN ?!
-                On s’est rencontré au commissariat de police.
-                Qu’est-ce que tu faisais là-bas ? se méfia Cinaed.
-                Ce n’est rien.
-                Si ce n’est rien tu peux me le dire… Non !
-                Q… Quoi ? sursauta Ael.
-                Tu es allée voir cette policière timbrée !
-                Hein ? Marielle ? Plus elle est loin de moi, mieux je me porte !
-                Alors ?   
-                Je me suis battu, voilà t’es content ! s’emporta Ael.
-                Battu ?
-                J’ai collé une dérouillée à deux imbéciles. On m’a retenu en garde à vue quelques jours après ça. J’ai fait la connaissance de Lizzie là-bas. Elle cherchait un moyen de retrouver Gabrielle et ce moyen, c’était moi. A deux, on a eu suffisamment de courage pour venir vous retrouver.
-                Hé bé, mon petit ami est un délinquant !
Ael rougit furieusement à cette appellation. Amusé, Cinaed passa un bras autour de sa taille, ce qui ne fit qu’accentuer le cramoisi des joues du garçon.
-                Alors, sinon, pourquoi tu t’es battu ?
-                … 
-                Je n’ai pas entendu.
-                Ils t’avaient insulté… 
Surpris, Cinaed s’écarta pour observer attentivement Ael. Ce dernier, boudeur, détourna les yeux.
-                Tu ne devrais pas te battre pour ce genre de choses, lui sourit doucement Cinaed en prenant son menton entre ses doigts.
-                Cin’… 
Ael voulut l’embrasser, mais les chuchotements autour d’eux le figèrent. Il croisa le regard dégoûté de certaines personnes et des larmes brûlantes vinrent chatouiller ses yeux. Il se dégagea de l’étreinte de son amant. 
-                Cin’, sortons, s’il te plaît, chuchota-t-il.
Le garçon comprit et tous deux quittèrent l’établissement en vitesse. Cinaed, contrarié, marmonnait dans sa barbe tout en traînant des pieds. Son air bougon amusa Ael et il chassa de son esprit le regard des gens dans le café. Il ralentit sa marche pour être à sa hauteur et lui saisit la main. Leurs doigts s’entrelacèrent.
-                Cinaed, j’aimerais revenir sur quelque chose que tu as dit, tout à l’heure.
-                Hum ?
-                Sur le fait que tu sois homosexuel. Selon moi, tu ne l’es pas.
Le jeteur de feu l’observa d’un air étonné. Son regard se porta sur leurs mains liées. Qu’est-ce que racontait Ael ?
-                Hein ? finit-il par articuler.
-                Pas plus que moi ou un autre, d’ailleurs. Personne ne l’est.
-                Heu, Ael… J’ai peur de ne pas… te suivre.
L’intéressé poussa un soupir. Il aurait dû se douter que Cinaed ne suivrait pas son raisonnement.
-                Ecoute, je n’ai jamais pensé que les termes homosexuels ou hétérosexuels aient un sens. Ce ne sont que des étiquettes dont les gens s’affublent sans raison. Je trouve ça débile.
Le jumeau de Gabrielle se mit à réfléchir au sens de ses paroles, surpris, n’ayant jamais vu les choses sous cet angle. Une… étiquette ?
-                On tombe amoureux d’une personne, c’est tout, ça n’a rien à voir avec le sexe, expliqua le jeune homme aux yeux bleus. Voilà pourquoi ces étiquettes sont inutiles. Mais après, ce n’est que mon humble conception de l’amour, rien de plus. 
-                … 
-                Je suis tombé amoureux de toi, avoua Ael, les joues légèrement rosées. Mais ça ne veut pas dire que demain je ne trouverai pas une fille ou un autre garçon canon et que je n’en tomberai pas follement amoureux.
-                Hé ! protesta Cinaed, sourcils froncés.
-                Je te taquine, ne t’inquiète pas.
Ael lui offrit un beau sourire, mais son visage s’assombrit très vite. “Demain”… Son cœur se serra en songeant que, bientôt, demain justement, il s’envolerait vers un pays inconnu, laissant derrière lui la personne dont il était amoureux. Il fallait qu’il le lui dise… Il le fallait, mais… 
-                Cinaed !
Le garçon s’arrêta et se tourna vers Ael. Ce dernier sembla hésiter. Il prit une grande inspiration. 
-                Cinaed, reprit-il, j’ai quelque chose à te dire.

-                Pourquoi tu as dit à ton ami qu’on s’aimait ?
