Rien à vous signaler de particulier avec ce chapitre, alors je n'ai plus qu'à vous souhaiter à tous une très bonne lecture !
Figaro, d’aussi loin qu’il s’en
souvienne, avait toujours connu la sécurité des bras de sa gentille maîtresse
Minnie. Ce délicat chaton n’était pas sujet à la prudence. Pourquoi l’aurait-il,
après tout, lui qui avait grandi dans un environnement serein et délicieusement
doux ?
Ainsi, quand le surnommé Jackpot quitta
la grotte pour explorer les abords de l’océan, il ne prêta pas le moins du
monde attention à la sirène carnassière qui se trouvait juste à quelques pas de
lui, complètement absorbé par son exploration des fragrances apportées par
l’air iodé. C’est à peine, d’ailleurs, s’il réagit quand la main gigantesque du
monstre s’approcha de lui dans l’intention de le saisir entre ses doigts
calleux. Ce ne fut que lorsque son nouvel ami hurla son nom qu’il consentit à
s’arracher à ses recherches olfactives.
Cuphead, en effet, à la vue de la menace
imminente, bondit à découvert sans même réfléchir. Il saisit la pierre la plus
proche qu’il balança contre la main de la sirène tout en hurlant le prénom du
petit animal. Quand les yeux du félin se posèrent sur lui, il lui fit signe
d’approcher tout en continuant à l’appeler d’une voix tremblante
d’anxiété :
- Viens là, p’tit gars !
Le chat poussa un miaulement plaintif et
se précipita dans le refuge des bras du nervi du Diable en quelques bonds. Celui-ci
le serra contre son cœur, soulagé à en crever. Cependant, le calme fut de
courte durée. Furieuse que son amuse-gueule lui ait filé entre les doigts, la
sirène poussa un rugissement inhumain et bondit en avant, le visage transfiguré
par la haine et la faim.
Tétanisé, Cuphead ne put qu’observer la
mort approcher. Heureusement pour lui, Félix n’était pas du genre à fuir devant
la peur. Au contraire, l’écrivain adorait singulièrement se jeter face au
danger. C’est pourquoi il bondit avec l’agilité d’un guépard, son sabre à la
main. Sa lame trouva la chair de leur ennemie dans une épaisse et chaude gerbe
de sang noir.
L’écrivain voulut reculer, mais son
adversaire ne lui en laissa pas le temps. Un tentacule de la pieuvre située sur
le sommet du crâne de la sirène claqua soudain dans l’atmosphère et vint
s’enrouler autour de la taille du chat pour le soulever dans les airs.
Cependant, l’aventurier n’était pas seul. Lorsqu’il avait vu son idole se jeter
dans la bataille, le sang de Bendy n’avait fait qu’un tour. Il avait soulevé le
plus gros rocher qu’il avait pu trouver et l’avait lancé de toutes ses forces.
Son projectile se fracassa contre la joue de leur ennemie qui hurla à la mort. Mugman
se jeta à son tour dans la mêlée. Il bondit et tira sans même prendre la peine
de viser.
- Recule, monstre ! ordonna-t-il avant
de lancer une seconde salve.
Boris, qui était demeuré à l’abri dans la
pénombre de la grotte, se redressa violemment à la vue de son ami en première
ligne.
- Mugs ! Fait attention !
cria-t-il.
La main gauche de la sirène avait été
gravement endommagée les attaques combinées du frère de Cuphead et de
l’aventurier. Les fissures craquelèrent et devinrent béances. La chair, comme
s’il s’agissait de roche, se brisa et les phalanges ainsi que la paume
s’écroulèrent sur eux-même avant de disparaître dans le ventre avide de
l’océan. Boris porta une main horrifiée à sa bouche. Mon dieu, mais quel était
ce cauchemar… ?
