lundi 26 septembre 2016

CARTE 10, QUAND LE MAGICIEN ME SOURIT

   Bien le bonjour, tout le monde !

   Aujourd'hui, carte un peu spéciale car elle signale notre entrée dans l'ère des nombres à deux chiffres ! Hé oui, ça y est, nous y sommes, c'est la dixième carte ! En espérant que vous l'apprécierez, je vous laisse à votre lecture…



Aujourd’hui, mon ampoule est morte. Ou bien hier. Cela doit paraître idiot, une ampoule, et c’est vrai que cela n’a pas vraiment d’importance en soi. L’objet n’a guère de signification pour moi.

Mais ce n’était pas le cas du petit magicien qui vivait à l’intérieur.

Si j’avais été un cliché, je pense que j’aurais été une pauvre fille de conte de fées. Une petite vendeuse d’allumette paumée, une gamine que les parents ont choisi d’abandonner dans un cabanon. Une enfant qu’on préfère laisser et partir. Je ne sus jamais vraiment pourquoi mes parents avaient décidé d’agir ainsi. Pourquoi ils ont emporté les autres petits et ils m’ont laissée seule. Mais c’était ce qui s’était passé.

Je me suis réveillée un matin et toute ma famille avait disparu. J’étais seule, dans le grand lit que je partageais avec mes frères et sœurs, dans cette minuscule baraque perdue au cœur des bois. Mon père, ma mère, tous les autres… Ils s’étaient volatilisés.

Je n’ai pas ressenti de tristesse, juste une immense, écrasante et écœurante solitude. Je me suis mise à vivre sans l’aide de personne, mais comment une fillette de dix ans peut-elle survivre toute seule ? J’ai essayé, pourtant. J’ai nourri nos chèvres, j’ai cultivé le potager, j’ai même réparé le toit. Mais mes mains étaient petites et mes bras faibles. Je ne savais pas manier une houe correctement, ni traire les chèvres et j’ignorais où mon père rangeait ses outils.

Je ne pouvais pas me qualifier de personne vivante. Je mourrais à petit feu. Mes parents, en m’abandonnant si cruellement, m’avaient infligé le pire des supplices. J’ai pourtant tenté de survivre, j’ai vraiment essayé ! Mais, quoique que j’ai pu faire, je n’y suis pas parvenu. Alors, j’ai peu à peu sombré dans une apathie poisseuse.

Jusqu’à ce qu’une lueur me tire de ma souffrance. J’étais allongée sur mon lit, ce lit bien vaste pour une personne, quand un éclat a attiré mon œil. Sur une étagère, une lumière venait de naître. Je suis montée sur une chaise pour pouvoir l’observer de plus près, curieuse. Ne pouvant parvenir à la bonne hauteur, je me suis mise sur la pointe des pieds et j’ai tendu la main afin de la recueillir. Quelle n’a pas été ma surprise quand j’ai compris ce qui émettait cette étrange petite chaleur… 

A l’intérieur d’une ampoule plus grosse que la paume de ma main, il y avait un être minuscule qui tenait entre ses doigts une sorte de soucoupe où brûlait une bougie. Il était vêtu d’un manteau étoilé avec de gros boutons dorés et d’un chapeau pointu décoré de semblables motifs stellaires. Et il me souriait tendrement, comme s’il m’avait attendue, non… Comme s’il était né pour moi. Je n’avais vu de visage humain depuis bien des mois, à ce moment-là… Alors j’ai fondu en sanglots amers.

J’ai pleuré des heures durant en serrant contre moi ce petit magicien. Lui, il s’était assis, tenant toujours sa bougie à deux mains, tout en chantant. Peut-être était-ce une berceuse car je me suis endormie, apaisée, épuisée.

Le lendemain, tout a recommencé. J’ai mis à terre le sablier gelé et j’ai piétiné le bloc figé pour que le sable s’éparpille de nouveau. J’ai accroché l’ampoule à un cordon de cuir pour le porter en collier. Et, avec le petit magicien, j’ai repris ma vie. Même si je ne parvenais pas à l’entendre, mon tendre ami me parlait tout le temps. Avec de grands gestes et des sourires, il m’indiquait certaines choses, me prodiguait des conseils. Ensemble, nous avons réparé cette vieille maison et mis à l’abri nos chèvres du froid de l’hiver naissant. Puisque j’avais un peu de place, nous nous sommes mis à faire pousser des pommes de terre à même le plancher de la maison, en ramenant de la terre de la forêt afin de créer un nouveau jardin.

J’ai même grossi ! Je n’y croyais plus. Mon magicien m’a paru très heureux de cette nouvelle, lui aussi. On en a ri beaucoup. Je n’avais plus besoin de famille, je n’avais même plus besoin de pays. Tant que j’avais ce petit être avec moi, je pouvais affronter le monde entier. Et j’ai cru alors que ce bonheur durerait jusqu’à la fin.

Sauf que cette fin est arrivée bien plus tôt que je ne l’aurais cru. Un jour, j’ai remarqué que la flamme de sa bougie s’était amenuisée. Mon petit magicien lui-même semblait très fatigué. J’ai bien essayé de lui parler, inquiète, mais nous ne parvenions toujours pas à entendre la voix de l’autre. Il tenta bien de m’expliquer son malheur, mais aucun son ne me parvenait. Je lui indiquai que j’allais briser son ampoule car je crus que c’était là le seul moyen de le sauver.

Mais il me l’interdit.

Alors je l’ai vu dépérir. J’ai essayé de l’aider du mieux que je pouvais en lui parlant, lui souriant. J’ai même dansé avec lui, mais rien n’y fit… Un matin, il s’est éteint, en même temps que sa petite bougie. Pourquoi m’a-t-on donné cette fée d’ampoule si c’était pour me la retirer aussi vite ?

J’ai délicatement effeuillé le verre de l’ampoule pour tenir dans le creux de ma paume le petit corps. Mon magicien semblait dormir doucement comme un enfant sage. J’ai pleuré, de nouveau, et mes larmes ont recouvert le vêtement étoilé de mon ami. Je me suis roulé dans un creux de matelas, abasourdie de douleur, étourdie et engourdie par la perte. Je suis demeurée immobile dans le noir, les yeux écarquillés, les mains serrées autour du magicien, liées l’une à l’autre par mes doigts entremêlés.

Au matin, il n’existait plus aucune trace de mon minuscule sauveur. Je n’ai pas pleuré. Pourtant, j’aurais voulu hurler, me débattre, tout fracasser. Mais je n’ai rien fait.

On a frappé à ma porte. Je ne sais pas où j’ai tiré la force de lever mes membres plus lourds que le plomb. J’ai écarté le battant.

Il y avait un magicien sur le pas de ma porte.  

Marine Lafontaine