Ael avait enfilé sa tenue d’homme de
ménage. Il vissa sur sa tête une casquette délavée et avachie avant de partir
chercher son chariot où reposaient produits, seaux et chiffons. Il consulta
rapidement sa montre. Eyck avait bien précisé qu’il devait être dans le bureau
de la patronne à quinze heures. Cela lui laissait assez de temps pour faire le
ménage dans quelques chambres. Il entra dans l’une d’entre elles après avoir
frappé. Sur le lit, un jeune homme de quatorze ans tout en longueur était
allongé, un livre à la main. Il ne se détourna de sa lecture que brièvement,
rapidement absorbé de nouveau par les aventures d’Artemis Fowl.
-
Siméon, je
dois faire ton lit, fit remarquer Ael dans un soupir.
-
Hn,
répondit le lecteur.
-
Siméon…
-
Hn, hn…
C’était toujours pareil avec lui ! Agacé, Ael
lui retira le livre des mains.
-
Deb… !
Il n’eut pas le temps d’en dire plus qu’une force
surnaturelle l’envoyait valser à travers la chambre ! Le jeune homme
rencontra brutalement un mur et retomba sur le sol dans un bruit sourd.
-
Ael !
Siméon, complètement paniqué, se précipita sur lui.
Si un pensionnaire s’en prenait à un membre du personnel, il était sévèrement
puni ! Rien que cette idée faisait trembler le garçon. Mais, à sa grande
stupéfaction, Ael ne le gronda pas. A la vue de sa bouille affolée, il lui
sourit gentiment et l’attira contre lui.
-
Là, tout va
bien… Désolé de t’avoir surpris. Mais tu dois apprendre à te contrôler,
d’accord ?
-
Oui…
-
C’est bien.
Tu veux bien attendre que je fasse ton lit ? Après, tu pourras y retourner
et bouquiner autant que tu veux.
Ael voulut s’approcher du lit, mais
Siméon s’interposa soudainement, rougissant.
-
Heu,
je… Je peux le faire moi-même !
-
… ?
Hum… émit Ael.
-
Q…
Quoi ?
-
Tu as
quelque chose à me cacher ?
-
Pas du
tout !
-
Tu ne
trompes personne… Bah, c’est de ton âge, après tout. Je te laisserai
l’aspirateur, mais je veux que tu déplaces le lit pour aspirer toutes les
saletés en dessous, clair ? Et tu changes les draps !
-
Oui…
Alors que Siméon s’occupait de son lit, Ael faisait
les poussières et astiquait les vitres. Une fois sa besogne terminée, le jeune
homme salua le pensionnaire et passa à la chambre suivante. Il travailla ainsi
d’arrache-pied pendant plusieurs heures. Puis, quand vint quatorze heures
trente, il alla ranger son matériel et prendre une douche. C’est pile à l’heure
qu’il se présenta à la secrétaire de la patronne, en costume et un dossier sous
le bras. Il détestait être en retard. La secrétaire en question était Thérèse
elle-même. Elle jaugea sévèrement le jeune homme du regard.
-
Je croyais
que tu devais encore te reposer aujourd’hui, fit-elle remarquer, grinçante.
-
Mais c’est
ce que j’ai fais, répliqua innocemment le garçon.
-
Tu as
d’autres mensonges à me sortir ? Parce que celui-là manquait d’arguments.
-
Thérèse…
-
Ta
blessure ?
-
C’est bon,
je vais bien.
-
Tu pourras
me dire ça quand tu arrêteras de faire la tournée des bars toutes les deux
semaines.
-
…
-
Bon, la
patronne t’attend.
-
Merci.
Ils avaient roulé quasiment tout le jour. Tout
était enfin prêt pour l’opération. Plusieurs camions de l’anti-brigade étaient
placés à des points stratégiques et leurs membres étaient prêts à fondre sur le
pensionnat dès que l’ordre sera donné. Cinaed sentait la chaleur de ses flammes
taquiner ses paumes. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas fait quelques
agents… Son sang pulsait dans ses veines rien qu’à cette idée. A côté de
lui, Azela dormait dans les bras de Nathanaël. Ce dernier souriait tendrement
au visage serein de sa bien-aimée. Un instant, l’aiguillon empoisonné de la
jalousie vint asticoter le cœur de Cinaed, mais il tâcha de faire taire ses
sentiments négatifs. Nathanaël, sentant le regard du jeune homme peser sur sa
nuque, se tourna vers lui et lui adressa un sourire.
