mercredi 3 avril 2013

A VOUS LA SUITE !

   Bien le bonjour tout le monde ! Hé oui, voici enfin le concours que vous attendiez ! Il est prêt, il est là, c'est le top départ, mesdames, mesdemoiselles, messieurs… Ouah, quelle présentation !
   Donc, oui, voici le top départ. Alors, rappel du principe et tout le bataclan : vous devez écrire la suite d'une histoire que je vais vous soumettre en respectant la première personne du singulier et les temps du passé. Vous allez raconter une épopée ! Celle d'un personnage qui se rebelle contre son auteur ! La suite fera quatre pages minimum, 25 au maximum, le corps d'écriture est du times new roman en 12. Alors, au début, j'avais dans l'idée de vous soumettre les 45 premières pages de mon manuscrit “Libre arbitre” pour que vous puissiez vous imprégner du personnage, son caractère et bien comprendre le principe et tout ça… Et on m'a fait remarquer à juste titre que c'était peut-être un peu beaucoup. Alors, j'ai coupé la poire en deux, et j'ai décidé de vous présenter les 20 premières pages, elles-même réduites à leur minimum. Après… Déchaînez-vous, c'est le seul conseil que j'ai à vous donner.
    Pour toute question, vous pouvez me les poser en commentaire ou par mail, n'hésitez surtout pas, je me ferai un plaisir de vous aider ! Alors, sinon, n'oubliez pas, quand vous m'enverrez votre tapuscrit par mail de m'indiquer votre adresse, votre nom, prénom et âge ainsi que le manuscrit que vous souhaiteriez recevoir si vous gagniez, en plus des autres prix. Rappel des manuscrits disponibles : “Réflexions d'une marionnette de papier”, “Eros et Thanatos”, “Le masque de la princesse” et (nouveau !) “Libre arbitre”.  Mon adresse mail est la suivante : marine.lafontaine@sfr.fr

     Vous avez jusqu'au 20 juin précisément pour me transmettre vos écrits. J'accepte aussi plusieurs candidatures si vous le désirez. Pour d'autres questions, transmettez-les moi en commentaires ou par mail. Ce que je vous propose est  la version courte, raccourcie du début du livre. Le sentiment de révolte de Kei est encore incertain, diffus. A vous de le mettre en place, à vous de jouer… Et maintenant, place à la lecture !

 
Heu, bonjour… Hum ? Ah, moi, je suis Kei, le personnage principal de cette histoire. D’ailleurs, c’est moi qui vais vous la conter. Le narrateur a eu la gentillesse de me laisser sa place pour ce livre. Alors, voilà, je vais tout raconter, avec autant de détails possibles. Si certains passages sont un peu dans le flou, j’en suis désolé, mais bon, je n’ai pas une mémoire infaillible. Enfin, bref ! J’espère passer un bon moment en votre compagnie ! Suivez le guide !