Nathanaël, qui était sur le point de boire à la bouteille, suspendit son geste. Un petit sourire triste vint étirer ses lèvres.
-                Inutile de l’inquiéter avec ce genre de choses.
-                Tu sais parfaitement que je t’ai utilisé pour échapper à la brigade…  murmura Azela.
-                C’est vrai, je le sais.
-                Mais alors, pourquoi tu… 
-                Je te l’ai dit. Ael a déjà ses soucis, je ne vais pas lui ajouter les miens. Et puis, qui te dit que je n’étais pas sincère dans mes paroles ?
-                Arrête de dire de telles âneries, veux-tu !
Elle se redressa. Nathanaël poussa un soupir puis lui emboîta le pas. Ils se dirigèrent vers une vaste demeure.
-                C’est ici qu’habite ton grand-père ? C’est immense !
-                Pas tant que ça quand on y est habitué.
Ils montèrent une volée de marche pour tomber sur un palier qui donnait directement sur un vaste hall.
-                C’est un principe chez vous, ne pas avoir de porte ? plaisanta Nathanaël.
Azela s’accroupit et fit couler entre ses doigts la poussière accumulée sur le seuil. Une expression de colère transfigura son visage. 
-                C’est le pouvoir de cette garce.
-                Un pouvoir ? Cette fille en a un également ?
-                Oui… On pourrait appeler ça le pouvoir de la mort. Elle fait vieillir instantanément tout ce qu’elle touche. Si bien que tout redevient poussière… 
-                Je croyais qu’elle les faisait voir aux autres.
-                Ça… C’est uniquement avec les êtres vivants. C’est comme si elle leur implanter une partie de la mort dans le corps… Après, tu ne désires qu’une chose : succomber, trépasser, mourir… Pour que tout s’arrête.
Azela frissonna, le regard perdu dans les tréfonds de pensées cauchemardesques. Puis elle se ressaisit et franchit le seuil. Une foule de souvenirs remonta en elle, lui mettant les larmes aux yeux. Elle avait passé toute son enfance dans cette demeure, avec ses parents et son grand-père… Jusqu’à ce qu’il ramène cette fille. Cette enfant abandonnée dans la rue à la peau noire comme le charbon. Elles avaient appris à vivre ensemble sans se toucher. Elle représentait la mort à elle seule, l’avoir près de soi était à la fois terrifiant et grisant… 
Le hall était dans un état épouvantable, vestige d’une beauté passée, aux couleurs ternes et effacées, au goût de poussière. Les deux guéridons qui trônaient de chaque côté de l’emplacement de la porte étaient rayés, couverts de taches, ils avaient une texture rugueuse, désagréable au toucher. Une tapisserie délavée et rongée par les mites couvrait un pan de mur. Elle était si abîmée qu’en deviner le sujet était ardu ! Mal à l’aise, Nathanaël avança timidement. Azela, elle, semblait lutter contre la foule d’émotions qui la submergeait. Tranquillement, le garçon glissa sa main dans la sienne. Ce contact arracha la jeune fille de ses pénibles souvenirs.  
-                Nat’… murmura-t-elle.
-                Je te l’ai dit, lui sourit-il. Moi, je suis sincère.
Elle fronça les sourcils et dégagea sa main pour toute réponse.
-                Allons-y, grogna-t-elle.
-                Oui, oui. 
Ils gravirent un escalier pour atteindre l’étage supérieur. Les marches menaçaient de craquer sous leur poids à tout moment. La maison elle-même partait en lambeaux ! Azela bouillait de colère. Ses mains tremblantes osaient à peine effleurer les murs lépreux de son foyer.  
-                Elle a tout détruit, murmura-t-elle avec haine. Tout… 
-                Azela…
-                Je la déteste !
Des larmes de rage vinrent perler sur ses joues. Nathanaël s’approcha et, doucement, l’attira à lui.
-                Je suis là, chuchota-t-il. Tu n’as rien à craindre… 
-                Nat…
Le craquement d’une latte de plancher les mit aussitôt sur leurs gardes. Ça y est, ça allait s’écrouler ! Mais il ne s’agissait que d’un homme, armé d’une lampe torche, qui les regardait avec stupéfaction. Le faisceau de lumière tremblait dans sa main.
-                A… murmurait-il. Az… A… 
-                Grand-père !
Azela se précipita dans ses bras ! La lampe torche s’éclata à terre. Et, dans la semi pénombre, Nestor enlaça sa petite-fille de toutes ses forces.