-
Cinaed,
j’ai une proposition à te faire.
-
Hum ?
-
Ce soir,
notre but est la tête de la brigade. Une fois que leur chef sera mort,
retournons à Honeda. De là, nous arriverons à avoir des nouvelles de Gabrielle
et d’Ael. Et on ira les voir, OK ?
Cinaed le dévisageait avec des yeux ronds, muet,
ému, déboussolé. Le voyant ainsi perdu, le frère de Marielle lui
sourit.
-
Cela fait
longtemps qu’on en rêve, hein… De revoir les êtres qui nous sont chers.
-
Ael…
-
Hum ?
-
Il ne pense
sûrement plus à moi…
-
Qui ne
tente rien n’a rien, l’ami ! Moi, je suis sûr que tout ira bien.
Il faisait chaud, dans ce camion où tous
s’entassaient les uns sur les autres. Oui, une chaleur moite, électrique et
tendue. Pourtant, en cet instant, Cinaed se sentait terriblement bien. “Je
comprends pourquoi Ael aimait tant ce garçon… songea-t-il en détaillant
Nathanaël. C’est quelqu’un de bien.”
Une jeune femme se leva soudain du siège
où elle était assise. Tous se turent alors que la dirigeante de l’anti-brigade
levait une main gantée.
-
Grand soir,
les amis ! Si vous deviez garder une date en mémoire, gravez celle-ci dans
votre esprit ! Car c’est le jour où nous allons vaincre !
Le reste de son discours fut perdu dans des
exclamations et des cris de guerre. Azela, réveillé par tout ce boucan,
esquissa un petit sourire.
-
Je
reconnais bien là Lizbeth. C’est vraiment une belle parleuse.
-
Excusez-moi.
Ael poussa la porte du bureau. C’était la
première fois qu’il y pénétrait depuis qu’il était entré dans la brigade. Il
avait déjà fait la connaissance de la patronne, mais jamais dans un lieu aussi
important. Le bureau était presque sacré, c’était un lieu que seuls les hauts
placés de la brigade pouvaient se vanter de fréquenter.
C’est pourquoi il s’avança
respectueusement sur le tapis persan. Le décor était sombre et d’un luxe
discret. Des boiseries couraient sur les murs et débordaient sur les étagères
qui formaient une bibliothèque immense, chargée de manuscrits, de dossiers, de
CD et de cassettes. Dans cette pièce assez étroite, ceinte par deux
bibliothèques, se trouvait un bureau. Plusieurs, en fait, tous disparaissant
sous des piles de paperasses. Le seul dont on arrivait à encore distinguer le
plateau était celui qu’occupait une jeune femme aux longs cheveux blonds. Elle
leva deux doigts pour intimer le silence à son agent alors qu’elle écoutait les
paroles de son interlocuteur dans son oreillette tout en prenant quelques
notes. Finalement, elle remonta nerveusement ses lunettes à la fine monture et
raccrocha sèchement. Elle se laissa aller en arrière dans son siège avec un cri
de désespoir.
-
Quelle
bande de ploucs ! Ah, je te jure, Ael, ne sois jamais une femme !
-
Ça ne
risque pas d’arriver, madame Arra, répliqua l’intéressé en haussant un sourcil.
-
Je te jure
que c’est une très mauvaise idée ! Tu ne te fais entendre de personne, tu
es soi-disant incompétente parce que tu fais partie de la gente féminine !
Les hommes peuvent tous aller se faire voir !
-
Hum…
-
Toujours
pas d’avancement dans ta relation avec le pensionnaire ?
-
Madame
Arra !
Celle-ci émit un rire clair. Son regard aigu se
posa sur Ael qui fronçait les sourcils. Arra, de son nom complet Anaïs Arra, se
redressa.
-
Rapport,
exigea-t-elle.
Son agent lui tendit le dossier qu’elle feuilleta
avec une rapidité sidérante.
-
Un piège,
donc… Et pas de nouvelles de Greuz ?
-
D’après
Eyck, il est introuvable. Peut-être a-t-il rejoint les rangs de l’anti-brigade.