Première page : Ma naissance



Je m’étais rendu compte que la plus petite chose avait une conscience à ma naissance.
Je m’en souviens encore … J’étais né dans un univers entièrement blanc et uniforme. Il n’y avait pas de limites. Ça s’étendait, là, tout autour de moi, immense. Je n’étais alors qu’un nom sur du papier.
Oui, on m’avait nommé Camille. Mais j’ignorai de quel sexe j’étais, la tonalité de ma voix, la couleur de mes yeux, de mes cheveux ou de ma peau. Mon esprit était aussi vierge que la feuille de papier sur laquelle j’étais couché(e).
J’étais une petite tâche d’encre.
Puis, on m’a nommé Ludovic, ensuite Pablo, on est revenu sur Camille, pour partir sur Ludivine et finalement adopter Kei. Je crois que celui qui me nommait n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire de moi. Il hésitait, tapait sur son clavier et effaçait avant de frapper de nouveau. Puis, pour se changer les idées, il avait lu Rust Blaster, de Yana Toboso (qui est également le mangaka de Black Butler, non je ne fais pas du tout de pub, pourquoi ?). Je me rappelle qu’il pleurait  à la fin. Il a alors décidé de me nommer comme le personnage principal de ce manga : Kei. Je fus depuis lors un garçon aux cheveux blancs et aux yeux violets, tout comme le protagoniste du manga. Si ça, ce n’était pas du plagiat…  
D’ailleurs, à qui appartenait ces mains qui tapaient ces touches avec hésitation ? Maintenant que j’avais des yeux corrects, je pouvais regarder par-delà l’écran qui me séparait du créateur. J’y ai vu de la fumée de cigarette … et de la bière ! Super, mon avenir était assuré !
L’auteur sembla soudainement avoir une idée et ses doigts se mirent à voler de touche en touche. Autour de moi, les mots virevoltaient pour aller se positionner correctement. Une fois qu’ils avaient trouvé leur place, ils s’accrochaient à la feuille et se transformaient sous mes yeux. Je me retrouvai ainsi assis dans un fauteuil, une télécommande à la main, une canette de coca dans l’autre. J’étais dans une maison coquette. De grandes fenêtres laissaient le soleil déverser ses rayons chaleureux dans la pièce. C’était agréable et… Tiens ? L’écrivain avait changé d’avis, il pleuvait maintenant. On sonna à la porte. Je me suis retrouvé propulsé hors du fauteuil et revêtu d’un costume noir avec un plateau sous le bras. J’étais maintenant serviteur dans un immense manoir. J’allais ouvrir. Sous la pluie grelottait une jeune fille vêtue d’une crinoline qui formait comme un demi-globe à partir de ses hanches. Elle avait de grands yeux verts… Ah non, ils étaient bleus maintenant. Heu… L’auteur avait décidé désormais qu’elle portait un cache œil et qu’elle avait des cheveux noirs avec trois mèches colorées : une violette, une lavande et une indigo. Elle leva le nez pour lire son texte d’une voix monocorde :
-                Exc… Excusez-moi. J’ai été surprise par l’orage et je me demandai si je pouvais rester ici le temps que ça se calme.
-                Bien sûr, entrez, je vous prie. Je vais prévenir le Maître de votre présence.
Les mots avaient surgi tout seuls de ma bouche. La demoiselle, lady Paola Duncan si je m’en fiai aux mots, m’emboîta le pas. Les mots tournoyaient à toute vitesse. Je lisais, le nez en l’air. Apparemment, cette fille était un assassin qui venait tuer mon Maître. Ah, cool… “Mais Kei l’ignorait, écrivait le romancier, et il menait la meurtrière droit vers son Maître adoré.” Mais je ne sais même pas à quoi il ressemble, moi ! Je suis censé l’adorer ? Je ne l’ai encore jamais vu ! Mais, au moment où le créateur écrivit “Maître adoré” une vive affection emplit mon corps tout en entier. Je ne savais pas de qui il parlait, mais qu’est-ce que je l’aimais, ce bonhomme (ou cette dame, d’ailleurs).
Le manoir était immense. Les mots couraient partout. Ils explosaient en petites étincelles dorées pour faire pousser des arbres (dans la maison, mais oui, bien sûr…), du mobilier, des serviteurs vêtus de noir comme moi.
Lady Paola et moi étions arrivés devant une porte à double battant où étaient incrustées en lettres d’or les initiales de mon Maître (allez savoir comment je savais ça, moi !).
-                Je suis censé assassiner la personne dans ce bureau, marmonna Paola. Je ne sais même pas à quoi il ou elle ressemble.
-                Moi non plus, lui confiai-je.
-                On a l’air fin, tous les deux… 
-                Ça…
Je frappai à la porte. Des mots s’inscrivirent près de moi et je tâchai de les lire en y mettant le ton :
-                Maître ! appelai-je. La fille est arrivée.
-                Hein ? émit Paola, sidérée. Alors vous saviez que je devais venir !
-                Apparemment, c’est un piège, acquiesçai-je.
-                Oh, quelle galère… 
Une espèce de savant fou aux cheveux en bataille bondit hors du bureau (un laboratoire en réalité), armé d’une sorte de bazooka. Il nous observa, l’air de dire “Vous savez ce qu’on doit faire, maintenant ?” Mais l’inventeur était parti faire une pause pipi, alors nous, on n’avait rien à faire. Le vieux savant posa son arme dans un soupir.
-                J’suis trop vieux pour trimballer un truc aussi lourd, grogna-t-il en se massant les reins. Cet auteur est un sadique.
Nous nous assîmes tous les trois dans un soupir.
-                Alors toi, tu es mon serviteur, et toi l’assassin que je dois normalement éliminer, grogna le vieillard. Je m’appelle George.
-                Moi, Kei, me présentai-je.
-                Et moi, Paola. Heu, ça vous gênerez d’éviter de me tuer dès le premier chapitre ? C’est un peu rageant.
-                C’est pas moi qui décide, désolé !
-                Au fait, c’est quoi la trame de l’histoire ?
-                Aucune idée, soupirai-je. Je crois que je suis le personnage principal, mais… en fait, j’en sais fichtrement rien.
-                J’aimerais bien que ce soit moi ! Dans la dernière nouvelle de ce vieux renard, j’étais une actrice qui ne faisait que boire et baiser à tous les chapitres. J’aimerais bien avoir un vrai rôle pour une fois.
-                Tu étais déjà un autre personnage ?
-                Oui. J’ai même été publiée ! Mais les ventes ont fait un flop.
Un éternuement nous fit sursauter. Nous levâmes la tête vers le plafond et aperçûmes un jeune homme aux longs cheveux roux qui était installé dans le lustre. 
-                Salut ! sourit-il en se voyant découvert. Ne faites pas attention à moi, je ne fais qu’observer !
-                T’es qui ? s’étonna George.
-                Je ne sais pas exactement. Pour l’instant je suis “la mystérieuse silhouette qui observe toute la scène, un sourire de loup sur les lèvres”.
-                Ça ressemble à l’instigateur d’un complot, confiai-je.
-                Peut-être bien, soupira le garçon roux en balançant ses jambes dans le vide. Dis donc, il en met du temps, l’auteur ! Il est constipé ou quoi ?
-                Peut-être qu’il est parti manger, proposa Paola. Dis, Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres, pourquoi ne pas descendre discuter avec nous ?
-                Ben, apparemment je meurs si je mets pied-à-terre, soupira le garçon. Donc, pour le moment, je reste là.
-                Tu es victime d’une malédiction, un truc de ce genre ? le questionna George.
-                Peut-être, je n’en ai aucune idée. Je viens tout juste d’être écrit, vous savez. Mes caractéristiques sont encore un peu floues.  
-                Ah, revoilà l’auteur ! m’exclamai-je.
On reprit nos positions initiales, prêts à agir. L’écrivain prit une nouvelle gorgée de bière avant de se remettre à écrire. Les mots se mirent à voltiger autour de nous. Nos dialogues apparaissaient dans des bulles de BD. Aussi, George s’y colla. 
-                Ahah, misérable crapule, lut-il d’une voix monotone à faire peur. Nous savions que tu viendrais. Tu vas mourir. Ah, ah, ah…
-                Comment est-ce possible ? enchaîna Paola avec autant d’entrain que lui (c’est-à-dire zéro). Mais vous ne m’aurez pas comme ça. Je suis forte. Je vais vous tuer, vous.
Son bras se souleva pour me désigner, moi. “Hein ?” pensa-t-on tous les quatre.
-                Tu n’étais pas censé me tuer moi ? s’étonna George.
-                Ben apparemment non. Je dois tuer Kei, maintenant.
Cet auteur est une vraie girouette ma parole !
-                Alors tu m’as découverte, Lady Astertale. (tu t’appelles Astertale, maitenant ?)
-                (Ça doit être mon vrai nom…)
-                (Ah…) Ne crois pas que je me laisserai tuer aussi facilement ! clamai-je.
Mes mains s’emparèrent de l’arme que George tenait (celui-ci était d’ailleurs passé du rang de Maître à celui du grand-père givré du Maître en question). Je posai le bazooka sur mon épaule et en pointai le canon sur Paola.
-                Dis-moi où est mon Maître ! grondai-je. Ou je t’explose la cervelle (Désolé, ce n’est vraiment pas voulu !)
-                Ton Maître nous a dit que tu possédais la clé qui nous permettrait d’ouvrir les portes des Enfers, lut Paola sans la moindre accentuation. Il a fini par cracher le morceau. Je vais maintenant te tuer, arracher ton cœur et le manger. Ainsi, la clé sera à moi. (Mais c’est dégoûtant !).
-                J’avoue, déglutit Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres depuis son lustre.
-                (Je n’ai pas envie de me faire manger le cœur ! pleurnichai-je). Pour cela, il faudrait déjà que tu arrives à me battre ! clamai-je d’un ton rogue. Reculez, papi André !
L’anciennement George était occupé boire un thé, comme l’indiquait le texte. Il roulait des yeux fous, l’air de dire “Mais qu’est-ce que je fous là ?!”.
-                Papi André ! cria-je. Vous croyez réellement que c’est le moment de prendre le thé ?!
-                Il n’y a jamais de pause pour le thé, répliqua papi André. (Et mon cul, c’est du poulet ?! Non, mais je n’ai pas envie de mourir dès le premier chapitre ! Laissez-moi partir !).
Mais Paola lui collait déjà le canon de son revolver entre les deux yeux. Elle fit une grimace d’excuse alors que son texte s’affichait de nouveau.
-                Rends-toi, Kei, lut-elle. Ou je tue papi André. Ah, ah, ah, ah.
-                C’est censé être un rire sadique, fit remarqué papi André dans un soupir. Mets-y un peu de bonne volonté.
-                Tu peux parler, répliqua Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres. Quand tu lis ton texte, on n’y croit pas du tout.
-                Je suis d’accord avec Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres, fis-je remarquer. Ah, j’ai du texte ! Alors… Si c’est pour que la clé des Enfers tombe entre tes mains, friponne, ce petit sacrifice me permettra de sauver des milliers de vies ! (Je suis vraiment désolé, papi André…).
-                Et les vies de tous les domestiques de la maison ? lut Paola (toujours sans mettre le ton). Tu n’en as rien à faire également ? Sourire sadique.
-                C’est une didascalie, ça ! Tu n’es pas censé la lire ! lui cria papi André en louchant sur le revolver, ses mains toujours agrippées à sa tasse de thé.
-                (Oups…)
-                Que veux-tu dire ? crachai-je. (Cette histoire prend une tournure de massacre…)
-                J’ai placé une bombe dans le manoir, indiqua tranquillement Paola. Si tu ne viens pas avec moi, ça fera badaboum. (Mais je suis vraiment horrible comme femme !).
-                (Je ne te le fais pas dire ! hurla papi André. Ah, ma bulle se remplit. Voyons voir…) Kei, ne te préoccupe pas de moi et cours. Tu dois protéger la clé des Enfers à tout prix. Sinon, notre monde sera détruit. Fuis, mon petit. (Non, ne fuis pas, ne fuis pas ! Reste là, Kei et sauve-moi, merde !).
-                Papi André… Désolé, mais je vais arrêter cette bombe et sauver le pâtissier familial !
Grand silence entre nous quatre. Je dois avouer que je ne comprenais pas du tout pourquoi je disais ça, moi ! Ah, voici la suite !
-                Ce serait une terrible perte pour le monde s’il mourrait, lisais-je, trop estomaqué pour mettre le ton. Je ne saurai le permettre. Je vais de ce pas le sauver.
-                (Alors on laisse mourir les vieillards, mais on sauve les pâtissiers ! hurlait papi André, hystérique).
-                (Mais je n’y peux rien, moi ! me défendis-je).
Paola allait répliquer quelque chose quand une secousse terrible nous figea. Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres sauta de son lustre, étonné.
-                Tiens, on dirait qu’il efface la scène, fit-il remarquer.
-                Tu ne disais pas que tu ne pouvais pas mettre pied-à-terre, toi ?! s’énerva papi André, furieux contre l’auteur.
L’espace blanchit entièrement autour de nous jusqu’à ce que tout disparaisse. Nous nous retrouvâmes à flotter dans les airs, sans pouvoir distinguer le haut du bas. Puis, le noir envahit la page. 
-                … Je crois que l’auteur a éteint l’ordinateur, émis-je.
-                Apparemment, il n’était pas satisfait de la scène, soupira Paola. Il a tout effacé.
Nous nous laissâmes glisser le long de notre feuille, rebondissant au passage sur les quelques lettres restantes. Nous calâmes confortablement dans un coin de la fenêtre Word pour y passer la nuit. Nous ignorions dans combien de temps l’auteur allait revenir. Une heure ? Un jour ? Deux mois… En attendant, nous n’avions rien d’autre à faire que de dormir en espérant qu’il ne nous oublie pas. Parce que si tel était le cas, nous allions peu à peu nous effacer, dépérir et mourir. Nous pourrons renaître à n’importe quel moment, par exemple si le romancier se rappelle de nous tout à coup. Mais je suis né il y a à peine quelques pages et j’aimerai vivre encore un peu.
Même si je ne suis qu’une petite tache d’encre.