-                Je ne m’attendais pas à te revoir un jour.
Nestor souriait avec tendresse à sa petite-fille. Assise dans un canapé, cette dernière tenait la main de Nathanaël, souriante, calme et tranquille.
-                Je ne voulais pas finir ma vie là-bas. Heureusement, Nat’ était là pour moi.
L’intéressé parvint à grimacer un sourire. Il n’était pas du tout, mais alors pas du tout, du tout à l’aise ! A quoi jouait donc Azela ? Elle lui jeta un regard qui signifiait clairement “Tu as intérêt à jouer le jeu, toi !” Le jeune homme tâcha d’adopter un air naturel, mais la pression qu’exerçait Azela sur ses doigts ne l’aidait en rien. La jeune fille se redressa légèrement et, tâchant de garder un calme apparent, elle demanda :
-                Alors, où est-elle ?
Nestor eut un mouvement de recul. Le regard de sa petite-fille avait changé, il était froid, dur… impitoyable. Un regard qui le mettait au pied du mur, face à ses erreurs passées, un regard qui le glaçait. Il tâcha de garder contenance.  
-                Elle n’est pas là, répondit-il. Elle est absente aujourd’hui.
-                Ah oui ? Tu la laisses sortir maintenant ? Tu veux qu’elle en transforme d’autres, des comme moi ?
La voix d’Azela se faisait de plus en plus grinçante au fil de ses questions. Nestor voulut parler, mais elle le coupa, hurlant cette fois-ci. 
-                Tu les livreras à la brigade ?!  Comme moi ?!
Elle broyait les doigts de Nathanaël désormais. Ce dernier l’obligea doucement à se rasseoir. Elle tremblait tant la rage et la frustration qui l’habitaient étaient difficiles à contenir.
-                Calme-toi, Azela, la pria-t-il. Ce n’est pas néc… 
-                Mais qu’est-ce que tu en sais, toi ?! s’époumona-t-elle. Comment peux-tu comprendre ce que j’ai vécu ?! Sais-tu ce que c’est que d’être trahie, détruite par la personne que tu considérais comme ta propre sœur ?! De savoir que c’est elle, et uniquement elle, qui t’as transformée en monstre ?!
-                Non, je l’ignore, répliqua-t-il tranquillement. Contrairement à toi, j’ai eu la chance d’être soutenu jusqu’au bout par un ami qui croyait en moi. Mais, crois-moi, Azela, je sais ce que c’est, la trahison. Tu…
-                La ferme ! La ferme, la ferme !
Elle se leva et parcourut le salon d’un pas vif. Elle s’assit devant l’âtre vide de la cheminée et ramena ses jambes pour les serrer contre elle.
-                Je l’attendrai ici, décréta-t-elle. Ce parasite reviendra, je le sais. Quelques heures de plus ne changeront rien, cela fait des années que j’attends ce moment.

-                A, attention, Gab’ !
-                Râh, c’est vraiment pas pratique, tes mains !
-                D… Désolée… 
-                Ne t’excuse pas.  
-                Désolée… 
Gabrielle esquissa un petit sourire et se rassit sur ses talons. Elle évalua rapidement les dégâts du regard. Bon, à part expliquer la disparition de quelques bibelots de sa mère, il n’y avait pas l’air d’avoir de problème. Elle se redressa.
-                Du café ? proposa-t-elle.
-                Je veux bien, acquiesça timidement Lizzie.
-                Deux sucres, mais pas de lait, n’est-ce pas ?
-                Tu me connais bien !
Gabrielle disparut dans la cuisine. Lizzie resta un moment assise, heureuse et quelque peu étourdie. Elle observa autour d’elle. La maisonnette ne ressemblait guère à l’appartement dans lequel vivait Gabrielle avec son frère. C’était beaucoup moins chaleureux, beaucoup plus… oppressant. La sonnerie d’un portable la fit sursauter. Elle chercha du regard l’engin et le vit qui vibrait sur la table basse. 
-                Gab’ ! Un appel de ton frère ! signala Lizzie.
-                Ah, zut ! Qu’est-ce qu’il peut bien me vouloir, celui-là ?
La lycéenne courut dans le salon et saisit le mobile qu’elle colla à son oreille.
-                Ouais ? grogna-t-elle.
-                Gab’, c’est moi.
-                Je sais. Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as une toute petite voix. Ça s’est mal passé avec Ael ?
-                Ael ? Non, non, pas du tout, tout va bien, il est avec moi, là. C’est juste que je viens d’apprendre qu’il déménageait alors… voilà quoi. Je te prévenais que je risquais de ne pas rentrer, ce soir.