-
C’est une
possibilité comme une autre, en effet… Ael.
-
Oui ?
-
Viens voir…
D’un ample geste, elle débarrassa son bureau de
tout document gênant (ce qui en faisait beaucoup) pour étaler une carte à la
place. Cela représentait l’Europe, mais la carte était striée de traits dont la
totalité convergeait en un seul et même point : un de leurs pensionnats.
Ou plus précisément, celui dans lequel ils se trouvaient.
-
Qu’est-ce
que ça signifie ? murmura Ael.
-
J’ai fait
appel à mon pouvoir… expliqua Arra. Une tempête s’approche, c’est pour
très bientôt.
-
Pourquoi…
-
Te confier
cela à toi ? Parce qu’aucun de mes benêts de subordonnés n’accepte de se
bouger le fion ! Selon eux, je ne suis pas une source fiable ! Nous courons
à la catastrophe !
-
De quoi
parlez-vous ? commençait à s’inquiéter Ael. Que se passe-t-il, bon
sang ?
-
Tu dois
évacuer les pensionnaires, toi, ils t’écouteront ! L’anti-brigade prépare
un coup de force majeur.
-
Mais…
-
Je ne peux
confier cette mission qu’à toi, Ael. Tu es le seul agent en qui ils ont
confiance.
C’est alors que la sirène d’alarme du pensionnat se
mit en marche et des voix à beugler.
-
L’anti-brigade
nous attaque !
Ael avait entraîné Thérèse dans son sillage. Armes
aux poings, les deux agents étaient déterminés à protéger leur patronne au
péril de leur vie.
-
Combien
sont-ils, à peu près ? voulut savoir le jeune homme.
Arra leva sur lui des yeux entièrement noirs. Elle
ouvrit la bouche et une voix rauque sortit de sa gorge :
-
Près de deux
cents. J’en dénombre cinquante au Nord, soixante près de l’entrée
principale… Et…
Elle sondait de ses antennes invisibles
les alentours, attentive et transportée. Finalement, elle prit une grosse
goulée d’air, comme un plongeur qui remonte en surface. Ahanante, la sueur au
front, la patronne de la brigade secouait la tête.
-
L’anti-brigade
est menée par sa chef. On doit évacuer les pensionnaires au plus vite.
-
Oui,
allons-y, approuva Thérèse.
-
Avec mon
don, on devrait pouvoir éviter la plupart de nos assaillants.
-
Cela va
vous épuiser ! protesta la secrétaire.
Arra secoua négativement la tête.
-
Je ne tiens
pas à me battre.
Ael attrapa sa patronne et passa un de ses bras
autour de ses épaules pour la soutenir.
-
Nous avons
à faire, dépêchons-nous, souffla-t-il. Vous n’avez pas intérêt à mourir, Arra.
Pas maintenant.
Tous trois se mirent en route aussitôt. Passant par
des couloirs sombres sur les indications d’Arra, ils parvinrent à éviter les
membres ennemis. Le corps de la jeune femme se faisait de plus en plus lourd
contre celui d’Ael alors que son pouvoir la vidait de ses forces. Elle haletait
et marchait difficilement.
-
On ne pourra pas continuer longtemps comme ça, constata
Thérèse.
Ael ne répondit pas, calant plus confortablement sa
patronne contre lui. Arra grogna alors qu’elle s’affaissait un peu plus. En
quelques minutes, elle semblait avoir vieilli de dix ans.
-
On ne peut pas la laisser, murmura Ael de peur qu’un ennemi ne
l’entende. Elle est en train de se vider de ses forces…
Un coup de feu les mit instantanément sur leurs
gardes. Ils se plaquèrent contre un mur et s’accroupirent, prêts à faire feu.
Au bout de cinq minutes, le silence était revenu. Une fausse alerte ?
Thérèse abaissa le canon de son arme à feu.
-
Trou-vés !
Lizzie se redressa pour contempler les
flammes qui léchaient les bâtiments. Un spectacle des plus réjouissants. Tous
les pensionnaires avaient été réunis à l’abri et les membres de l’anti-brigade
s’évertuaient à les rassurer. Quant aux agents… La jeune femme s’avança,
régalienne. Ses hommes maintenaient en joue une petite centaine d’hommes et de
femmes terrifiés.