Je m’appelle Kei. Nom de famille : inconnu. Taille : inconnue. Poids : inconnu. Parents : inconnus. Passé : inconnu. Futur : plus qu’incertain. Libre arbitre : zéro.
J’ai des cheveux blancs malgré mon jeune âge (je dois avoir dans les dix-sept ans à vue de nez) et des yeux violets. Je n’ai pas d’histoire pour le moment. J’ai été le porteur d’une clé des Enfers pendant quelques pages, mais cette époque est révolue (apparemment).
Je partage mes lignes avec papi André, un savant amateur de thé, Paola, une tueuse voir plutôt une terroriste et Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres qui ne sait pas qui il est et dont on ne connaît pas le visage parce qu’il est masqué par son abondante tignasse rousse qui descend jusqu’au creux de ses reins. On a l’auteur qui fume et qui boit. De plus, il nous a créé, mais il n’a aucune idée de ce qu’il va faire de nous.
En gros, bah, on est un peu dans la galère, quoi.


Deuxième page : E2



J’étais installé tranquillement dans le creux d’un U majuscule, les jambes pendant de chaque côté de la lettre. Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres chantonnait doucement des paroles inconnues. Paola arrosait les lettres d’un peu d’encre en espérant pouvoir faire fleurir les projets de l’auteur. Elle croyait que le parfum floral de ces idées le guiderait jusqu’à son ordinateur. Quant à papi André, il buvait du thé noir. Il faisait nuit depuis plus de quatre jours. Une nuit d’encre.
L’écrivain ne nous avait pas oublié, puisque nous vivions encore. Mais cette obscurité constante commençait à peser sur notre moral. Heureusement que nous pouvions communiquer les uns avec les autres, parce que nous serions vite devenus fous là-dedans en cas contraire.
-                Dis, Kei, m’interrogea Paola en s’asseyant contre mon U, il reviendra, hein ?
-                …On verra, finis-je par répondre.
-                Qu’est-ce qu’on a fait de mal ?
-                Nous ? Rien ! J’ai juste l’impression qu’il est frustré.
-                Et s’il était parti en vacances ?!
Cette idée me mit les tripes à l’envers. S’il s’amusait quelque part, le créateur aurait vite fait de nous oublier… 
-                Ou en cure de désintoxe ?! continuait Paola, complètement affolée. Ce vieux renard, je vais l’étrangler !
-                Et comment ? soupirai-je, amusé.
-                Je trouverai bien un moyen !
-                Bien sûr…
Paola allait répliquer quand un ronronnement sourd attira notre attention. Nous nous levâmes tous les quatre, les yeux écarquillés. Sous nos pieds, une petite diode venait de s’allumer.
-                L’ordinateur… murmura Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres, il… 
-                Il est en marche ! hurlèrent Paola et papi André, surexcités. On va reprendre du service !
Une lumière éblouissante éclata autour de nous. Nous dûmes protéger nos yeux de peur que nos rétines ne soient brûlés par cette éclatante et soudaine illumination. Le fond d’écran s’afficha. Des vents incroyablement puissants nous soulevèrent, faisaient claquer nos vêtements. Nous avions tous les quatre un immense sourire aux lèvres. Une odeur de cigarette nous parvint. Nous vîmes l’auteur s’installer derrière son écran, sa clope au bec, sa bouteille de bière posée près du clavier. Il n’avait pas changé… Nous le vîmes prendre une grande inspiration… et se mettre à écrire. L’espace se modifia instantanément. Je courrais en pleine jungle amazonienne. Paola était sur mes talons. Silencieux comme des ombres, nous passions entre les plantes sauvages sans faire bouger une feuille ou un brin d’herbe. Nous étions le vent… non, nous étions la forêt.
Nous nous arrêtâmes brusquement en lisière de forêt. Nous nous accroupîmes, à peine essoufflé par notre course qui durait pourtant depuis plus de quatre heures d’affilées (ah bon ?). Face à nous se tenait le plus beau spectacle qu’il m’ait été donné de voir depuis ma naissance. Le vide s’étendait à perte de vue. Nous étions au bord d’une immense enceinte de pierre naturelle. Des centaines de cascades s’écoulaient le long des parois rocheuses pour disparaître dans la végétation en contre bas. L’eau accrochait les rayons du soleil qui se réverbéraient tout autour de nous. J’entendais le grondement sourd d’une cascade près de nous. 
-                Bon, on fait quoi, maintenant ? interrogeai-je Paola.
-                Je ne sais pas, mais je me sens dans une forme olympique ! Oh, Kei, t’es sexy dis donc !
Je constatai alors que j’étais entièrement habillé de cuir. J’avais un grand manteau noir, bordé d’un liseré pourpre, et un pantalon dont le bas était rentré dans des boots aux lacets rouges. J’observai Paola, vêtue des mêmes habits que moi. Ses cheveux noirs étaient rassemblés en chignon, exceptés ses trois mèches de couleur qui coulaient sur son épaule droite en une tresse. Contrairement à l’histoire précédente, elle avait une peau mate, mais portait toujours son cache-œil.
Le romancier dut estimer que nous nous étions assez reposés car nous nous remîmes en route. Nous nous dirigions à petites foulées vers la cascade la plus proche. Nous échangeâmes un regard affolé.
-                Il ne va pas oser ?! hurla Paola.
Je n’eus pas le temps de répondre que nous étions jetés dans l’eau glacée de la cascade. J’hoquetai, tentant en vain de reprendre mon souffle alors que j’étais violemment ballotté par le courant. Je parvins à attraper la main de Paola. Mais, impossible de regagner la rive ! Nous étions entraînés par le courant ! Nous allions mourir, soit noyés, soit écrasés au fond de cette cuvette !
Le vide s’ouvrit sous nous. Nous fîmes alors la seule chose qui nous restait à faire.
Nous hurlâmes.
Nous entamâmes une chute vertigineuse qui nous paraissait sans fin. L’eau et le vent fouettaient notre visage alors que la cime des arbres se rapprochait de plus en plus vite ! Panique totaaaaaale !!
C’est alors que nos corps agirent instinctivement. Nous nous propulsâmes en avant (par quel miracle, je n’en sais rien…) et nous agrippâmes à une branche. Dans notre élan, nous tournâmes deux, trois fois autour avant d’atterrir en souplesse sur le sol. Nos bras auraient dû normalement se décrocher sous le choc, mais nous étions intacts. Nos membres ne nous faisaient même pas mal ! Avec Paola, nous échangeâmes un regard déconcerté. Notre auteur nous avait changé en super héros ou quoi ?! Nos bulles apparurent dans un petit “plop”.  Ah, le premier dialogue depuis le début !
Trois petits points s’affichèrent.
-                Hé, auteur débile ! hurla Paola dans un Y roulé en un genre de gigaphone. Si c’est pour mettre ce genre de dialogues, autant ne pas en mettre du tout !
-                Arrête d’hurler ! répliqua une voix. Ça me casse les oreilles !
-                Tiens, mais ça ne serait pas Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres ? souris-je en m’approchant. Tu te perches dans les arbres, maintenant ?
-                Ben, vu qu’il n’y a pas de lustres dans le coin,  je fais avec ce que j’ai sous la main, quoi, émit notre ami roux.
-                En fait, la citation, “les idiots aiment la hauteur” est peut-être bien véridique, railla Paola.
-                Au fait, Mr la mystérieuse-silhouette-qui-observe-tout-la-scène-un-sourire-de-loup-sur-les-lèvres, qu’est-ce que tu fais là ? demandai-je tout en bâillonnant mon amie d’une main.
-                Je suis censé vous bondir dessus en hurlant comme une bête sauvage dans quelques minu… Ah non, tiens, c’est maintenant.
Il sauta brusquement de sa branche en poussant des cris à faire pâlir de jalousie un cochon qu’on égorge ! Ses cheveux roux volaient autour de sa tête (mais allez savoir pourquoi, les mèches qui masquaient ses traits, elles, restaient à leur place…). Il atterrit derrière moi et ses dents s’enfoncèrent sauvagement dans mon épaule. Au début, j’étais trop étonné pour réagir, mais l’auteur se mit à écrire les sensations. Les mots filèrent comme des flèches vers mon épaule. Ils déchirèrent la chair pour s’y loger et ainsi faire gicler le sang et répandre la douleur à travers tout mon être. Je n’eus pas besoin de lire mon texte, cette fois-ci. C’est sorti tout seul. Un long hurlement de douleur à m’en déchirer les cordes vocales. Au bout d’un moment, Paola tapota sur mon épaule valide et me fit une grimace en m’indiquant ma bulle de la tête. 
-                Apparemment tu ne cries pas, m’indiqua-t-elle. Tu as mal, mais tu ne dis rien. Tu souffres en silence, comme un homme, un vrai, ajouta-t-elle d’un air très convaincu.
-                Mais il est taré, l’écrivain ! criai-je, les larmes aux yeux. Ça fait vraiment très mal !
-                Ben ouais, indiqua Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer (oui, selon la situation, on change son nom) en se redressant, du sang sur le menton. Je suis un cobaye de laboratoire. Mes dents sont empoisonnées. Tu devrais mourir d’ici les deux prochains paragraphes.
-                Tu vas devenir un martyr ! s’exclama Paola en prenant mes mains dans les siennes, des étoiles plein le regard (non, je ne mens pas, elle a des étoiles clignotantes dans son œil valide ! L’imagination de l’auteur est quelque peu tordue par moments…).
-                Pourquoi ça vous réjouit tant que ça, tous les deux !? hurlai-je, furieux.
C’est alors que nos corps nous échappèrent. Paola bondit sur Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer et ils roulèrent dans l’herbe dans une lutte acharnée. Notre ami roux faisait claquer bruyamment sa mâchoire et l’on pouvait voir les gouttes de bave voler dans l’air pendant les ralentis (quelle idée de faire des ralentis dans un livre, quand même). Quant à moi, bah, je me suis effondré. Le paysage bascula autour de moi et je me retrouvai allongé sur le dos, les bras en croix. Mon regard voilé de fièvre se perdait dans l’immensité du ciel bleu qui s’étendait au-dessus de ma tête. J’allais… mourir ? Déjà ? Mais, on était qu’au deuxième chapitre ! L’histoire ne tient même pas la route ! Je suis censé être un personnage de roman, mais je n’ai même pas pu tenir ce rôle-ci ! Je sentis des larmes de rage envahir mes yeux. L’auteur était trop occupé à décrire le combat féroce entre Paola et Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer pour s’occuper de moi, me laissant libre de mes mouvements. Je me redressai donc péniblement.
C’est alors que je la vis.
Ce qui me frappa  en tout premier lieu chez elle, c’était qu’elle dégageait une odeur. Pas un parfum artificiellement imaginé par le créateur… celui-ci sentait le vrai. Une odeur de cannelle qui emplissait mes poumons.
Puis je notai son physique. Elle devrait avoir quoi ? Quinze ans ? Ses cheveux, aussi châtains que les miens étaient blancs, étaient coupés courts, un peu à la garçonne. Elle m’observait silencieusement depuis son rocher sur lequel elle était assise. Elle portait une robe bustier tout simple, en satin, et de couleur bleu roi.
-                Q… Qui es… tu ? murmurai-je.
-                E2, répondit-elle.
Elle avait une voix magnifique, une peu grave sans trop l’être. Ses yeux orange étaient vides de toute émotion. Elle m’observait tout comme on regarderait un insecte sous une loupe.
En gros, ce n’était pas très agréable…
-                E2 ? répétai-je. C’est un nom un peu bizarre, lui confiai-je faiblement.
La douleur s’atténuait peu à peu. Le sang avait viré à l’encre et les mots macabres se délogeaient de ma chair. Je grognai et haletai, la face aussi blanche que la feuille sur laquelle j’étais couché. E2 leva sa main droite. Les mots vinrent aussitôt danser autour de son poignet et s’agrippèrent à sa peau blanche. Je vis avec stupéfaction les lettres se fondre dans son organisme.  
-                Qui es-tu ? murmurai-je, fasciné.
-                Je n’existe pas. Je n’ai pas de “moi”.
-                Toute chose qui a un nom existe, philosophai-je.
Sans m’accorder une réponse ou même un regard, la jeune fille se dématérialisa en une pluie d’étincelles. Je clignai des yeux avec étonnement. Hé beh, ça ! On aura tout vu ! Paola revint justement à ce moment-là. J’écarquillai les yeux et déglutis.
-                Paola !
Mon amie était couverte de blessures ! Derrière elle se tenait Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer, également en sale état. La bulle de la jeune fille se remplit. Elle lut le texte d’une voix tremblante :
-                Je n’ai pas pu ramener l’antidote, mais je vais quand même te sauver. J’ai passé un pacte avec notre adversaire. Je vais partir, Kei… Et ainsi…
Elle sanglotait, mais moi, je ne voulais tout simplement pas y croire.
-                Tu vivras, acheva mon amie.
Animée par la volonté de notre écrivain, elle se leva.
-                Paola ! criai-je.
Je voulus m’élancer vers elle, mais les mots fondirent sur moi, bruyant et malfaisant essaim d’insectes noirs, pour m’empêcher d’avancer. Mais je continuai à lutter.
-                PAOLA ! hurlai-je de nouveau.
C’est alors qu’apparut une minuscule silhouette. Avec la vitesse et la force d’un ouragan, il fut sur Paola en un rien de temps et l’expédia, d’un coup de pied dans le ventre, valser en arrière. Elle atterrit dans mes bras et moi… ben je me suis explosé le dos contre un arbre. Devant nous se dressait fièrement papi André, harnaché dans une armure de samouraï, l’air trèèèès fier de lui-même. Il tenait à la main un thermos de thé vert (l’auteur avait renoncé au savant fou, mais visiblement pas au maniaque du thé).
-                (J’adore ce rôle ! clama-t-il en souriant. Ah, mon texte arrive ! Alors…) Bravo, mes chers élèves. Vous avez passé le test avec brio !
Ah bah, quand le rôle l’intéressait, il y mettait le ton, le papi André ! Et avec les poses théâtrales, attention !
Bref, nous, les deux éclopés, on a échangé un regard. Le texte de Paola s’afficha, mais elle n’avait pas besoin de mettre le ton. Elle était tellement surprise et en colère qu’elle le joua parfaitement !
-                Un… Un test ?!
-                Oui, sourit papi André. Que mon ami ici présent - Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer nous fit un coucou - et moi-même avons organisé pour tester votre bonne entente au sein du groupe ! Tiens, Kei, l’antidote.
Je laissai mon corps aux fils de l’auteur, trop soulagé pour tenter de me rebeller. Punaiiiiise ! J’avais vraiment eu la trouille. En tout cas, on a bien morflé, aujourd’hui. Quand je regardai les blessures de mes deux amis, je me disais qu’il y avait été quand même un peu fort, ce sa**** !
La page se retrouva brusquement plongée dans une semi pénombre, comme si le crépuscule s’était abattu sur nous. 
-                Tiens, l’ordi est en veille, analysa Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer.
Paola et moi poussâmes un soupir de soulagement. Mon amie examinait ses estafilades en grimaçant. Je lui souris puis me redressai.
-                Allez ! A qui ça dit un bain d’encre ?