L’entièreté de l’attention de l’apprenti
mécanicien était portée sur le combat qui se déroulait à quelques pas d’eux, si
bien qu’il ne remarqua pas son aîné à la démarche vacillante. Bendy, avec
horreur, venait de se heurter à une paroi de la caverne, le souffle court. Il
porta une main à son front où commençait à pulser l’insidieuse chaleur
douloureuse. Quand il retira ses doigts, il constata qu’un filet d’encre
imprégnait sa paume. Non… Non, non, pas maintenant !
Comme
si l’Inkness allait écouter ses suppliques.
Un voile de brouillard s’abattit sur son
regard alors que la fièvre prenait possession de ses membres gourds ;
c’était à peine s’il parvenait à les mouvoir. Le goût si haï de l’encre avait
envahi son palet. Le mécanicien tentait tant bien que mal de lutter contre les
vertiges qui l’assaillaient, mais il ne parvenait même pas à décoller son dos
de la paroi de pierre. Non, non, non… Il ne pouvait pas faire une crise,
pas maintenant, pas alors que tous risquaient leur vie. Il voulait aider !
Il ne pouvait laisser cette affreuse sirène les blesser. Son frère, ses amis,
son idole…
Il devait les protéger ! Il
le… devait…
Le malade se recroquevilla sur lui-même,
masse pathétique de chair prise de convulsion. L’encre le recouvrait presque
entièrement d’un linceul noir et gluant. Boris finit par le remarquer et il
comprit instantanément de quoi il en retournait. Il se précipita vers son aîné,
l’estomac broyé par l’inquiétude.
- Bendy ? Tu vas bien ?
Le louveteau avança sa main, mais retint
son geste juste avant que ses doigts n’entrent en contact avec la peau de son
frère. Ce dernier venait de brusquement se redresser et de se tourner vers lui.
Boris recula d’un pas, la gorge broyée par une vague de terreur. Qu’est-ce
que… ? Il tenta d’appeler le mécanicien, mais sa voix n’était qu’un
misérable filet de voix bafouillant. C… Cette chose… ce n’était pas
Bendy ! Cette créature, ce ne pouvait pas être son frère !
Le monstre se détourna de lui dans une
volte face. Sans plus lui accorder la moindre attention, il s’élança vers le
champ de bataille où luttaient Félix et Mugman côte à côte. Alors que le
benjamin de Cuphead balançait une nouvelle salve, l’écrivain fit sauter son
arme dans sa main, prêt à repartir à l’assaut. Cependant, il fut interrompu
dans son mouvement d’attaquepar une silhouette inconnue qui passa en coup de
vent près de lui. Le nouvel arrivant se propulsa dans les airs d’une
prodigieuse détente sous le regard stupéfait de l’ensemble des combattants.
Sa queue immense s’enroula autour du bras
blessé de la sirène alors qu’il atterrissait dans le creux de son coude en
grognant tel un animal enragé. Son ennemie, appréciant peu qu’un insecte ne lui
grimpe dessus, leva sa main valide avec la ferme attention de l’écraser.
C’était sans compter sur l’agilité de son adversaire. Ce dernier, d’un nouveau
bond, se projeta sur l’épaule de la créature aquatique pour lui griffer le
visage. La gueule de la sirène s’ouvrit largement pour laisser sortir un
hurlement de fureur. Sans perdre un seul instant, le combattant poursuivit son
assaut en mordant à pleins crocs le tentacule qui essayait de le déloger de son
perchoir. Puis il descendit à quatre pattes sur le bras où il avait
initialement débuté son ascension. Sa queue, affreux serpent animé d’une
volonté propre, vint ceinturer le moignon de la sirène. Puis elle se contracta
pour étreindre la chair jusqu’à la rupture.
Les fragments de sirène churent et
éclatèrent la surface de l’eau. Le combattant dut effectuer de nouveau un de
ses bonds prodigieux dont il avait le secret pour éviter de sombrer avec les
membres épars de son adversaire. Il se ramassa sur lui-même puis se jeta en
avant. Il parvint à atteindre le rivage, à quelques pas seulement de Félix qui
dardait sur lui un regard éberlué. L’écrivain s’apprêtait à lui demander de
décliner son identité quand le mystérieux nouveau venu se redressa. C’est alors
qu’il comprit.
