Tadam ! Voilà le chapitre cinq de Médée. j'étais inspirée ce soir, alors je me suis lancée dans une scène entre Jason et notre pauvre Médée… Non, je vous rassure, elle ne l'a pas sauvagement assassiné. Enfin, voyez plutôt !
Quelle
situation… délectable. La surprise, la peur, l’incrédulité, Médée avait savouré
chacune des expressions sur le visage de ses ennemis. La venue d’Egée pourrait
bien changer le cours de l’histoire… Qu’allait-il se passer
dorénavant ? Et comment pouvait-elle en tirer avantage ?
Quand Nérine
pénétra dans la chambre, elle trouva sa maîtresse allongée dans son lit,
toujours vêtue de sa tenue de prêtresse. Trois jours avaient passé, mais Médée
était demeurée immobile, elle n’avait pas bougé, toute à sa réflexion, toute à
sa folie. Réellement inquiète pour la jeune femme, la nourrice avait fini par
s’adresser à la seule personne susceptible de lui venir en aide.
-
Madame… Madame… l’appela-t-elle doucement.
-
Laissez, Nérine, intervint le visiteur. Je vais m’en charger.
A l’entente de
cette voix, une foule d’émotions contradictoires passèrent sur le visage de la
jeune femme. Soulagement, stupéfaction, colère, surprise, colère, amour,
colère, tristesse, colère, colère, colère…
Au centre de
la pièce, le visage blême, les traits tirés et les yeux cernés, se tenait
Jason. Il avait l’air las, fort las, tant et si bien que Médée sentit une
nouvelle émotion poindre dans le tumulte sentimental qui hantait son esprit.
Inquiétude…
Elle se
redressa, mais ses membres engourdis faillirent la lâcher. Elle tituba et sa
nourrice vint à son secours. La magicienne la repoussa violemment.
-
Ne me touche pas, traîtresse, siffla-t-elle d’une voix grave.
-
Médée ! s’indigna Jason. Ne lui parle pas ainsi ! Si
elle m’a fait venir jusqu’à toi, c’est que ton état l’affolait. Elle ne savait
plus quoi faire.
-
Seigneur Jason, laissez, intervint la vieille nourrice. Ma
maîtresse a raison d’être en colère… Je vais vous laisser.
Elle s’inclina
profondément malgré son vieux dos puis quitta la chambre à pas feutrés. Médée
laissa planer un moment son regard puis se laissa tomber sur son lit, le visage
dissimulé par le rideau noir de ses cheveux.
Un pénible
silence s’installa. Jason, gêné, voulut ouvrir la bouche, mais, ne trouvant pas
les mots, la referma. Une fraîche brise vint soulever les rideaux. Le prince
déchu profita de cet instant pour détailler la mère de ses enfants. Il n’était
pas sans ignorer qu’il avait joué un jeu très dangereux avec elle. Elle était
redoutable, bien plus que les autres femmes dont il s’était joué autrefois.
Bien plus
dangereuse… mais bien plus utile aussi.
Dire qu’il ne
possédait aucun sentiment envers cette femme serait mensonge. Elle avait été sa
compagne ces dix dernières années, il avait été heureux à ses côtés. Médée
était une femme amoureuse, belle, attentionnée, douce et fiable. Jason avait pu
toujours pu se reposer sur elle en cas de besoin, il le savait.
Admiration… Reconnaissance,
des liens très forts. C’est pourquoi il avait tout de suite répondu présent à
l’appel de Nérine. Car même s’il considérait déjà Médée comme son passé, il ne
pouvait pas tout simplement railler de sa mémoire tout ce qu’elle avait
accompli dans son intérêt.
-
Pourquoi… es-tu ici ?
Jason sursauta
violemment à l’entente de la voix de la magicienne. Elle était grave et
comme… dédoublée ? Oui, comme si plusieurs personnes parlaient en
même temps qu’elle ! C’était étrange et très dérangeant…
-
Nérine était vraiment inquiète à ton sujet, expliqua-t-il en
s’avançant. Elle s’est peut-être dit que je parviendrai à te raisonner, moi.
-
Me… raisonner ?
Le ton était
surpris, comme celui d’une enfant qui ne parvient pas à saisir le sens d’une
phrase.