Nous nous rendîmes sur une partie vierge de la feuille tout en faisant rouler un O majuscule devant nous. Une fois que nous nous fûmes éloignés de la jungle des derniers paragraphes, nous le fîmes basculer à terre. Puis Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer demanda poliment à un j qui passait par là de nous aider à remplir notre baignoire improvisée. Les lettres, chargées du confort des personnages en l’absence de l’auteur, ne pouvaient pas vraiment refuser. Donc, notre j se changea en une espèce de long tuyau d’arrosage et alla pomper de l’encre (via le câble de l’imprimante) pour remplir le O. Une fois que ça fut fait, nous débarrâmes de nos vêtements et nous glissâmes prestement dans l’encre tiède.
Soupir bienheureux général.  
-                 Que c’est bon, murmura Paola en s’étirant. C’était une bonne idée, ça, Kei !
-                Rien de tel après une dure journée de labeur, renchérit papi André.
-                Tu n’as rien fichu, toi ! Tu n’es apparu qu’à la fin !
-                Ça va, vos blessures ? m’enquis-je.
-                La douleur se dissipe peu à peu, m’informa Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer. En tout cas, même si je m’en suis tiré avec pas mal de coups, je suis content d’avoir fait au moins quelque chose cette fois-ci ! A la dernière histoire, je suis tout le temps resté perché dans mon lustre.
-                Et il aurait mieux valu qu’on continue ainsi, siffla Paola en contemplant ses bleus. Punaise, il nous a pas loupé, cet écrivaillon de malheur !
Elle fulminait. Moi, j’étais plutôt rassuré de toujours la compter des nôtres. J’ai vraiment cru que je ne la verrai plus jamais !
Je songeai à la mystérieuse jeune fille que j’avais vue dans la forêt. Son regard suffisait à me donner des frissons.
-                Dites, émis-je soudain, les interrompant dans leur conversation. Est-ce que vous n’auriez pas croisé une fille aux yeux orange, tout à l’heure ?
-                Un nouveau personnage ? s’étonna Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer.
-                Je ne crois pas. C’était assez bizarre. Elle a tendu la main et les mots sont venus danser autour d’elle, comme si elle les contrôlait. Elle a dit qu’elle s’appelait E2.
-                Itwo ? répéta papi André. Et, elle était comment ? me demanda-t-il, un filet de bave au coin des lèvres. Allez, dit ! Comment ils étaient, ses nichons ?
Je rougis furieusement à la demande. Je n’y avais pas fais attention, captivé par son odeur et ses yeux.  Je sentis soudain deux bras s’enrouler autour de mon cou alors que Paola me souriait d’un air prédateur.
-                Si tu veux en voir, mon cher, il suffit de le demander.
-                Heu, ça ira, bredouillai-je.
-                Tu sais, Kei, reprit-elle d’un ton presque timide, toi et moi… Enfin, comme tu es le personnage principal et moi, la seule fille du groupe… Ben, il y ait de fortes chances que tous les deux… on, on… on finisse ensemble et …
On devait avoir l’air de deux parfaits idiots, confus et les joues rouges de gêne, parce que papi André et Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer se mirent à rire comme des baleines. Vexée, Paola se décolla de moi et les toisa :
-                En tout cas, j’espère bien ne pas finir avec l’un de vous deux !
-                J’espère bien aussi ! répliqua papi André. Quand on a des petits seins comme les tiens, on ne se la ramène pas !
-                Tu as dit quoi, vieux pervers ?!
Je soupirai et me rapprochai de Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer pour laisser les deux autres se battre à leur guise.
-                C’est une drôle de rencontre que tu as fait, me déclara-t-il soudain.
-                Ah oui ? émis-je. En quoi ?
-                Que cette fille puisse contrôler les mots. Quand on est en plein dans l’histoire, les mots deviennent les bons petits soldats de l’écrivain et nous forcent à faire certaines choses, même si on n’en a aucune envie. Mais, d’après ce que tu dis, ils étaient tout gentils avec elle… C’est tout de même assez étrange, comme histoire.
-                Ne me parle pas d’histoire, soupirai-je, déprimé d’avance. La nôtre n’est même pas construite ! Ça rime à quoi, tout ce micmac ?!
-                Ben, j’en ai aucune idée, à vrai dire.
-                Bon Dieu, on va crever sur place… Je n’ai pas trop envie qu’on recommence comme dans les pages précédentes !
-                Moi non plus, à vrai dire. Mais on n’a pas vraiment le choix. Ici, c’est l’auteur qui décide. Si on ne suit pas ses directives, on est un peu dans la merde. Notre existence dépend de son bon vouloir.
La vie était vraiment mal foutue des fois.