-
On a la
chef ! cria soudain une voix.
Lizzie fit volte-face. Plusieurs membres de
l’anti-brigade poussaient devant eux des agents, parmi lesquels se trouvait une
jeune femme blonde. Malgré la grande fatigue qui alourdissait ses membres, Arra
fit face à Lizzie sans sourciller, fière et droite.
-
Anaïs Arra,
te voilà dans une bien mauvaise posture, très chère.
-
Lizbeth
Ymay, la salua sèchement la dirigeante de la brigade, je ne te pensais pas
descendue si bas. Tu viens d’arracher leur foyer à tous ces gens.
-
Je ne fais
que briser les chaînes avec lesquelles tu les as enferrés à toi.
-
Si le
moindre de mes pensionnaires est blessé, je jure de te tuer. Si le moindre de mes
agents est mort, je jure que ton agonie sera longue et douloureuse.
-
Quelle
menace terrifiante… Emmenez-les !
Les bâtiments, dévorés par les flammes,
commençaient à s’effondrer. Alors que les membres de l’anti-brigade forçaient
leurs prisonniers à monter dans les camions, des hurlements couvrirent le
grondement des flammes et les ordres aboyés par les hommes de Lizzie. Cette
dernière se retourna, sourcils froncés. A une fenêtre, deux enfants hurlaient
et pleuraient, terrifiés, prisonniers de ce tombeau brûlant qu’était devenu
leur chambre.
-
JULIE !
GOF ! hurla Thérèse, tremblante à cette vue.
Un cri à ses côtés la fit sursauter. Un membre de
l’anti-brigade s’effondra, assommé, alors qu’une silhouette courait à perdre
haleine vers le pensionnat en flammes. Arra écarquilla les yeux.
-
NON,
REVIENS !
Mais Ael s’était déjà engouffré dans le bâtiment
sans un regard en arrière.
-
Julie !
Gof !
La fumée lui brûlait les poumons, irritait ses
narines et attaquait ses yeux. Le nez dans la manche de sa veste, Ael
progressait rapidement alors que sa gorge le faisait de plus en plus souffrir.
La chaleur était insupportable, fournaise des enfers. Le garçon dut bondir en
arrière quand un pan de plafond s’effondra à quelques pas de lui. Si cela
continuait, il n’aurait jamais le temps de sauver les enfants ! Il reprit
sa progression, la peur au ventre.
-
Julie !
Gof !
Nulle réponse. A quel étage se trouvaient les
enfants, déjà ? Au quatrième, normalement… Une toux monstrueuse
souleva soudainement sa poitrine. Il n’arrivait quasiment plus à respirer.
-
Ael…
Le jeune homme sursauta à peine quand cette voix
effleura son esprit. Il se contenta d’acquiescer, signe qu’il avait saisi la
situation. A l’extérieur, dans la cour, Arra esquissa un sourire, heureuse que
son agent ait compris. Ses yeux entièrement noirs fixaient un point dans le
vide alors que Thérèse la soutenait difficilement.
-
Prends le
prochain escalier, murmura Arra. C’est le seul qui soit encore assez sûr.
Ael ne prit même pas la peine de vérifier. Il
s’élança à travers les flammes et grimpa l’escalier quatre à quatre. Sur les
instructions de sa patronne, il traversa l’étage tout entier pour rejoindre un
autre escalier. Les flammes ronflaient autour de lui, sans pitié. Elles
dévoraient tout, affamées, carnassières. Le jeune homme se tourna vers une
vitre dans laquelle il tira avant de se pencher dans le vide pour aspirer
goulûment de l’air. Une trentaine de secondes plus tard, il se remettait à
courir à travers cet enfer.
-
Julie !
Gof ! appela-t-il de nouveau une fois arrivés au bon étage.
-
La
troisième chambre à droite, Ael, lui indiqua Arra.
Le jeune homme s’y précipita et trouva les deux
enfants évanouis au centre de la pièce. Il fondit sur eux pour les soulever. Il
grimaça sous la charge. Ses jambes manquaient de lui faire défaut et sa
respiration était sifflante. Sa course à travers le bâtiment l’avait vidé de
ses forces. La voix d’Arra s’était tue. La patronne s’était sûrement évanouie.