-                Cin’… Tu…
-                A plus !
-                Cinaed !
Mais il avait déjà raccroché. Gabrielle observa un moment son portable avec stupéfaction… puis éclata de rire. Lizzie, surprise, la regardait avec de grands yeux.
-                Hé bien, qu’est-ce qu’il y a ?
-                Ah, ce frère… Je crois qu’il aime vraiment Ael.
-                Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
-                Son sérieux, sûrement.
-                Et moi alors ? On pourrait cesser de se préoccuper de ton frère et s’intéresser à nous ?
-                Tu as bien raison… 
Gabrielle s’approcha lentement et passa une main sur son visage avant de happer ses lèvres. Les deux jeunes filles, avides l’une de l’autre, collaient leurs corps en une danse pressée, empressée.
-                Gab’… chuchota Lizzie.
-                Contrôle tes mains, toi… 
-                Oui… 
-                Lizzie… Lizbeth… 
Elles s’embrassèrent de nouveau, avec une faim dévorante. Gabrielle introduisit sa langue dans la bouche de sa partenaire. De son muscle, elle en retraça les contours, en savoura le goût, marqua son territoire. Si elle voyait quelqu'un s'y aventurer, la jeune fille jura de le tuer. Pas de quartier. Elle garderait jalousement son domaine, sa possession. Son palais devint son terrain de jeu, elle s’y aventura pour y fréquenter l’interdit. C’était si bon… 
La sonnette vint interrompre ce moment d’extase. Dans un grognement de frustration animale, Lizzie se recula.
-                Je reviens tout de suite, promit la jumelle de Cinaed. Attends-moi là.
-                OK… 
Gabrielle esquissa un petit sourire avant de s’empresser de gagner l’entrée. Lizzie poussa un soupir où se mêlaient son ennui et son désir. Pourvu que Gabrielle fasse vite…
-                Qui êtes-vous ? Reculez ! Vous n’avez rien à faire ici !
-                Gabrielle !
Affolée par les éclats de voix de la lycéenne, Lizzie se précipita dans l’entrée.

-                Cin’, c’est une mauvaise idée.
-                On peut convaincre ta famille comme ça, j’en suis sûr !
-                Mais tu es tombé sur la tête, ma parole !
-                Et puis, sinon, ça veut dire qu’on ne va pas se revoir avant un long moment. Alors j’ai envie de passer la journée de demain avec toi.
-                Mais… Et Lizzie ?
-                Laisse-la avec Gab’ ! Préoccupe-toi de moi, ne regarde que moi… 
Ael n’osa pas lui avouer qu’il n’avait nullement besoin de lui demander une telle requête pour qu’il s’exécute. Il était bien la seule chose qu’il avait envie de regarder, la seule personne qu’il ne se lassait pas de contempler.
-                C’est notre arrêt, signala Ael.
Ils descendirent du bus. Revenir à Honeda rendit Cinaed soudainement mélancolique. C’est là qu’il avait rencontré Ael, là où il avait commencé à travailler pour la première fois, là où il avait fait ses premiers pas dans l’indépendance et l’âge des responsabilités. Il sentit soudainement des doigts se glisser entre les siens. Ael lui offrit un sourire dont il avait le secret.
-                Et si nous y allions ?
-                Mais, et tes parents ? s’inquiéta soudainement Cinaed. Comment vont-ils réagir ?
-                C’est un peu tard pour penser à ça, non ? railla son petit ami.
-                Oui, mais…
-                Alors cesse de te poser des questions et viens.
Bien qu’il s’efforçait de paraître détendu, Ael était en réalité assez nerveux. Déjà, il était parti de la maison sans rien dire, mais, en plus, il revenait avec un garçon. Ses parents ne risquaient pas de beaucoup, beaucoup apprécier… Sa mère devait d’ailleurs l’attendre en embuscade derrière la porte, car elle lui ouvrit avant même qu’il ait eu le temps de sonner.
-                Ael Duncin ! attaqua-t-elle. Tu as cinq minutes pour m’expl… Heu, qui est-ce ?
-                Il s’appelle Cinaed, maman, lui indiqua Ael. Cin’, ma mère.
-                Bonsoir, madame, la salua poliment Cinaed.
-                Heu, bonsoir… 
-                Il peut rester pour ce soir ? se risqua Ael.
-                Mais, notre avion… 
-                Aucun problème.