Le jour sembla brusquement se lever quand l’auteur s’installa de nouveau à son poste. Il effaça toute la scène précédemment écrite, puis resta planté là, les yeux rivés sur l’écran de l’ordinateur. Nous, on était sagement en ligne, à échanger des regards, un peu inquiets. Papi André grommelait dans sa barbe tandis que Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer se dandinait d’un pied sur l’autre. Paola, elle demeurait silencieuse, la tête baissée. Je devinai qu’elle était encore angoissée à cause de ce qui avait failli se passer dans les pages précédentes. C’est vrai que si nous étions tous les quatre brutalement séparés, ça serait un coup dur. Je m’étais habitué à mes compagnons et je n’avais pas envie que cet auteur fasse du zèle et transforme notre univers en tragédie.
Au bout de dix minutes, j’avais les jambes tout engourdies. Papi André, lui, s’était laissé tomber à terre pour boire son thé tranquillement.
-                Je sais que mon attirance pour le thé ne vient pas de moi, mais de l’auteur, cependant je ne peux plus m’en passer !
Vingt nouvelles minutes s’égrainèrent.
-                Quand on a aucune idée d’histoires, on ne vient pas créer des personnages ! cria Paola, à bout de nerfs.
Une heure plus tard, Paola et papi André ronflaient alors que Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer et moi-même faisions un pique nique.
-                On peut lui reconnaître qu’il est persévérant, souligna mon ami roux avant de croquer dans un D bien rondouillard.
-                Hum…
Et une demi-heure plus tard.
-                C’est pas ce qu’on appelle le syndrome de la page blanche ? émis-je.
L’ordinateur s’éteignit.

Un tremblement de terre nous fit bondir tous les quatre sur nos pieds. Les yeux écarquillés, nous observions autour de nous. Une ville se formait sous nos yeux. Des immeubles, des maisons, des boutiques, des champs, une cathédrale, une école, la mer ! Les mots fusaient comme s’ils avaient le feu aux fesses ! Ça explosait partout autour de nous en des milliers d’étincelles alors que nous-même nous transformions. Des lettres voltigèrent autour de nous pour nous rhabiller et nous relooker. Papi André passa de maître des arts martiaux à petit pépé vêtu d’un chandail, une chemise et un vieux pantalon. Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer et moi fûmes revêtus d’un pantalon de toile noire, une chemise grise et d’un gilet noir où était cousu un écusson.
Puis, tout à coup, ce fut le noir. Logés en hauteur dans une pièce excentrique, nous échangeâmes un regard. Deux questions se posèrent aussitôt. Un, où étions-nous ? Et deux, où était encore  passée Paola ?! L’auteur avait une dent contre elle ou quoi ? Il voulait vraiment la faire disparaître ?!
Nous vîmes une voiture descendre tranquillement la rue. Une belle porche noire aux jantes brillantes (oui, avec des petites lumières et tout !). La voiture s’arrêta devant un portail cossu qui s’ouvrit à son approche. Le bolide se gara dans une cour pavée, jalonnée par de magnifiques magnolias fleuris. Un adolescent de seize ans descendit de la voiture. Il était vêtu comme Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer et moi-même. Il portait ses cheveux blonds assez longs pour être tressés et avait des yeux semblables à la couleur d’un thé correctement infusé (je tiens à signaler que c’est l’auteur qui a fait cette comparaison débile, pas moi !). Il eut un sourire à la vue du bâtiment. 
-                C’est moi ou il nous pique la vedette, cet illustre inconnu ? questionnai-je avec étonnement.
-                Tiens, papi André n’est plus là, fit remarquer Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer.
Nous le vîmes un instant plus tard qui traversait la cour à la rencontre du nouveau personnage. Les bulles apparurent dans un plop discret. Curieux, nous nous penchâmes en avant pour espionner leur conversation. Ce fut papi André qui commença :
-                Bienvenu cher élève, dans notre Académie. Veuillez me suivre, s’il vous plaît.
-                Merci, Monsieur le directeur.
-                Oh non, soupirai-je, pas une histoire d’école. C’est d’un classique navrant.
-                Bah, qu’est-ce qu’on en a à faire ? sourit Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer. Nous, on a juste à jouer notre rôle. Après, c’est à l’écrivain de se démerder.
-                Ouais… 
Nous observâmes ce nouveau personnage, parfaitement ancré dans son rôle de petit timide. Papi André lui faisait visiter l’établissement, présentant de temps à autres de nouvelles têtes que nous n’avions jamais vu. L’académie grouillait de personnages. Comme nous n’étions que quatre jusqu’alors, ça me faisait tout drôle de voir autant de monde, tout à coup. Papi André et le nouveau s’arrêtèrent soudainement dans une salle de classe. Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer fut propulsé sur une chaise. Il leva les yeux vers le ciel pour me faire un petit coucou. Moi, je m’assis en tailleur, attendant mon tour (en espérant qu’il viendrait). Pour le moment, je me contentai de jouer aux voyeurs. Papi André salua le professeur puis demanda au nouveau d’avancer. Ce dernier obéit.  
-                Voici Ryou Yokuso, votre nouveau camarade, le présenta-t-il. Il a dû emménager ici pour des raisons familiales.
-                Un élève transféré en milieu d’année, le coup classique, marmonnai-je.
-                Ryou, tu peux aller t’asseoir au dernier rang, à la place près de la fenêtre, à côté du pupitre vide.
Des mots de l’auteur s’écrivirent à la craie au tableau. “Murmurez !”, qu’ils ordonnaient. Alors tous les personnages/élèves se mirent à chuchoter entre eux, l’air excités. Mais beaucoup se disaient surtout : “Salut, on est dans quelle histoire, là ?” et d’autres qui répondaient “Aucune idée, je ne sais même pas comment je m’appelle”. Bref, le romancier partait complètement à l’aveuglette (ce qui ne l’avait pas fort réussi jusque-là).
Bref ! Ryou alla s’asseoir derrière Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer qui était en train de plier des grues en papier (allez savoir pourquoi).