Le jeune homme se remit à courir. Il n’y arriverait
pas à temps ! Julie et Gof seraient morts asphyxiés avant que lui ne soit
dévoré par le feu ! L’escalier qu’il voulut prendre était submergé par les
flammes, le suivant s’effondra juste après son passage. Il y avait encore deux
étages à descendre, mais… Ael ne trouva aucune issue. Il jura, maudit ce
feu, insulta plusieurs divinités pour laisser mourir des enfants innocents.
Le sol s’effondra soudainement, entraîné par
l’affaissement du plafond. Impossible d’accéder à l’escalier. Ael, dégoulinant
de sueur, le corps douloureux et la gorge brûlante, resta un moment immobile,
les dents serrées. Il ne pouvait plus faire demi-tour ! Il était
bloqué ! Il aurait voulu pousser un cri de rage, mais ce serait gâcher le
peu d’oxygène qui lui restait. En proie à une affreuse quinte de toux, il
raffermit sa prise sur les corps flasques des enfants. Il n’avait plus le
choix !
Sans éprouver la moindre hésitation, il sauta par
la fenêtre.
Lizzie demeurait silencieuse alors qu’elle
observait de loin Arra. Cette dernière était au chevet de son mystérieux agent
depuis près de deux semaines. Les enfants allaient bien et, malgré quelques
brûlures, ils purent quitter l’hôpital au bout d’une semaine. Quant à leur
sauveur… Lizzie soupira. Arra ne laissait personne approcher facilement
ses agents, encore moins celui-là.
-
Anaïs !
La dirigeante de la brigade sursauta. Elle se
redressa et quitta la chambre qu’elle referma soigneusement à clé derrière
elle. Tant qu’Ael ne serait pas rétabli, elle refusait que quiconque soit près
de lui. Elle ne connaissait pas les hommes de Lizzie et s’en méfiait comme de
la peste.
-
Que me
veux-tu ? grogna-t-elle.
Malgré son statut de dirigeante de la brigade, Arra
n’en demeurait pas moins une hybride comme les autres, ce qui lui conférait une
certaine liberté de mouvement. Alors que ses agents étaient enfermés, Arra
avait l’autorisation de se balader dans le QG, bien que sous bonne escorte.
Aujourd’hui, c’était Lizzie elle-même qui l’avait accompagnée à l’hôpital, mais
le temps était écoulé.
-
Alors ?
Toutes les deux venaient de remonter en voiture
pour retourner au QG. Arra haussa les épaules.
-
Les
médecins pensent qu’il devrait bientôt être rétabli.
-
Parfait. On
le transférera au QG dans deux jours.
-
Q…
Quoi ? C’est hors de question ! Il est trop faible pour ça !
-
Je veux
savoir pourquoi il a sauvé ces enfants.
-
Je l’ignore
moi-même… Beaucoup d’entre nous considèrent le comme un… ami,
articula-t-elle difficilement. Même à moi il m’arrivait parfois d’oublier qu’il
est seulement humain.
-
Oui, mais
c’en est un, nous haïr est dans sa nature. Toi, tu as tenté de faire cohabiter
les humains et nous, les hybrides. Tu as vu où ça a mené.
-
J’en ai
sélectionné une poignée pour qu’il s’occupe des pensionnaires. La brigade a
changé, Lizbeth, je l’ai changée ! Jusqu’à ton attaque, tout allait très
bien !
-
Ce n’est
pas ce que tes agents nous ont dit, tiens.
Arra serra les dents avec rage. Elle était bien sûr
au courant que ses agents lui avaient déjà tourné le dos. Certains l’accusaient
même de leur avoir fait du chantage pour les obliger à travailler pour elle.
Grotesque ! Elle n’avait jamais fait une chose pareille.
-
Nous sommes arrivées.
Quand Ael rouvrit les yeux, il faisait nuit noire.
Son corps tout entier le tiraillait, mais ses brûlures étaient assez
superficielles pour qu’il n’en souffre pas trop. Il parvint à se redresser
seul, l’esprit embrumé par les anti-douleurs. Il jeta un coup d’œil au-dehors,
constatant que la lune était pleine. Jolie, fut le mot qui le traversa. Puis il
évalua son environnement, geste machinal qu’il avait acquis ces dernières
années. Une chambre d’hôpital ? Il se leva, passant outre les bips affolés
des machines alors qu’il arrachait son cathéter. Au bout de son lit était
accrochée sa fiche de soin. Elle remontait à il y a deux semaines… Comment
la situation avait-elle évoluée durant sa convalescence ? Où était la
brigade ? Et les agents ? Les enfants allaient-ils bien ? Edda
et Thérèse avaient-elles été enlevées ?
