Bien le bonjour, tout le monde !
Ça y est, une nouvelle carte a été tirée ! J'espère qu'elle vous plaira. Cette fois-ci, un artiste maudit va nous raconter toute la douleur de sa condition en mille mots. Et si nous allions voir ensemble comment il parvient finalement à vaincre cet ennemi ultime qu'est la page blanche ?
Ce que j’ai créé va changer le visage du
monde de l’art. Je ne dis pas cela par vantardise, nullement ! Je le sais,
c’est tout. Et vous ne pourrez qu’être d’accord avec moi, une fois que vous
saurez ce qui est tombé de mon esprit.
Je fais partie de cette monstrueuse
lignée des artistes maudits, condamnés à contempler la vanité du monde à
travers le prisme des pages blanches qui reflètent le vide de mon esprit. Des
pages que j’ai tentées pendant bien des années d’apprivoiser. Comme si cela
était possible ! Pas pour moi… Du moins, c’était ce que je pensais
jusqu’à un certain hiver.
J’ai toujours été doué de mes mains.
C’est pour cela que je me suis très vite consacré à la musique. Je suis capable
de maîtriser beaucoup d’instruments. Je parcours leurs corps avec amour et
tendresse, je les embrasse et les embrase. Cet sensation d’appartenir à un
milieu, je ne l’ai jamais aussi bien ressentie qu’au cœur d’un orchestre.
Oui, je suis un musicien. Pas un
créateur. Et cette réalité m’a rongé toute ma vie. Pourquoi en étais-je
incapable ? Pourquoi ne parvenais-je jamais à mettre sur papier des
mélodies aussi somptueuses et complexes que celles que je parvenais à
interpréter ? A mes yeux, cela n’avait aucun sens. Je ne pouvais le
tolérer.
Mais comme je vous l’ai dit, je suis doué
de mes mains.
En dehors de la musique, je sais faire
quelques petites choses : réparer des machines, coudre… Ma mère avait
l’habitude de me confier toutes les tâches minutieuses quand j’étais petit.
J’arrive avec une infinie facilité à manipuler de minuscules rouages. Je suis
habile à ce niveau-là. Très habile.
Je n’ai pas donné de nom à cette
invention. Je n’en ai pas vraiment eu le temps. Mais je peux encore la décrire
avec précision, cette petite merveille. Mais, avant toute chose, je souhaiterais
vous parler de la raison de mon invention, bien que j’ai commencé à la
dévoiler.
Je voulais écrire. Ecrire la plus belle
des musiques. Je voulais que mes notes soient capables de retranscrire la
beauté des émotions. Je voulais que les gens pleurent quand je lancerais dans
les airs un trille déchirant. Je voulais que les gens rient quand les
instruments s’enflammeraient. Je voulais qu’ils s’aiment sur des élans
langoureux. Et quoi de plus fort pour faire naître ces choses que les
mots ?
Je préfère une démonstration à une longue
explication. Regardez. Vous voyez ce drôle d’instrument ? Oui, cet
hybride, cette sorte de violon qui se serait accouplé avec un stylo plume. Ce
magnifique corps de bois aux courbes pleines dont le bas du corps s’achève en
une pointe grise gonflée d’encre. C’est lui, l’instrument, l’invention. Il n’y
a pas de fracture entre les deux matériaux, entre l’élément naturel et celui du
ventre de notre monde. Ils se fondent l’un dans l’autre, ils s’épousent. La
voici, l’union idéale des arts. Le pouvoir des mots et de la musique qui
s’entrelace.
Je ne peux vous révéler le procédé de
fabrication. J’ai promis de ne souffler absolument aucun mot à ce sujet. Ce
n’est pas le désir qui me manque ! Mais c’est impossible. Je ne peux pas. Mais
je peux partager avec vous la splendeur qui naît de cette union.
Prenez l’instrument. N’ayez pas peur. Il
est léger, n’est-ce pas ? Que souhaitez-vous écrire ? Que
souhaitez-vous faire ressentir ? Vous l’ignorez ? Commençons par
quelque chose de simple. Ecrivez simplement un mot, n’importe lequel. Je peux
vous en souffler, si vous le souhaitez.
Rire.
Peur.
Pleurs.
Enchantement.
Ecoutez maintenant. Tracez ce “t” ultime
et voyez. Oui, une bulle dorée, mais elle n’existe pas réellement. Elle se
détache de la feuille, s’élève au-dessus du papier. Non, elle n’est pas
réelle… Mais craquez-la. Et laissez-vous porter.
Un chœur de violons. Un cortège de
harpes. Un florilège d’instruments à vents : une flûte de pan, une autre,
traversière… Et le son de ce handpan ! Il y a un tel corps, une telle
harmonie que je ne suis pas capable de vous nommer toutes les voix qui
s’entremêlent.
Oui, voilà, le voilà,
l’enchantement ! Dans sa plus puissante version, dans sa plus merveilleuse
interprétation.
Mais n’écrivez pas plus. Reposez mon
instrument, s’il vous plaît. Vous ne voudriez pas finir comme moi, n’est-ce
pas ? Vous n’aimeriez pas qu’on vous aspire l’entièreté de votre
substantifique moelle, n’est-ce pas ?
Oui, j’ai été dévoré.
Par mon plus grand chef-d’œuvre.
Et maintenant, voyez, mon enfant. Je ne
suis plus rien, une grande carcasse, une coquille vide incapable du plus infime
des mouvements. J’ai tellement créé. J’ai créé plus que n’importe quel musicien
dans ce monde. Et mes mélodies sont merveilleuses. Mais personne ne les
entendra, jamais… A moins que vous ne me veniez en aide. Regardez. Emmenez-moi.
Oui, ouvrez cette porte.
C’est magnifique, non ?
C’est là que j’ai conservé toutes mes
musiques. La bulle glacée, là, c’est la mélodie de la tristesse. La rouge qui
semble sur le point de s’embraser, c’est le chant de la trahison. La violette
parcourue par des étincelles, c’est la symphonie du rêve solitaire. La verte au
sein duquel semble se déployer du lierre, c’est la ritournelle de la
connaissance. Oh, la blanche ?
Celle du bonheur.
Ouvrez les fenêtres mon enfant. Laissez
le vent emporter mes chansons partout dans la ville. Et laissez mon âme,
feuille légère, tourbillonner avec eux. Je veux m’envoler parmi les plus belles
réussites de ma vie. Ce sera mon apothéose. Je vous confie cette tâche
délicate.
Ce sera mon chant du cygne. Le plus
grandiose de tous les concerts. Et pour cela, je vous demanderai une chose.
Prenez l’instrument. Et tracez un mot sur les fenêtres. Je vais vous le
chuchoter, ne vous en faîtes pas. C’est tout ce que je vous demande. Voilà,
allez-y. Vous le jetterez, après cela.
Tracez le mot, mon enfant. Et alors il
n’existera plus d’entrave physique ou spirituelle sur ce monde pour m’empêcher
de briller. Merci, mon enfant, merci et…
Marine Lafontaine
1 commentaire:
Superbe !
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