Le premier cours passa sous ellipse et ce fut l’heure de manger. Tous les personnages délaissèrent Ryou, conformément aux ordres de l’auteur. Seul Mr l’ennemi-qui-nous-attend-en-embuscade-dans-un-arbre-pour-nous-tuer ne bougea pas de sa chaise.
-                Tu ne vas pas manger ? le questionna Ryou, toujours à fond dans son rôle. 
Mon ami roux leva vers lui un visage barré d’une cicatrice (depuis quand ?).
-                Tu es le petit nouveau, toi, non ? lut-il dans sa bulle.
-                Oui.
-                Hum… Alors tu ne l’as pas encore rencontré.
-                De qui donc ?
-                La bête de cette école… Oups, pardon, je voulais dire le gardien.
Il eut un sourire de sadique à faire blanchir les cheveux ! Je frissonnai. Le rôle du personnage mystérieux et bizarre lui allait à merveille !
-                Le gardien ? répéta Ryou.
-                Il ne devrait pas tarder à arriver… 
Je me retrouvai soudainement propulsé dans le couloir. J’avais changé de vêtements : ils étaient maintenant entièrement noir. Un débardeur, un corsaire et des boots militaires aux pieds. J’avais, passés à la ceinture, deux poignards étincelants. Mes dents étaient aigues et recourbées, si bien que j’avais du mal à fermer la mâchoire sans planter mes crocs (parce que ça en étaient) dans mes lèvres. Mes ongles étaient peints en noir. J’ouvris brusquement la porte, faisant sursauter Ryou et sourire Mr qui-plie-des-grues-en-papier-en-classe (rebaptisé pour l’occasion). Ma bulle apparut et du texte se mit à s’inscrire dedans.  
-                Les élèves ne sont pas autorisés à rester dans leur classe en dehors des heures de cours, signalai-je d’une voix platonique. Veuillez gagner le réfectoire… Ah, c’est encore toi, grognai-je en apercevant Mr qui-plie-des-grues-en-papier-en-classe.
-                Bonjour, Monsieur la bête, sourit mon ami roux. (Je crois que c’est une insulte, mais ce n’est pas voulu).
Mon personnage soupira et s’installa sur le pupitre le plus proche. Mes yeux violets se posèrent sur Ryou Yokuso qui me détaillait silencieusement.
-                Excusez-moi, demanda-t-il timidement. Qui êtes-vous ?
-                Kei, me présentai-je dans un grognement. Je suis le chargé de discipline dans cette école.
“Pourquoi je ressemble à un démon avec ses crocs ?! songeai-je. C’est bizarre, c’est trop bizarre !”
-                Quel genre de monstre es-tu ? lisais-je. (Heiiin ?).
-                Zombie.
-                Alors tu es comme l’autre tache, repris-je en désignant mon ami roux. (Désolé, je ne le pense pas le moins du monde !)
-                (Depuis quand je suis un zombie ? voulut savoir celui-ci).
-                (Qu’est-ce que j’en sais, moi ?!).
Le crépuscule s’abattit brusquement sur nous. L’auteur était parti faire une petite pause. Aussitôt, Ryou se laissa tomber sur une chaise dans un grognement.
-                Génial ! clama-t-il avec humeur. A peine je nais que je deviens un zombie et, en plus, j’ai des collègues qui ont l’air doué comme des manches ! Non, mais je vous jure, cet auteur n’a aucun talent !
Son véritable caractère n’avait rien à voir avec son personnage qui avait l’air timide et gentil ! Là, il me donnait plutôt l’impression d’un petit con… Ryou me jeta un regard noir (je ne sais pas ce que je lui avais fait, mais je ne pense pas qu’il doive beaucoup m’aime …).
-                Et c’est toi le personnage principal. Non, mais regarde ce minet ! Avec ses cheveux blancs et son visage d’ange, c’est un coup de l’auteur pour attirer les lectrices ! T’en fais un de beau, de raté !
J’étais tellement sidéré que je ne savais pas quoi répondre. Mr qui-plie-des-grues-en-papier-en-classe observait silencieusement Ryou. Ce dernier lui jeta un regard peu avenant.
-                Qu’est-ce que t’as, le roux ? grogna-t-il. Ne m’approche pas, tu pues l’encre bon marché.
-                Hé, ho ! intervins-je avec colère. Qu’est-ce qui te prends de t’attaquer à tout le monde comme ça !?
-                Et toi, à regarder les autres de haut parce que tu es le personnage principal ? Ne te fais pas d’illusion, tu ne le resteras pas bien longtemps. C’est moi qui répondrai au mieux aux attentes de l’auteur. Et tu finiras par ne devenir qu’un simple figurant.
-                Fais ce que tu veux.
-                Comment ça ?
J’haussai les épaules.
-                Fais ce que tu veux, répétai-je. Etre le personnage central ne m’intéresse pas, mais ce n’est pas moi qui décide, ici. Ni toi.
Nous nous affrontâmes du regard. Ce gars ne me plaisait pas, mais alors pas du tout ! Mr qui-plie-des-grues-en-papier-en-classe grimaça avant de m’attraper par le bras.
-                Viens, allons ailleurs, signala-t-il. On n’a pas de temps à perdre avec les nouveaux.
Il m’entraîna dans le couloir. Visiblement, l’attaque de Ryou ne l’avait pas laissé indifférent…
-                Quel personnage détestable, lâchai-je une fois que nous fûmes loin de lui.
Un nombre incalculable de figurants déambulaient autour de nous en bavardant gaiement. Pour un peu, nous nous serions cru dans la réalité. Je me demandai où était passée Paola en espérant que l’auteur ne l’avait pas effacée. La lumière revint brutalement et je fus propulsé sur le toit de l’académie. Le créateur ne semblait pas avoir changé d’avis entre temps parce que j’étais toujours le même. J’observais les alentours, appuyé sur la barrière qui délimitait le toit. L’inventeur avait peur de quoi ? Que ces personnages se suicident ? Comme si on le pouvait ! Une porte derrière moi s’ouvrit. J’aurai bien aimé me retourner pour voir de qui il s’agissait, mais l’auteur ne m’en donna pas le droit. 
-                Heu, excusez-moi ? m’appela une voix. Vous êtes bien Kei ? I
Je rêvai où le personnage qui me parlait avait une étoile dans son texte ? Je me retournai et je vis une jeune femme à l’imposante poitrine (un fantasme de l’auteur, sûrement) et à l’air complètement niais. Ma bulle se remplit tout d’abord par une didascalie pour m’indiquer l’attitude que je devais avoir puis le texte vint : 
-                C’est moi, souris-je avec nonchalance, le dos appuyé contre la barrière. Et vous, alors ?
-                Je suis le nouveau professeur, indiqua-t-elle.  Le directeur m’a indiqué que je devais passer par vous avant de commencer mon travail. I (Pourquoi j’ai des étoiles dans ma bulle ? soupira la jeune femme d’un air blasé. Franchement, il ne sait vraiment pas quoi inventer, ce stupide auteur). Je m’appelle Huguette, reprit-elle en lisant avec sa voix niaise, un sourire innocent sur les lèvres. J’espère que nous nous entendrons bien ! I (Rêve pas, le mioche. J’aime les hommes mûrs, moi).
“Mais c’est qu’ils sont tous plus sympathiques les uns que les autres, ces nouveaux personnages !” songeai-je, dépité. C’était à mon tour de donner la réplique :
-                Ne bougez pas.
Je m’approchai alors d’elle en reniflant l’air des alentours. Mes yeux la parcoururent longuement. Son personnage avait l’air gêné, mais, en réalité, elle semblait plutôt avoir pitié de moi et de mon rôle. Je me redressai alors, les mains dans les poches.
-                Vous pouvez y aller, lus-je. Vos élèves vous attendent.
-                Merci ! Au revoir, Kei. I
Je la saluai d’un grognement. Alors que je me retrouvai seul sur le toit de cette académie, des mots se mirent à défiler dans le ciel : “Ce n’était pas encore le bon, ce n’était pas celui-ci. Je le trouverai. Un jour, je le trouverai et je le tuerai”. Ça devait être mes pensées. Ah ? Qu’est-ce que je traquais, moi ? Ah, oui, je me rappelai (ou plutôt, l’auteur avait trouvé une idée). Je m’appelai Kei Himura (oui, comme Himura Kenshin, l’écrivain lit beaucoup de mangas…) et j’étais chasseur de monstres. J’en traquai un tout particulièrement : celui qui avait assassiné toute ma famille. Après 1000 ans de chasse (j’suis un viiiieux !… qui a l’apparence d’un adolescent ? Houlà, c’est qu’il a encore picolé, l’auteur…) j’avais été recueilli par Albus Potter (plagiat !! Ah, au passage, il s’agit de papi André) qui, ému par mon histoire, avait décidé de m’aider. Il avait donc construit cette académie et y avait jeté un sort (ben oui, c’est un sorcier, mais ça, vous le saviez déjà grâce à son nom) pour y attirer les monstres. Donc j’attendais que mon ennemi morde à l’hameçon, en gros ?  Beaucoup d’élèves ici étaient des humains (ah, Ryou n’est plus un zombie, au fait), tout comme la majorité des professeurs. Mais, par exemple, Huguette était une banshee (le créateur venait de finir le hors série de L’Epouvanteur où, à un moment donné, le personnage principal se bat contre une banshee qui… enfin, je ne vais pas vous spoiler !)  
Bon, enfin bref ! Moi, je suis une sorte de loup-garou un peu démon, avec un gêne vampire, mais je tiens aussi du zombie, avec un peu de sorcier, un soupçon gobelin, d’orc, de sphinx, de korrigan, d’elfe et encore bien des trucs bizarres. Un joyeux bordel en somme. Le monstre que je traque à la capacité de changer d’apparence, mais mon odorat est infaillible : quand je la sentirai, je saurai que c’est lui.
Et je le tuerai. 


