mercredi 26 octobre 2016

CARTE 11, QUE TREMBLENT CEUX QUI CRAIGNENT LA PEUR…

   Bien le bonjour, tout le monde.

   Cela faisait un petit bout de temps que je nous vous avais pas écrit un texte pour illustrer une carte de Dixit ! Et comme Halloween arrive à grands pas, je me suis dit qu'il fallait que je vous en écrive un sur ce thème-ci. Le hasard fait bien les choses car j'ai tiré une carte qui sied parfaitement au sujet. Je ne vous en dit pas plus, je vous laisse découvrir les mille mots du jour.



Depuis trois générations, ma famille a été isolée de la cité. Nous n’étions pas les bienvenus entre les murs de la ville fortifiée qui était pourtant un des seuls remparts contre les fléaux qui peuplaient le monde depuis le Conflit des Entités.

Le Conflit des Entités, c’est cette immense guerre qui a ravagé le monde. Un jour, nous avons appris de la plus violente des manières que les hommes n’étaient pas les maîtres de ce monde. Qu’il existait dans les entrailles de notre bonne vieille Terre des créatures extraordinaires, des créatures qui ne peuplent habituellement que les légendes.

Pourtant, elles étaient bel et bien réelles.

Elles ont été vomies des Enfers et s’en sont pris aux êtres humains. Mes ancêtres ont assisté à des massacres si épouvantables que certains en ont perdu la parole. J’en avais lu certains dans de gros livres interdits, couverts de toutes sortes de cadenas épouvantables qui vous mordent quand vous tentez de les forcer. Comme si quelques morsures pouvaient étouffer ma curiosité insatiable à propos de ce monde.

J’en ai découvert, des choses, grâce à cette fichue curiosité. Des secrets que je n’aurais jamais dû entendre, qui n’auraient jamais dû tomber des langues des adultes. Comme le fait que notre famille était maudite. Qu’elle avait autrefois perpétré des massacres, sous l’impulsion de folies meurtrières épouvantables. Que nous étions destinés à toujours avoir plus de sang dans la gueule et sur les griffes.

Car nous sommes communément ce qu’on appelle des loups-garous. Enfin, pas tous les membres de notre famille, bien sûr. Les premiers nés sont les seuls à porter cette infamie dans leurs veines. Alors, bien sûr, l’une des pires choses qui puissent arriver à notre famille, c’est la naissance de jumeaux.

Ce qui est notre cas.

Ma sœur et moi partageons ce terrible destin. Sortis ensemble du ventre de notre génitrice, nous sommes le symbole de la haine qui nous accable depuis maintenant tant d’années. Parfois, nous nous réveillons la nuit tous les deux, serrés l’un contre l’autre, au fond du jardin entouré de hautes clôtures, pour que nous puissions sortir assouvir nos soifs de sang. On en a la gorge brûlante, les membres tremblants, on frissonne autant d’effroi que de froid. Et notre mère alors se met à pleurer d’épouvante, terrassée à l’idée que l’on puisse un jour s’en prendre à elle.

Je ne sais pas vraiment comment cela serait possible. Après tout, nous passons la plupart de notre temps enfermés à double tour dans une pièce grinçante. Les murs sont tapissés de talismans, au plafond sont accrochés des centaines de grigris qui sont censés canaliser la bête en nous, cette bête infâme aux crocs incroyablement aiguisés. Parfois, la nuit, quand ma chère sœur est endormie, je me tourne vers la lucarne ouverte dans le plafond pour pleurer sur notre triste destinée. Je suis le garçon, le premier à avoir vu le jour, mais je ne sais pas être fort pour nous deux.

Une chose que je ne pourrai jamais me pardonner.

Aujourd’hui, nous fêtons nos huit ans avec ma sœur. Nos parents ont déverrouillé la porte de notre prison, avec des sourires sur leurs lèvres gercées par le froid. Ils nous ont habillé de nos plus beaux habits, des haillons, mais qui avaient tellement d’importance pour nous. Et alors, les portes de la cité nous ont été ouvertes.

Ma sœur et moi avons pénétré un royaume moins merveilleux que nous ne l’avions fantasmé. Nous étions peut-être miséreux, mais eux l’étaient également. Quelles mines étroites et opalescentes ! Pourtant, à notre approche, nous les avons vu se métamorphoser. Leurs épaules se sont tendues, leurs dos se sont redressés, il m’a même semblé que leurs visages s’arrondissaient, comme si notre seule présence les guérissait des affres de la faim.

Nous avons été séparés de nos parents, ma sœur et moi. Assis à une table, on nous a offert des plats de viandes en sauce, des légumes bouillis et de magnifiques morceaux de pain chaud. Jamais nous n’avions rien mangé d’aussi bon ! Et tout le monde était aimable avec nous. Je ne comprenais pas pourquoi tout à coup la ville nous fêtait. Mais cela m’importait peu, j’étais si heureux.

Puis, la nuit est tombée. Et les faces joyeuses sont devenues extrêmement graves. Les plats et les chaleurs se sont évanouis comme des flammèches qu’une bouche perfide aurait soudainement soufflées. Ma sœur serrait étroitement son doudou dans son poing, un vulgaire chiffon qu’elle chérissait tant. Ils lui ont enlevé.

Des ombres nous ont encerclés et j’ai vu des hommes sans visage jeter des brasiers sur un immense bûcher. Les flammes se sont élevées et des cris d’effroi ont jailli des gorges. J’ai jeté un coup d’œil derrière moi, serrant la petite main de ma sœur entre mes doigts crispés par la terreur. Et j’ai vu pour la première fois la bête qui nous liait. Qu’elle était grande et terrible, quelles dents, quelles griffes ! Oh, qu’elle me faisait peur ! J’aurais voulu être fort, mais des gémissements pitoyables sortirent de ma gorge. 

Des mains nous ont saisis et nous ont soulevés. J’ai alors compris qu’ils allaient tuer le loup. Ah… Quel soulagement. Ils allaient enfin nous débarrasser de cette chose immonde. Merci, merci !

Je peux enfin être libre.

Ah, mon cher frère, quel pauvre esprit. Je t’ai vu tellement de fois pleurer. On t’a tellement dit que tu étais une bête que tu as fini par t’en persuader. Ne regarde pas ton ombre avec tant d’effroi, ce n’est que ton image. Mais ne t’en fais pas, je ne vais pas lâcher ta main. Nous partons ensemble et, dans l’au-delà, je serai toujours là près de toi. Tu n’as pas  à avoir peur. Les hommes sont stupides, ils pensent pratiquer un exorcisme, ils ne font qu’assassiner de petits innocents.

   Exorcisez, exorcisez tant que vous pouvez. Mais soyez sûrs, qu’un jour, je vous ferai payer chaque larme de mon frère. Vous pensiez me tuer ? Vos flammes vont donner naissance à la plus terrible des créatures.

Marine Lafontaine 

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