Sans perdre un instant, ignorant son corps qui
réclamait encore du repos, Ael enfila des vêtements propres qu’il trouva dans
un placard. Pas d’arme… Il grogna puis se dirigea vers la porte. Son
regard s’assombrit quand il constata qu’elle était fermée à clé. De nouvelles
hypothèses s’échafaudèrent dans son esprit. Etait-il prisonnier de l’anti-brigade ?
Il jeta un coup d’œil par la fenêtre, mais renonça bien vite à tenter une
évasion par là. Il n’avait pas la force nécessaire pour une telle performance.
Alors il prit une chaise qu’il positionna au milieu de la pièce, face à la
porte. Puis il s’assit et s’endormit aussi sec.
Arra était escortée par deux hommes, cette fois-ci.
Tentant de les ignorer, elle grimpa rapidement les escaliers pour accéder à
l’étage où se trouvait la chambre d’Ael. Mais, arrivée devant la porte, elle
s’immobilisa, main sur la poignée. Qu’est-ce que… Elle s’empressa d’ouvrir
et entra en trombe dans la pièce, suivie des deux colosses. Mais nulle trace du
convalescent.
-
Ael !
cria-t-elle, inquiète. Ael !
Elle se précipita vers une infirmière qui avait
accouru, alertée par ses cris.
-
Le
patient ! Où est-il ?
-
Calmez-vous,
madame ! la pria la jeune femme, surprise par sa virulence. Nous l’avons
juste emmené à la cafétéria. Il était affamé.
-
Quoi ?
murmura Arra.
Un immense soulagement l’envahit. Pendant un
instant, elle avait cru que son agent s’était enfui. C’est alors qu’elle
réalisa ce qu’avait dit la jeune femme.
-
Il est
réveillé ?!
Ael termina son bol de céréales avec plaisir. Ah,
qu’est-ce qu’il avait faim ! Ce matin, alors qu’il faisait du raffut en
fouillant la chambre pour trouver de quoi forcer la serrure, le personnel de
l’hôpital était venu le trouver. D’abord réticent à l’idée de faire confiance à
des inconnus qui voulaient l’ausculter, il fut bien obligé de se plier à leurs
exigences, trop faible pour lutter. Le médecin s’était estimé fort satisfait et
l’avait autorisé à quitter la chambre pour se restaurer. Quand le jeune homme
l’avait interrogé sur son séjour, il avait répondu qu’une jeune femme blonde
lui rendait visite quasiment tous les jours, accompagnée, mais qu’elle seule
entrait dans la chambre. Il était d’ailleurs assez mécontent qu’elle ait un
double des clés.
Aussi Ael fut-il peu surpris quand il vit sa
patronne entrer dans la cafétéria, escortée par deux inconnus. Il se leva à son
approche.
-
Ael, tu es
là ! s’exclama-t-elle, soulagée. J’ai cru que tu t’étais enfui !
-
J’aurai
dû ?
-
Tu n’es pas
en état de faire de telles bêtises, reste tranquille !
-
Oui, madame
Arra.
La jeune femme s’installa à la table de son agent
alors que celui-ci reprenait son petit-déjeuner. Il évalua les mastodontes du
coin de l’œil.
-
Qui
sont-ils ? demanda-t-il alors.
-
Anti-brigade.
-
Situation
mauvaise ?
-
Très…
-
Je suppose
que je vais devoir venir, moi aussi.
-
Je suppose
également. Leur chef se pose quelques questions à ton sujet.
-
Leur chef ?
Il se tourna vers les deux hommes.
-
Vous voulez
un café ?
Réponse : regards forts étonnés. Ael haussa
les épaules.
-
Les
infirmières m’aiment bien, je crois. Quand je leur ai demandé un café, elles
m’ont servi une cafetière complète. J’en ai beaucoup trop. Vous en voulez,
madame ?