Troisième page : A vous la suite !


L’écrivain écrivit jusque tard dans la soirée. Je dus protéger les élèves de l’école d’une invasion de marshmallows extraterrestres (sans qu’ils s’en rendent compte, bien sûr… Va’d’dieu ! C’était pas de la tarte !), le personnage de Ryou a failli découvrir mon identité de monstre, j’ai bu un thé avec Albus Potter (ouais, son goût immodéré pour cette boisson n’avait pas changé, ni sa manière de râler tout le temps, d’ailleurs) et traqué plusieurs fois une mystérieuse silhouette qui apparaissaient de droite à gauche et qui ne laissait sur son passage qu’une fragrance agaçante et quelques cheveux roux (c’est ailleurs là que j’ai compris qui était mon adversaire). Quand l’ordinateur s’éteignit enfin, j’étais épuisé. Je suais de l’encre à grosses gouttes. Mr qui-plie-des-grues-en-papier-en-classe sembla alors se matérialiser à mes côtés. Il me sourit. 
-                A croire que nous ne sommes jamais dans le même camp, toi et moi.
-                Ouais, lançai-je, encore ahanant. D’ailleurs, ton nouveau nom ! Il faut y penser ! Le mieux, je crois que ce serait Mr le-monstre-que-je-traque-sans-relâche-depuis-plus-de-1000-ans.
-                Ça correspond bien à la situation, admit-il. Un peu long, nom ? On ne pourrait pas enlever “depuis-plus-de-1000-ans” ?
-                Ouaip… On va faire comme ça… 
-                Kei ? Tu te sens bien ?
-                Je…
Je l’entendis hurler mon nom, mais je ne parvins à lui répondre. Mon corps me lâcha et je m’effondrai à terre. Bientôt, tout se teinta d’encre autour de moi. Je m’abandonnai aux bras de la nuit sans la moindre résistance.