-                Bon, alors… 
Elle s’écarta pour laisser place à son fils et à cet inconnu. Ael retira ses chaussures et guida Cinaed dans le salon où seule trônait une table pliable.
-                Tout est déjà emballé, alors ce sera pizza ce soir, sourit le garçon. Ça te va, Cin’ ?
-                Moi ? Ah, heu, oui !
-                Ael ?
Monsieur Duncin fronça les sourcils à la vue de Cinaed.
-                Ce ne serait pas lui avec qui tu as fugué ? demanda-t-il sèchement.
-                Et si c’était le cas ? répondit son fils sur le même ton.
-                J’espère que ça ne l’est pas. 
-                Heu, si je gêne… commença Cinaed.
-                Pas du tout ! Tu voudrais prendre une douche, peut-être ?
-                Heu, je… 
-                Je te montre le chemin.
Il l’entraîna à l’étage sans plus de cérémonie. Cinaed jeta un coup d’œil vers le rez-de-chaussée.
-                Tu es fâché avec tes parents, constata-t-il.
-                Oh, dans quelques jours tout au plus, ça ira mieux, assura Ael. Ma mère convoquera tout le monde autour de la table, on mettra les points sur les “i” en criant un bon coup, mais, au final, tout rentrera dans l’ordre.
-                Tu en es sûr ?
-                On a toujours été comme ça. La première grosse dispute qu’on a eu, c’était quand j’ai appris que j’avais été adopté.
-                Tu as été adopté ?!
A y regarder de plus près, il était vrai qu’Ael ne ressemblait pas du tout à ses parents. Alors que lui semblait d’origine asiatique, les Duncin étaient clairement Européens ! Le garçon eut un sourire. 
-                Oui ! Ça se voit quand même, non ? Tous deux sont français, alors que moi, je suis métis, origine asiatique, avec du sang anglais, je crois, un truc de ce genre. 
-                Oh… 
-                Voilà la salle de bain. Tu peux utiliser cette serviette, les autres sont déjà emballées.
-                Et toi ?
-                Quoi, moi ?
-                Tu restes avec moi, quand même !
-                Heu, Cin’, mes parents… 
-                Hé bien ? On ne sait pas quand est-ce qu’on se reverra après ça. Je veux tu sois tout à moi !
Ael poussa un micro soupir, mais un sourire taquin jouait sur ses lèvres. Cependant, quand Cinaed voulut l’embrasser, il lui asséna gentiment une petite tape sur le front et se recula.
-                Non, quand même pas.
-                Oh, mais que vois-je ? Tu glisses, Ael !
-                Hein ?
Avant qu’il puisse protester plus longtemps, Cinaed le souleva et l’entraîna dans la cabine de douche.
-                Oh, tu as glissé ! Mais quel maladroit tu fais, tu as même allumé l’eau sans le faire exprès !
Un jet d’eau froide jaillit du pommeau de douche et trempa bien vite les deux garçons de la tête aux pieds, collant leurs vêtements à leur peau.
-                Ce n’est pas bien malin, le réprimanda le jumeau de Gabrielle. Tu es vraiment maladroit ! Allez, enlève ces vêtements avant d’attraper un rhume !
-                Cin’… 
-                Oui ?
-                Je vais t’étrangler, tu en as conscience ?
Pour toute réponse, Cinaed écrasa sa bouche contre la sienne avec une avidité animale. Ael hoqueta, transporté. Il noua ses bras autour du cou de son amant et pressa son corps au sien. “Oh oui, songea Cinaed alors qu’il serrait Ael tout contre lui, étrangle mon souffle avec tes lèvres, étrangle ma vie dans ton étreinte, étrangle-moi, mais ne me quitte pas. Ne me quitte pas… Je voudrais tant que tu ne me quittes pas !”
Comme si c’était à lui de décider du destin de son amant ! Il l’aimait, le désirait, jusqu’à vouloir le posséder tout entier. Mais il savait que jamais cela n’arriverait… Ael se détacha de lui, ahanant. Il retira ses vêtements trempés et les jeta en boule dans le lavabo. 
-                Après tout, ce n’est pas comme si c’était la première fois qu’on prenait notre douche ensemble.
-                Oui, oui, chantonna Cinaed.
Ael n’esquissa pas un geste pour l’aider à se déshabiller. Il poussa un soupir. “Bon, ma première fois sera dans une douche, alors…” Il observa un moment le jeune homme qui lui faisait face. Curieusement, il n’appréhendait pas l’acte. Il se sentait si bien en sa présence… Il lui faisait entièrement confiance.