-
Volontiers !
-
Et
vous ?
Les deux hommes échangèrent un regard. Finalement,
ils acquiescèrent. Quelques minutes plus tard, chacun se retrouvait avec une
tasse brûlante à la main. Ael sirotait son café tranquillement, échangeant de
brefs regards avec sa patronne. Celle-ci avait l’air fort lasse, triste, même.
La situation devait être assez préoccupante… Il reposa sa tasse et
attendit que tous aient fini pour se lever.
Ael était assis à l’arrière d’un véhicule, yeux
bandés pour qu’il ne sache pas où se trouvait le QG. Le jeune homme, encore
fort faible, se sentait prêt à piquer du nez d’un moment à l’autre. Le
ronronnement de la voiture aidant, il ne tarda pas à sombrer dans un profond
sommeil réparateur.
Quand il se réveilla de nouveau, on l’avait
débarrassé de son bandeau. Il se redressa en bâillant puis observa les
alentours. Il se trouvait dans une cellule. Une grimace vint naître sur son
visage. Cette situation lui rappelait furieusement sa jeunesse !
-
Ael !
Le jeune homme eut la surprise de voir Edda dans la
cellule face à la sienne. La jeune femme lui offrit un grand sourire.
-
Soulagée de
te savoir en vie, mon grand ! Tu peux te vanter de m’avoir foutu une
trouille bleue quand tu as foncé dans le bâtiment en flammes !
-
Hum, se
contenta-t-il de répondre.
Le jeune homme s’approcha de la grille qui lui
barrait l’accès à la liberté et se colla à elle pour approfondir son
observation. Il se trouvait au centre d’un immense couloir aux murs gris,
jalonné de geôles semblables à la sienne.
-
Où est
madame Arra ? voulut-il savoir.
Le visage d’Edda s’assombrit considérablement.
-
Ne me parle
pas d’elle, cracha-t-elle, méprisante. Elle se balade librement parmi ses
semblables, que crois-tu ! Une hybride reste une hybride, quoiqu’on en
dise !
Ael n’avait pas la force de protester. Aussi
retourna-t-il se coucher.
Les trois jours qui suivirent, Ael dormit
beaucoup. Quand il se réveillait, il trouvait un plateau avec un repas fumant
dans un coin de la cellule. De temps en temps, des pensionnaires venaient lui
rendre visite. S’ils s’amusaient de l’emprisonnement des agents, beaucoup se
souciaient sincèrement de sa situation. Julie et Gof, notamment, vinrent
souvent le voir, regrettant qu’une grille les sépare de leur ami qu’ils
auraient aimé serrer dans leurs bras. Arra passa également, mais dut reparti
quand un troisième bol de nourriture lui atterrit dessus, lancé par d’anciens
agents en furie. Ael récupérait vite et, le quatrième jour, il reçut la visite
de Greuz.
Quand il arriva, le silence se fit dans
les geôles. Chacun se tut, ne connaissant que trop bien le pouvoir redoutable
de cet homme. Ael, lui, le salua comme à l’accoutumée.
-
Tu es dans
un bel état, se moqua son ami.
-
J’ai voulu
tester ma résistance au feu, répliqua le jeune homme.
-
Julie et
Gof n’arrêtent pas de bassiner les autres avec tes exploits. Ils demandent à ce
que tu sois libéré.
-
Ah
ouais ?
-
Ouais.
-
Hum… Hé,
Greuz, vous comptez faire quoi de nous ?
-
Aucune
idée, mon vieux, j’ignore ce qu’il y a dans la tête de cette dirigeante. Je
crois qu’elle aimerait te poser quelques questions.
-
Ah
oui ? A quel propos ?
-
Je ne sais
pas…
Le cinquième jour, on vint le chercher.
Nathanaël poussa un soupir de soulagement.
Pffou ! S’occuper de gamins était épuisant ! Heureusement, une jeune
femme était venue à son secours et, en compagnie d’un Gof et d’une Julie
enthousiastes, elle s’installa sur un grand tapis alors qu’ils dessinaient.
Azela, amusée, les observait quand elle se fit aborder par une amie.
-
Hé, Azela,
ça te dit qu’on aille voir les humains ?
-
Pourquoi
faire ? s’étonna la jeune femme.
-
Pour se
moquer d’eux, évidemment !