-
Oui, te raisonner. Médée, si Créon a ordonné ton exil, c’est
pour éviter une guerre.
-
Guerre…
-
Le peuple a peur de toi, de tes pouvoirs, tout comme les
autres royaumes. Ils préféraient de loin te savoir morte, sais-tu, mais Créon a
pu te sauver par l’exil.
Mensonge
sur mensonge…
Médée se
redressa et rejeta son épaisse chevelure en arrière, découvrant un visage
rieur, railleur. Jason se surprit à serrer les poings alors que les muscles de
ses jambes se bandaient. Il prit conscience pour la première fois d’une chose.
Cette femme, cette ennemie au faux sourire, sourire de papier barbouillé de
sang… Rien que sa présence parvenait à distiller dans ses membres une peur
irrépressible, tel un venin qui se répandrait dans son organisme. “Par
Jupiter ! Elle est…”
-
Et toi, Jason, clama la magicienne. Pourquoi me léguer toutes
tes fautes ? Tu as ta part de responsabilité dans cette affaire. Si tu
n’avais pas été là, je n’aurai pas eu à accomplir tout ça !
-
Je sais quelles sont mes fautes, Médée. Et je les expierai par
le mariage, par le règne sur Corinthe, par la reconquête d’Iolcos.
-
Mais que vais-je devenir ?
Ce coup-ci, sa
voix était celle d’une simple humaine, une humaine brisée par les évènements.
Sa plainte, long gémissement empli de sanglots, elle était enfin parvenue à
l’exprimer. Ses genoux chancelèrent, elle enfouit son visage ravagé dans ses
mains, bouleversée de découvrir encore de la peur dans son esprit.
-
Que vais-je devenir ? balbutia-t-elle de nouveau. J’ai
tout perdu par ta faute. Ma famille, mon foyer, mon statu, ma vie toute
entière… Par ta faute… Où vais-je aller avec Phérès et Merméros ?
L’attitude de
Jason changea à l’entente du nom de ses enfants. Il oublia l’homme pour laisser
place au père aimant et protecteur.
-
Médée, je ne te laisserai pas emmener nos enfants dans ton
exil.
La jeune femme
se figea. Incrédule, elle releva la tête et riva sur son interlocuteur un
regard halluciné.
-
Pa… Pardon ? bafouilla-t-elle.
-
Tu m’as parfaitement entendue. Je ne veux pas que tu les prennes
avec toi. Ils vont être princes, leur avenir est assuré ici, auprès de moi.
Médée pensait
avoir connu la pire des douleurs. Mais ce qu’elle était en train d’expérimenter
à l’instant était effroyable… Le cœur lacéré, elle tituba de nouveau.
Cette fois-ci, elle ne parvint pas à demeurer debout et s’effondra à genoux.
-
Alors tu vas me retirer aussi… mes enfants ?
murmura-t-elle.
-
Ce sont les miens également. Et je les aime plus que tout au
monde, je serai prêt à n’importe quel sacrifice en leur nom. Je ne peux pas te
laisser partir avec eux, cela serait trop dur… à supporter…
Oh,
tragédiens, entendez ma parole… Soyez témoins de cette scène, soyez à
l’écoute. Car Jason, dans sa grande bêtise, vient de me donner l’élément clé de
ma vengeance.
-
A quoi bon lutter, soupira misérablement la prêtresse
d’Hécate, puisque tout semble écrit à l’avance. J’aurai beau lutter, vous ne me
laisserez jamais obtenir gain de cause…
-
Je suis heureux que tu sois enfin raisonnable, déclara Jason
avec soulagement. C’est le mieux, pour nous tous.
-
Jason… M’as-tu seulement aimée ? Ne serait-ce une
fois ?
Le jeune homme
s’apprêtait à reprendre la parole quand Médée le coupa d’un geste. Quand elle
s’adressa à lui, ce fut de nouveau avec sa voix dédoublée.
-
Tu as tout
intérêt à me dire la vérité, Jason d’Iolcos.
Le prince
déchu approuva silencieusement. Il sentait que s’il mentait en cet instant
précis, son cœur serait arraché de sa poitrine. Il prit une profonde
inspiration pour calmer sa nervosité et réfléchit longuement à ses paroles.