Et il partit à l’exploration du corps de son partenaire.

Azela tournait comme un fauve en cage dans le salon. Nathanaël, toujours assis dans un fauteuil, l’observait sans rien dire. Nestor, quant à lui, grignotait lentement un petit gâteau trop sec. Sa petite-fille s’arrêta brusquement dans sa marche et se tourna vers lui.
-                Et elle revient quand, cette ordure ?! Elle compte me faire attendre encore combien de temps ?!
-                J’ignore quand elle reviendra, avoua le majordome, inquiet pour sa protégée. Il se fait tard… 
Il sentit soudainement son portable vibrer dans la poche de son pantalon. Il voulut l’attraper, mais le regard aiguisé d’Azela l’en dissuada. C’est elle qui alla chercher le mobile.
-                Tu as reçu un texto, constata-t-elle. Qui est cette Marielle ? Ton amante ? railla-t-elle.
Elle fronça les sourcils à la vue du visage blême de son grand-père. Elle s’empressa de lire le message, mais il était tellement énigmatique qu’elle n’en comprit un traître mot. Elle se tourna vers Nestor, ignorant l’air inquiet de Nathanaël.
-                Qu’est-ce que cela signifie ? “Ton lapin a été pris au collet, un deuxième s’ajoutera bientôt à leurs trophées” ? Tu fais des parties de chasses, maintenant ?
Il y avait un tel mépris dans son ton que l’ami d’Ael éprouva presque de la pitié pour ce pauvre vieillard aux épaules affaissées par le poids des âges. Mais il ignora ce sentiment inutile et le rejeta violement. Il s’adressa à son tour à Nestor :
-                Quel rapport avez-vous donc avec ma sœur ?
-                Ta sœur ? sursauta Azela. Tu crois que cette personne est… ?
-                Je n’en doute pas. Alors ? Est-ce bien Marielle Ouïmo ?
-                C’est elle, acquiesça doucement Nestor.
Il semblait soudain terriblement nerveux. Il se leva et se mit à faire les cent pas à travers le salon, suivi du regard impitoyable de sa petite-fille.
-                Qu’est-ce que ça signifie ? répéta-t-elle d’un ton maintenant nerveux.
-                … Il est peut-être temps que je vous raconte la vérité, soupira Nestor en passant une main lasse dans ses cheveux épars.
-                La vérité ? répéta Nathanaël.
-                Sur mon but, sur ta sœur, également… Et pourquoi, pendant toutes ces années, nous avons agi comme nous l’avons fait.
-                Qu’est-ce… murmura Azela.
Nestor les invita à s’asseoir d’un geste. Le couple échangea un regard anxieux. Leurs mains se cherchèrent puis leurs doigts s’entremêlèrent naturellement. D’un accorda tacite, ils demeurèrent debout. Le vieux majordome, lui, se laissa choir dans un fauteuil, hébété. 
-                Lizbeth a été capturée, annonça-t-il de but en blanc.
-                Quoi ?! rugit Azela.
-                J’avais peur que cela n’arrive, mais voilà que mes craintes se sont confirmées… Connaissez-vous la brigade ?
-                La brigade ? répéta bêtement Nathanaël. Mais, c’est de là qu’on vient… 
-                Ce n’est pas la question que je vous pose, les enfants. Ce que je veux savoir, c’est si vous avez conscience de ce qui se cacher derrière ce nom.
Voyant que tous les deux ne réagissaient pas, Nestor passa une main sur son crâne dégarni, l’air extrêmement mal à l’aise.
-                Asseyez-vous, la discussion risque de durer un certain temps… 
Cette fois, tous deux obtempérèrent sans discuter. Nestor passa une langue tremblante sur ses lèvres craquelées et inspira profondément.
-                La brigade est une sorte d’agence qui n’appartient à aucun pays, aucun gouvernement. Vous pouvez la considérer comme une sorte d’association. Une association particulièrement dangereuse, mais ce, uniquement pour les personnes comme vous.
-                Comme nous ? Avec des pouvoirs ? murmura Nathanaël.
-                Pour nous, les hybrides, cracha Azela.
-                Exact. Lizzie et toi possédez des pouvoirs qui provoquent la mort de vos proches, vous êtes considérés comme des éléments vraiment très dangereux. D’après ce que m’a dit Marielle à ton sujet, Nathanaël, c’est également ton cas, non ?
-                Oui… souffla le garçon. Mais… !
