La voici, la voilà enfin ! La nouvelle carte. En plus, nous sommes arrivés au nombre huit, mon chiffre préféré. Alors j'espère que le texte vous plaira ! Une image, mille mots, nous revoilà partis, ensemble.
Je ne pense pas que mes créateurs avaient
en tête mon éveil lorsqu’ils m’ont fabriquée. Parfois, j’entraperçois des bribes
de souvenirs de ma mise au monde. Le fer que l’on tord et que l’on soude, le
visage que l’on moule, les yeux que l’on peint. J’ai partout sur le corps les
sensations de leurs mains qui travaillent, qui me taillent et qui me modèlent.
C’est très agréable car c’est la seule fois où j’ai pu ressentir le contact
avec une chaleur humaine avant qu’on ne me plonge dans l’eau.
Je suis une poupée.
Ou, plus exactement, je suis une sorte de
décoration d’aquarium. Mes créateurs m’ont dessiné pour que je donne un côté
mystérieux au bassin des poissons. C’est pourquoi je ressemble à une sorte de
créature fantastique avec un buste de femme et une structure métallique en lieu
et place des jambes. Des arceaux bleutés forment une sorte de jupe sans
texture. Toutes les créatures aquatiques du coin s’y frottent, serpentent à
l’intérieur, les frôlent. Parfois, elles ne font que traverser, tranquilles et,
parfois, elles s’amusent à se poursuivre les unes les autres. C’est assez
amusant à regarder.
Je me souviens de mes premières années
dans cet aquarium. J’adorais voir la réaction des visiteurs qui ouvraient des
yeux émerveillés à ma vue. Il faut dire que j’étais belle dans ma jeunesse.
Celui qui avait fabriqué mon visage était un artiste délicat qui avait pris
beaucoup de soin à finaliser chaque détail. Et il m’avait aussi donné de très
longues anglaises blondes qui flottaient avec élégance dans l’eau. J’étais
comme une reine des eaux, une créature qui veillait sur les siens avec la
bienveillance d’une petite sainte. C’était d’ailleurs ainsi qu’on m’avait
nommé. La petite sainte de l’aquarium.
Je pense que l’on peut dire que j’ai été
heureuse à cette époque. Je n’y connais pas grand-chose, il est vrai, mais je
crois que les sentiments dans ma poitrine étaient ainsi nommés. Les poissons
étaient des créatures tranquilles, toutes pacifiques et les humains étaient
tellement multiples ! J’aimais tellement les observer depuis l’autre côté
de ma vitre. Leurs sourires, leurs yeux brillants, leurs petits nez écrasés sur
la glace pour observer au plus près tout ce qu’il y avait à voir… J’aimais
les voir parler entre eux, s’arrêter, se tenir la main, froncer les sourcils,
prendre des notes, nous montrer du doigt, nous dessiner.
Et, dans un même temps, je me sentais
incroyablement triste. Ils repartaient toujours, ces visiteurs. Aucun ne
restait. Et ils ne me parlaient pas. Ils posaient leurs yeux sur moi, me
caressaient un moment du regard, puis se détournaient de moi. Jamais ils n’ont
essayé de me poser une question ou quoique ce soit. De toute manière, je ne
pense pas que j’aurais pu entendre leurs voix depuis l’autre côté…
J’aurais bien aimé naître en tant
qu’humaine.
Avec le temps, les choses ont évolué. Les
visiteurs ont commencé à se faire plus rares, il a fallu faire des choix. Comme
arrêter d’entretenir la décoration que j’étais. Un jour, on a cessé de me
nettoyer, de me protéger des dégâts du temps et de l’eau. J’ai très vite
ressenti les conséquences de cet abandon. Mon corps se désagrégea rapidement,
la peinture s’écailla, mes cheveux se mirent à tomber. Mes bras et ma robe
furent très vite dévorés par la lèpre écarlate de la rouille. En peu de temps,
je fus destituée de mon rôle de sainte. Je n’osais même plus regarder mon
reflet dans la vitre de l’aquarium tant j’étais devenue laide.
Et les enfants se mirent à avoir peur de
moi. Cela acheva de convaincre les humains de mon inutilité. Ils m’ont sortie
de l’aquarium et m’ont privée de mes jambes. Apparemment, le métal n’était pas
encore en trop mauvais état, ils espéraient assurément pouvoir en faire encore
quelque chose. Ils ont discuté un moment pour savoir s’ils pouvaient aussi
recycler le reste. Apparemment, non, c’était impossible.
J’ai fini dans un sac poubelle. Ils m’ont
mis dans cet affreux plastique noir où je me suis mise très vite à étouffer.
J’avais peur… Oh que j’avais peur ! J’ai essayé de crier, de me
débattre, mais mon corps rigide ne me le permit pas. Etais-je condamnée à
simplement disparaître ?
Lumière. Des mains qui plongent dans le
sac et m’extirpent des ténèbres. Un homme âgé s’est mis à m’observer sous un
lorgnon. Il parlait avec un gamin, lui souriait, lui expliquait ce que j’étais.
Apparemment, il était venu me voir autrefois à l’aquarium et m’avait récupérée.
Tous deux me manipulaient avec une grande délicatesse, comme si j’étais
incroyablement fragile. Leurs doigts étaient tellement doux et
chauds… J’en aurais pleuré si j’en avais eu la possibilité.
Ils m’ont réparée, le grand-père et le
petit-fils, ensemble. Ils m’ont donné des jambes articulées, ont changé mes
bras et ont repeint mon visage. Même mes cheveux avaient repris leur éclat
d’autrefois. Ils semblaient si heureux de me voir belle, tous les deux. Le
temps a passé. A mesure que le petit-fils grandissait, il me modifiait, jusqu’à
que mon corps tout entier soit articulé. Un jour, il apprit la couture pour me
créer des vêtements. C’était un peu gênant d’être sans cesse déshabillée, mais
ses expressions de ravissement étaient telles que je ne pouvais protester.
Un jour, le grand-père mourut. Le
petit-fils me prit avec lui pour l’enterrement. J’avais l’impression de perdre
un membre de ma famille, moi aussi. Le petit-fils m’a gardé contre lui pendant
toute la cérémonie. Puis il m’a ramenée chez lui. Il m’a déposée sur une
commode et m’a souri. “Il n’y a plus que nous deux”, m’a-t-il dit.
C’est peut-être vrai. Mais ne t’en fais
pas. Je veille sur toi. Je vais apprendre à me servir de ce corps que tu m’as
donné, je te le promets. Et, un jour, je te rendrai tout ton amour. J’ai envie
de te parler, de te sourire, de te bercer contre moi et de sécher les larmes
qui maculent tes joues.
Moi, la décoration d’aquarium, j’aimerais
devenir humaine à tes côtés.
Marine Lafontaine
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