Quand je repris connaissance, je me rendis compte que mon corps n’avait pas attendu que ma conscience se réveille. Pour satisfaire l’auteur, il avait pris le relais alors que j’étais évanoui. Encore le cerveau plongé dans les brumes de la torpeur, je mis un temps à comprendre où je me trouvai. J’étais perché sur… un poteau électrique !? D’abord affolé, je m’efforçai au calme. Mais qu’est-ce que je foutais là, moi ?! De plus, mes poignards n’étaient plus rangés dans leurs étuis ! Plusieurs raies rouges marquaient mes jambes et du sang m’aveuglait, provenant de mon arcade sourcilière fendue. Mon corps tout entier me lançait. C’était quoi ce foutoir ? Je ne tardai pas à avoir la réponse. En face de moi, sur un autre poteau électrique, se tenait la créature la plus laide qu’il ne m’ait jamais été donné de voir. Une sorte de pieuvre verdâtre, au corps constellé de boutons remplis de pus orange. Ça avait une figure humaine affreuse, à la peau toute craquelée, comme une plaque de boue qui aurait séché au soleil. Je grimaçai. Berk… Puis je remarquai qu’elle tenait, enserrée entre ses tentacules, Ryou. Ce dernier me lançait des regards supérieurs, l’air très satisfait de lui.   
-                Ne dîtes pas que je me fais massacrer à cause de ce type… émis-je en haussant un sourcil.
-                Ne bouge pas, chasseur de monstres ! cracha ma pieuvre d’adversaire. Ou je fais de ce type de la chair à pâtée !
-                Ah, cool pour toi…
La bulle de Ryou se remplit soudainement. Il se replongea immédiatement dans son rôle de pauvre otage inoffensif et se mit à crier dans ma direction :
-                Pourquoi tu te laisses faire ? Je t’en supplie, Kei, réagis !
Il jouait vachement bien la comédie, dis donc ! J’aurai presque pu croire qu’il s’inquiétait réellement pour moi.
Presque, hein !
Je jetai un regard à ma bulle. Je n’avais pas vraiment envie de jouer à ce jeu-là, mais je lus dans un soupir :
-                Par le passé, j’ai déjà tout perdu. J’ai été impuissant, j’ai vu ce monstre tout décimer sur son passage, réduire à néant chaque vie à laquelle je tenais, détruire chaque fibre de chaque être, briser mon esprit et piétiner mon âme…
Ça y est ! Le monologue du héros avant de lancer son coup final qui va abattre son adversaire (qui le dominait largement jusque-là) ! Je disais des trucs très poétiques, mais, pu-tain, qu’est-ce que c’était long ! Et ça continuait !
-                …Et cette fois-ci où nous avions mangé un hamburger au fast-food…
Bon, OK, laissez tomber, vous n’avez jamais vu écrit “trucs très poétiques” sur les lignes qui précèdent ma tirade émue sur ce hamburger… Non, non, je vous assure. Vos yeux vous jouent peut-être des tours.
Punaise, pour une fois qu’on avait une histoire qui tenait la route, il a fallu que l’écrivain vienne tout gâché ! Je ne souhaite vraiment à personne de devenir un de ses personnages ! C’est l’horreur ! Enfin bref, j’ai vaincu la pieuvre grâce à ma super rapidité dû à mes gênes en commun avec Bip-Bip (c’est quoi c’t’histoire encore… ? ). Le personnage de Ryou, effrayé par mon tour de force, était recroquevillé sur le sol. Il leva vers moi ses yeux luisant de peur.
-                Qu’est-ce que tu es ? murmura-t-il. (Profite bien de tes moments de gloire sur le devant de la scène, le raté. Bientôt, tu ne seras plus qu’un simple figurant).
Je ne fis même pas attention à sa provocation. Obéissant aux mots de l’auteur, je m’accroupissais près de lui. Là, l’écrivain arrêta de taper un moment, comme s’il hésitait sur la suite de l’histoire. J’en profitai pour bâiller. Ryou, lui, était aussi immobile qu’une statue. Il me jeta un regard noir quand il vit que je m’asseyais. 
-                Mes jambes me font mal à force de rester accroupi, expliquai-je dans un grognement.
On entendit soudainement le cliquetis des touches qui reprenait. Je me remis en position et offris ma main à Ryou. Ce dernier l’accepta à contre cœur. Nous nous relevâmes.
-                Tu sais que je devrai te tuer pour ce que tu viens de voir ? émis-je d’une voix menaçante.
Nous nous raidîmes tous les deux. Lui à l’idée de disparaître alors qu’il n’était apparu que quelques pages plus tôt et moi à l’idée de devoir le tuer. C’est vrai que je ne l’aimais pas vraiment (pour ne pas dire que je n’arrivais totalement pas à le carrer), mais pas au point de vouloir le tuer ! L’écrivain me fit relâcher la pression que j’exerçai sur le poignet de Ryou.  
-                C’est ce qui t’arrivera si tu parles à quiconque de ce que tu viens de voir.  
-                Attends, Kei !
Je m’arrêtai, sans toutefois me tourner vers lui. Ryou sembla hésiter.
-                Merci.
Je fis l’étonné. C’est vrai qu’une personne normale, après avoir été attaquée par un monstre et avoir vu le gardien de son école exécuter des pirouettes dans les airs, aurait dû s’enfuir en courant et en hurlant à plein poumons.
Mais nous n’étions pas des personnes.
Nous étions des personnages de romans. Nous n’avions pas notre mot à dire dans nos actions. Ma bulle se remplit à nouveau :
-                Merci ? répétai-je, l’air légèrement abasourdi.
-                Oui, merci de m’avoir sauvé, Kei. Tu sais si… !
-                Tu devrais partir maintenant, gamin.
-                Mais… 
-                Tu n’as pas entendu ?!
Je me téléportai près de lui et l’attrapai par la gorge. Je le plaquai contre le mur le plus proche. Mes crocs s’aiguisaient à vue d’œil alors que mes pupilles se réduisaient à l’état de deux fentes. J’avais l’impression que j’allais le dévorer. 
-                Je suis ce que vous appelez communément un monstre, gamin, lus-je d’un ton bas et rageur. Si tu continues à m’énerver - je passai délicatement mes griffes sur son cou - je te déchiquetterai.
-                Tu ne le feras pas.
-                Comment ça ?
-                Tu l’as dit, tout à l’heure, durant ta tirade de trois plombes. Tu ne laisseras plus personne mourir, pas comme avant.
J’ai dit ça, moi ? Ça doit être quelque part, entre les débris d’âme piétinée et les hamburgers. Mes doigts desserrèrent l’étau qu’ils exerçaient autour de la gorge de Ryou et je me reculai. 
-                Ne crois pas en les paroles d’un démon, gamin.
Je tournai les talons pour récupérer mes poignards que je rangeai dans leur étui. Puis je levai les yeux vers le ciel teint aux couleurs du crépuscule. Un sourire mélancolique vint s’inscrire sur mes traits alors que je marchai sans me retourner à travers les rues de Honeda… Hein ? C’est quoi Honeda ? Une ville ? La ville dans laquelle je me baladai, c’est ça ? Non, mais fallait me prévenir, moi !
L’ordinateur venait de s’éteindre. Enfin libre de mes mouvements, je me dirigeai vers le L le plus proche et le fit basculer avant de tordre un peu sa barre pour que je puisse m’installer confortablement (ce qui donna à peu près ça, en gros : 3 ). Je me laissai tomber dessus dans un soupir et m’allongeai-je, les bras croisés derrière la tête. Je songeai à mon évanouissement. Que m’était-il arriver, en réalité ?  
-                Cou-cou ! émit soudainement une voix.
Je sursautai, mais ce n’était autre Mr le-monstre-que-je-traque-sans-relâche. Je lui souris et m’asseyais-je.
-                Coucou, Mr le-monstre-que-je-traque-sans-relâche. Comment tu vas ?
-                C’est plutôt à moi de te demander ça, soupira mon ami. Tu es couvert de blessures. J’ai apporté un peu d’encre/pommade. Ça devrait te faire du bien.
Selon ses directives, je me déshabillai pour qu’il puisse étaler l’onguent sur mes blessures. Ma peau de papier gondolait un peu au contact de l’encre avant de s’assouplir, s’aplanir et  finalement reprendre son état premier de papier vierge. Je poussai un soupir de soulagement. 
-                En ce moment, l’auteur ne te ménage pas, sourit mon ami dans un petit soupir.
-                Tu crois que c’est pour ça que je me suis évanoui, la dernière fois ?
-                Sûrement. On n’a pas l’habitude, après tout.
-                Ouais… 
-                Salut, les jeunots !
Il s’agissait d’Albus Potter, accompagné de Huguette. Celle-ci était en train de fumer un Z roulé. Le Z est une lettre plutôt rare dans les romans, alors, quand on en trouve un, le tabac qu’on réussi à en tirer est le meilleur qui soit. La jeune femme se laissa tomber sur le L tordu dans un soupir, tout en se massant la nuque. 
-                Quelle plaie, murmura-t-elle. Cette histoire est décidément un torchon. I
-                N’empêche que c’est la première dont notre écrivain est satisfait, releva Albus. Un peu de thé ?
Nous nous mîmes tous les quatre à discuter de tout et de rien. Je songeai à Paola. Où était donc passée notre amie ?
Je remarquai soudain une présence, dissimulée derrière les lettres du paragraphe précédent. Cette odeur… Sans m’en rendre compte, je me levai, hypnotisé par ce parfum. Ce ne fut que quand Mr le-monstre-que-je-traque-sans-relâche attrapa mon bras que je repris mes esprits. 
-                Kei ? s’inquiéta-t-il. Qu’est-ce que tu as ? Tu sembles ailleurs.
-                Ce… Je… je reviens !
Je me mis à courir sans donner plus d’explication. Un petit rire me figea alors que je dépassai la lisière des mots. Je levai les yeux vers E2 qui m’observait. Les lettres dansaient autour d’elle, certains s’imprimaient même sur sa peau blanche. 
-                Bonjour, Kei, me lança-t-elle de sa voix douce et calme.
Elle semblait plus vivante que la dernière fois que je l’avais vu. Bien qu’elle ne sourisse pas, on aurait dit qu’elle s’amusait.
-                Bonjour, E2, la saluai-je à mon tour. Tu as l’air d’aller bien.
-                Ah oui ? murmura-t-elle.
Elle sauta du H où elle était perchée pour me faire face. Les mots dansaient autour d’elle dans un ballet hypnotique.
-                E2, je peux te poser une question ?
-                Hum ?
J’hésitai. J’avais tellement de choses à lui demander que je ne savais pas par quoi commencer. Je pris une grande inspiration et la questionnai sur la première chose qui me passait par la tête :
-                Tu n’es pas un personnage, n’est-ce pas ?
-                Nous sommes tous des personnages.
-                Heu, C… Comment ça ?
E2 se mit à lentement tourner au grès des mots.
-                Je joue le personnage d’une fille nommée E2. Tu joues le personnage d’un personnage nommé Kei qui a été successivement porteur de la clé des Enfers, agent secret et tueur de monstres. L’auteur joue le personnage de l’Ecrivain. Nous jouons tous un rôle, Kei. Celui de notre vie.
-                A t’entendre, on se croirait dans un théâtre.
-                C’est un peu ça, en effet.
-                Même les personnes dans la réalité ?
-                Bien sûr. Personne ne déroge à cette règle. Mais, il y a une chose à savoir, Kei.
-                De quoi ?
-                Personne ne peut jouer ton rôle à ta place.
Elle s’effaça aussi rapidement que la dernière fois. Je voulus la retenir, mais elle glissa entre mes doigts comme de la brume. J’observai silencieusement l’endroit où elle s’était tenue un instant plus tôt. Le mystère qui entourait cette fille m’intriguait. Je voulais en savoir plus, la revoir, lui poser toutes les centaines de questions qui se bousculaient dans ma tête.
Un ricanement attira soudainement mon attention et je me retournai. Ryou me jeta un regard méprisant. 
-                Alors le héros, on se promène ?
-                Comme tu le vois, répondis-je avec froideur.
-                Tu joues bien le monstre, tu sais ? Remarque, c’est assez naturel pour toi.
Je commençai à regretter de n’avoir pas laissé la pieuvre l’étrangler entre ses tentacules, celui-là…  Il m’adressa un sourire goguenard, comme s’il savait que cela ne faisait qu’augmenter l’irritation que j’éprouvai à son égard. Puis une soudaine question me vint à l’esprit. Ce que j’éprouvai… c’étaient mes vrais sentiments ou ceux que l’écrivain avaient greffé en moi ? Lui, j’étais sûr qu’il s’agissait des siens (il n’y a qu’à voir ses changements de comportements pendant l’histoire et en dehors), mais moi ? Albus Potter adorait le thé parce que c’était l’auteur qui l’avait décidé. Mr le-monstre-que-je-traque-sans-relâche avait sa propre personnalité parce que l’écrivain le laissait dans l’ombre, sans réellement le définir, mais s’il décidait d’en faire vraiment le monstre sanguinaire de son histoire… Alors le deviendrait-il ? C’était fort probable. Moi-même, j’ignorai si ma personnalité était réellement la mienne ou non. Vous devez vous dire “bah alors, qu’est-ce que ça change ? De toute manière, tu ne peux même pas décider par toi-même”, et c’est justement ça, le problème ! Déjà que je mène une vie sur laquelle je n’ai aucun contrôle, alors j’aimerai au moins avoir des pensées et des sentiments à moi !
Mais, de ça non plus, ce n’était pas à moi d’en décider… 


Et maintenant, chers lecteurs… A VOUS LA SUITE !

Marine Lafontaine
   

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