-                Attends, petit. Les questions viendront après. La brigade… est vraiment dangereuse. Elle incarcère les personnes possédant des pouvoirs dans des établissements dont ils ne peuvent plus jamais ressortir.
-                Tu sais pourquoi la brigade fait-elle ça ? l’interrompit brusquement sa petite fille.
-                Azela, laisse-moi donc finir.
-                Hn, grogna-t-elle en se recalant contre le dossier du canapé.
-                Merci… Mais, pour répondre à ta question, je t’avouerai que je l’ignore. Quoiqu’il en soit, il faut savoir que je connaissais l’existence de cette brigade quand j’ai recueilli Lizzie. Elle m’a paru tellement… fragile que j’ai eu peur que cette association ne l’enlève et lui fasse subir quel sordide traitement.
-                L’innocence incarnée, ricana amèrement Azela. Tu aurais mieux fait de la laisser à la rue, comme ses parents l’avaient fait. Ils ont eu plus de jugeote que toi, on peut le dire ! Ainsi, elle n’aurait pas détruit notre famille. Sans elle, mes parents, ta fille et ton beau-fils, seraient encore en vie… 
-                Azela, suffit, gronda Nestor. L’heure est grave.
Les deux adolescents déglutirent. Nestor semblait très, très sérieux, tout à coup. On aurait dit qu’il venait de vieillir d’une dizaine d’années, soudainement. Il eut un nouveau soupir las et passa une main fatiguée sur son visage aux traits tirés.
-                Oui, je l’ai recueillie et je l’ai regretté par la suite. Mais je n’avais pas le cœur de la livrer à la brigade. Aussi, le jour où elle t’a… infectée, oui, on dira ça ainsi, je n’avais plus le choix. Il fallait absolument que j’agisse. J’ai été aidé de Marielle pour cela. 
-                Marielle, murmura Nathanaël.
-                La brigade avait conscience de ton existence, lui avoua Nestor. Ou, tout du moins, il la soupçonnait très fortement. Ils ont tenté d’en savoir plus par l’intermédiaire de ta sœur qui était, à cette époque, une étudiante brillante en passe d’entrer dans la police, et ce sûrement à un poste assez haut placé dès la fin de ses études. Ils ont tenté de l’enrôler, l’offre qu’elle a reçue était excessivement généreuse. C’est d’ailleurs ça qui a dû lui mettre la puce à l’oreille. Elle s’est renseignée et a découvert ce qu’ils comptaient faire. Alors elle a tout rejeté. La brigade possède une formidable influence dans le monde de l’ombre, ils ont réussi à faire en sorte que ta sœur ne finisse jamais ses études.
Nathanaël ne put retenir un hoquet de stupeur. Presque instinctivement, Azela pressa ses doigts entre les siens pour lui apporter ne serait-ce qu’un semblant de réconfort. Mais le jeune homme, choqué, n’y fit même pas attention.
-                A cause… de moi ? murmura-t-il. C’est à cause de moi si Marielle… n’a jamais obtenu son diplôme ?
-                La brigade n’a pas insisté plus que ça, mais elle aurait très bien pu s’acharner sur ta sœur… Elle a eu beaucoup de chance.
-                Mais… Mais pourquoi ma sœur aurait-elle fait ça !? Elle me haïssait ! Vraiment !
-                Tu penses que si tel avait été le cas, elle aurait maquillé le meurtre de votre propre sœur pour faire en sorte que rien ne t’incrimine réellement ?
Le garçon écarquilla les yeux. Non… 
-                Elle n’a pas fait… ça ?
-                Qui d’autre pourrait si habilement détruire les indices si ce n’est une policière en personne ? le questionna gravement le vieil homme.
-                … Et ensuite ? Racontez-nous, s’il vous plaît !
L’angoisse de Nathanaël s’était mêlée à sa soif de vérité. Il voulait en savoir plus… ne serait-ce qu’un peu plus… Nestor hocha doucement la tête. 
-                Ta sœur m’a été d’une grande aide. Grâce à elle, nous avons pu pirater le casier judiciaire d’Azela et le modifier. La brigade s’était déjà intéressée à ton cas, mais nous avons agi à temps. Nous t’ avions fait passer pour une personne mentalement instable et nous pensions que cela suffirait.
-                Tu te fous de moi ? murmura Azela d’une voix blanche. Tu m’as fait passer pour folle, j’ai été internée puis enlevée par cette putain de brigade !