-
Je… Je l’ignore, avoua-t-il doucement. J’ai aimé les
moments que nous avons passé ensemble, j’ai aimé te faire l’amour, j’ai aimé
élever nos enfants avec toi… J’ai aimé notre vie, vraiment, Médée. Tu es
une bonne personne, je le sais… J’ai souillé tes mains de sang avec mes
caprices. Peut-être t’ai-je aimé.
-
Et Créuse, l’aimes-tu ?
-
… Non.
-
As-tu déjà aimé une de tes épouses ?
-
Je l’ignore.
-
Qui aimes-tu alors ?
-
Mes enfants.
Une flamme
malsaine brilla dans le regard de la magicienne. Elle plissa ses yeux et
dodelina de la tête, comme un pantin au fil trop lâche. Quand elle reprit la
parole, Jason constata avec soulagement qu’il s’agissait de nouveau de sa voix
normale.
-
Si tu savais combien je t’ai aimé, murmura-t-elle, le regard
fuyant. Mais tu m’as abandonnée, trahie, poignardée dans le dos… Et
maintenant, tu m’arraches la seule chose qui comptait un tant sois peu à mes
yeux !
-
Médée, calme-toi ! s’empressa de déclarer Jason avec des
gestes qui se voulaient apaisants.
-
Comment oses-tu m’adresser la parole ?! Comment oses-tu
seulement te présenter à mon regard, Jason !? Me détruire une fois ne
t’a-t-il pas suffit ?!
-
Je te promets de ne plus jamais le faire, Médée, je te le
jure, par le grand Dieu Jupiter !
-
Alors que fais-tu encore là ?!
-
Médée…
La jeune femme
darda sur lui un regard impitoyable.
-
Quoi ? cracha-t-elle avec hargne.
-
En réalité, j’ai une demande de la part de Créuse.
Une
incrédulité foudroyante se peignit sur le visage la prêtresse d’Hécate. Elle
fronça les sourcils, se demandant sincèrement si le futur roi de Corinthe avait
vraiment envie de mourir dans d’atroces souffrances.
-
Que me veut-elle, cette putain aux yeux de biche ?
-
Médée ! se récria Jason.
-
Jason, parle au lieu de piailler, gronda doucement la
magicienne, sentant sa patience arriver à son terme.
-
Elle demande à ce que tu lui remettes ta robe de mariée.
Pour toute
réponse, Médée éclata de rire.
-
Alors ?
Jason et Créon
étaient tous les deux installés sur un banc de pierre dans le jardin, observant
Phérès et Merméros qui jouaient un peu plus loin. Leur père but sa coupe de vin
avant de répondre, encore remué par son entrevue avec son ancienne épouse.
-
Elle a accepté… Tout.
-
Incroyable… murmura le monarque. J’ignore comment vous
êtes parvenus à ce tour de force, mais je vous félicite.
-
Le mariage ne sera pas remis en question… n’est-ce pas ?
s’inquiéta Jason, peu désireux de voir la couronne de Corinthe lui filer entre
les doigts.
-
Créuse vous aime, Jason. Entre vous et Egée, c’est vous
qu’elle choisira. Je dois le voir dans un entretien tout à l’heure. Je sens que
notre conversation va être, hum… palpitante, grimaça-t-il.
-
Merci, Créon.
-
C’est moi qui vous remercie. Vous rendez ma fille heureuse et
vous débarrasser mon royaume d’une sorcière. Que demander de plus ?
-
Une autre coupe de vin ?
Le roi se mit
à rire de bon cœur.
-
Bien sûr, où sont donc mes manières ? Esclaves, du
vin !
Et alors que
tous deux s’enivraient, ils virent pas le regard que Phérès dardait sur eux.
L’enfant se détourna de cette vision des plus pitoyables et leva les yeux sur
le balcon où il aperçut sa mère.
Oui… La
tragédie de Médée est en marche…
D'habitude, dans les réécritures de Médée, je trouve que les enfants n'ont pas un rôle important. Dans la pièce de Sénèque, par exemple, ce ne sont que de simples figurants muets qui attendent tranquillement leur mort. Là, je les veux acteurs, surtout Phérès. Je vous promets la suite pour très vite ! En attendant, passez une bonne soirée et à bientôt !
Marine Lafontaine
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