-
Je ne
préfère pas…
-
Allez quoi,
ils le méritent ! Tu vas voir, on va bien s’amuser !
Nathanaël s’approcha, sourcils froncés.
-
Ce ne sont
pas des bêtes de foire, fit-il remarquer sèchement.
-
Ce ne sont
que des humains, répliqua la jeune fille avec mépris. Qu’est-ce que ça peut
faire ? On attend tous leur exécution, et toi aussi, Nathanaël,
avoue-le !
-
Arrête un
peu ton char, Tuer n’a rien de plaisant.
-
Quelle
bande de rabat-joie !
Julie, qui avait suivi l’échange, s’approcha de
Nathanaël.
-
Moi, j’suis
pas d’accord ! déclara-t-elle avec sérieux.
-
Pas
d’accord avec quoi, puce ? lui demanda gentiment Azela.
-
Les
humains, ‘sont pas tous méchants.
-
Bien sûr
que non, il y en a de très gentils, même.
-
Ça, c’est
bien vrai !
-
J’y pense,
tu as été sauvée par un humain, c’est bien ça ? se rappela la jeune femme qui
surveillait Gof. C’est un agent ?
-
Oui, sourit
Julie. Un très, très gentil agent ! Il jouait tout le temps avec nous au
pensionnat, pas vrai, Gof ?
-
Si !
sourit le petit garçon. Il est vraiment drôle et il s’occupait tout le temps de
nous !
-
J’aimerais
bien aller le voir, commenta Azela. Il est emprisonné avec les autres ?
-
Oui,
répondit tristement Julie. J’aurais préféré qu’il soit avec nous…
-
Hum… Tiens,
Cinaed, comment tu vas ?
Le jeune homme, qui ne faisait que passer, s’arrêta
à l’entente de son nom. Il s’approcha et salua Nathanaël et Azela. Julie et
Gof, eux, demeurèrent bouche bée. Puis ils se mirent à échanger des messes
basses précipitamment entre eux. Etonné par leur comportement, Azela
s’agenouilla près des deux enfants.
-
Qu’est-ce
qu’il y a ? les questionna-t-elle.
-
Le grand
monsieur, murmura Julie.
-
Oui ?
-
Il
ressemble au monsieur d’une photo.
-
Une
photo ?
-
Oui. On
avait pas le droit de la regarder, mais on l’a quand même fait…
-
Quelle
photo, les enfants ? Qui pourrait avoir une photo de Cinaed ?
-
Bah, notre
ami ! Ael !
Lizzie tournait comme un lion en cage,
incapable de contenir sa mauvaise humeur. Elle avait détruit la brigade, elle
avait atteint son but… enfin presque, quelques groupuscules dans les
autres pensionnats continuaient de lui résister.
Et maintenant, elle faisait quoi des
agents capturés ?
La jeune femme poussa un soupir avant de
se laisser tomber dans son fauteuil, un air fatigué sur le visage. Elle aurait
aimé l’avoir à ses côtés. Penser à elle lui fit monter les larmes aux yeux.
Malgré les années, malgré ceux et celles qu’elle avait aimés depuis, elle ne
parvenait pas à oublier Gabrielle. Son regard étonné, son rire chaleureux, ses
cheveux courts qui brillaient au soleil. Pourquoi cette simple amourette de
quelques semaines restait-elle gravée dans son esprit avec tant de force ?
-
Lizzie !
La jeune femme sursauta. Trois personnes
débarquèrent dans son bureau, véritable tornade. La température augmenta
brutalement de plusieurs degrés.
-
Range-moi
ça, Cinaed ! s’offusqua Lizzie alors qu’elle s’empressait d’ouvrir une
fenêtre. Contrôle ces foutues flammes !
-
Où
est-il ?!
La dirigeante de l’anti-brigade cligna des yeux,
surprise. Hein ? disait son regard. Azela et Nathanaël étaient essoufflés,
tout aussi affolés que Cinaed. Mais qu’est-ce qui s’était passé ?
-
Ael !
crièrent-ils en même temps. Où est-il ?!
2 commentaires:
Je tire mon chapeau à Ale, c'était courageux, ça ! O_O !
Oh les glands, ils s'en étaient même pas rendus compte -_- quelle surveillance !
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