-                En effet, la brigade n’a pas été dupe, malheureusement pour nous. On m’a dit que tu étais morte dans ta cellule. Je n’ai jamais obtenu le droit de voir ton cadavre. Ce n’est que bien plus tard que je compris la supercherie, mais c’était trop tard, la brigade t’avait déjà enlevée… Il n’y avait plus rien à faire…
Nestor serra les dents au point de s’en faire grincer les dents. Il tourna alors sa tête vers Nathanaël, le regard sombre.
-                Pensant cette solution efficace, j’ai proposé qu’on agisse de même avec toi, Nathanaël, mais elle a refusé, préférant que tu puisses rester chez toi, dans un environnement familier et surtout rassurant, malgré ton assignation à domicile. Si je me souviens bien, elle m’a dit qu’il n’y avait plus de problème, que tu avais trouvé une personne pour qui ton pouvoir ne représentait aucun danger. C’était bien la première fois qu’elle me souriait avec tant de sincérité… 
Nathanaël savait de qui parlait sa sœur et il sentit une douleur lancinante lui déchirer la poitrine. Marielle et Ael… Alors qu’il l’ignorait, tous deux lui avaient tant apporté… Ils l’avaient tant aidé, tant tenu à bout de bras ! Des larmes amères roulèrent sur ses joues quand il remarqua le corps tremblant d’Azela serré contre le sien.
-                Continue, grand-père, murmura-t-elle d’une voix brisée par l’émotion.
Nestor prit une grande inspiration et reprit son récit :
-                Nous avons continué à vous protéger, Lizbeth et toi, durant quelques années, mais le pouvoir de Nathanaël est brusquement devenu incontrôlable. Heureusement, aucune victime n’est venue s’ajouter à ta liste de meurtres. Marielle gardait espoir… jusqu’à ce que tu tues ton père.
Le jeune homme demeura sans réaction, comme en état de choc. Son cœur battait lourdement dans sa poitrine, comme si son sang glacé ne parvenait plus à l’alimenter. Il avait si froid, et pourtant la brûlure de cette phrase le torturait.
-                Si je voulais préserver Lizbeth, il fallait que tu disparaisses, reprit péniblement Nestor. J’avais perdu ma petite-fille, ma fille, mon beau-frère, je n’aurais pas supporté qu’on m’arrache encore une personne qui m’étais chère. J’étais prêt à te tuer de mes propres mains, mais ta sœur s’y est fermement opposée. Alors, nous t’avons envoyé également dans un asile où pensions que tu serais en sécurité. Nous ignorions alors que la brigade avait tout orchestré et que ton admission dans leur faux hôpital psychiatrique était prévue depuis longtemps. 
-                Mais… et Lizzie ? demanda presque timidement Azela.
-                … C’est trop tard.
-                Mais… pourquoi ? C… comment, je ne… comprends pas… 
-                Je manque moi-même cruellement de réponses. Lizbeth était partie rejoindre une jeune fille du nom de Gabrielle Helldi…
Helldi… Ce nom était furieusement familier aux oreilles de Nathanaël. Où l’avait-il déjà entendu ? Helldi, Helldi… 
-                C’est le nom du cracheur de feu ! réalisa-t-il brusquement.
-                Cinaed Helldi, acquiesça sombrement Nestor. Il y a quelque temps, il a perdu momentanément le contrôle de son pouvoir et a tué quatre malheureux. J’ai dû avoir recours aux capacités de Lizbeth pour faire disparaître les corps. Si cette nouvelle était remontée jusqu’aux oreilles de la brigade, elle aurait pu aussi mettre la main sur elle.
-                Oui, Ael nous en a parlé, acquiesça Azela. Mais… si Lizzie s’est fait capturer par la brigade alors qu’elle se rendait chez ces Helldi…
-                Alors il y a de fortes chances que le second lapin évoqué par Marielle soit ce Cinaed ! Ael est en danger !
-                La brigade ne fera rien à votre Ael, les interrompit sèchement Nestor. Elle ne commet aucun acte préjudiciable aux personnes dites normales. Par contre, ce Cinaed est vraisemblablement le  prochain de la liste.
-                Je dois prévenir Ael !
-                Et pour quoi faire ? On ne peut pas se dresser contre la brigade !
-                Mais… commença Azela.
-                Je ne vous ai pas raconté tout ça pour que vous vous jetiez dans la gueule du loup, mais pour que vous preniez conscience des risques qui pèsent sur vos épaules ! Vous devez partir immédiatement et disparaître ! Quittez le pays avant la fin de la semaine et devenez des fantômes ! Ne remettez plus jamais les pieds ici, vous entendez, jamais !

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