Il s’agissait de Bendy.
Il avait certainement doublé de taille.
Ses membres, plus musclés, étaient rehaussés de redoutables ergots et de
griffes. Entre ses crocs aiguisés sinuaient des filets épais d’encre. Sa peau
toute entière, d’ailleurs, luisait, recouverte de cette même substance
visqueuse qui semblait l’envelopper comme un costume. Et ses
yeux… L’écrivain n’en avait jamais vu de pareils, plus sombres qu’une nuit
sans lune, plus impénétrables qu’un puit sans fond.
Mugman et Cuphead, eux aussi, avaient
identifié leur allié. L’aîné, les yeux écarquillés, ne parvenait pas à prononcer
une seule parole, estomaqué par la vision de ce Bendy somme toute terrifiant. Néanmoins,
son frère n’était pas d’accord, bien au contraire.
- C’est tellement cool !
s’exclama-t-il.
Avant que son aîné n’ait pu le retenir,
Mugman s’était avancé, le regard étincelant d’admiration.
- Je ne savais pas que tu pouvais faire ça,
confessa le jeune ingénu.
Le mécanicien se tourna vers lui. Son
regard noir, dépourvu d’émotions, se posa sur le visage de son interlocuteur,
comme s’il ne le reconnaissait pas.
Mugman, sous l’intensité de ces yeux semblables
à deux gouffres, ne put s’empêcher d’avoir un mouvement de recul. Il tenta une
plaisanterie pour détendre l’atmosphère soudainement chargée d’une tension sans
précédent :
- Bon sang, tu as un look un peu… effrayant.
L’instinct de grand frère de Cuphead ne
fit qu’un tour. Il s’interposa entre Bendy et son benjamin, le bras tendu pour
empêcher le malade de s’approcher de lui. De son autre main, il tenait
fermement Jackpot contre sa poitrine. Jamais il ne se serait douté que Bendy
était capable d’un tel prodige. Un rapide coup d’œil lui indiqua que Boris non
plus ne semblait pas en revenir. Il ignorait ce qu’il s’était passé et,
surtout, les conséquences de cette violente transformation. Nul ne savait si le
mécanicien ne s’était pas fait engloutir…
- B… Bendy ! l’interpella-t-il,
maudissant intérieurement sa langue qui avait fourché. C’est vraiment
toi ?
Pour toute réponse, la patte hérissée de
terribles griffes s’avança vers lui. Cuphead sentit l’ensemble des muscles de
son corps se tendre. Il ferma instinctivement les yeux, attendant l’affreuse brûlure
des ongles aiguisés dans sa chair. Que ne fut pas sa surprise quand les doigts
du mécanicien se perdirent dans sa chevelure. Avec un plaisir évident, le
malade défit la chevelure élastique de son ami en passant énergiquement sa
paume dedans.
- Oh, regarde qui est en bas.
La voix, grave, presque rocailleuse,
était bel et bien sortie de la gorge de Bendy, même si elle n’avait rien à voir
avec celle que l’intéressé utilisait en temps normal.
- Je suppose que cela explique ta tendance
à l’emportement, enchaîna le malade. Tu n’as qu’une petite patience ! Ça
fait écho à ta petite taille !
Sur ce trait d’esprit qu’il trouvait
particulièrement hilarant, Bendy éclata de rire, les poings vissés sur les
hanches.
Consterné par son attitude, Cuphead ne
trouva rien à répondre, contrairement à Mugman qui se joignit son ami dans sa
crise d’hilarité. Il semblerait donc que Bendy ait conservé l’entièreté de sa
raison ! Un soupir de soulagement franchit discrètement le seuil de ses
lèvres. Au moins, ils n’avaient pas deux fronts à mener à la fois !
Le mécanicien contemplait ses paumes
gigantesques, un sourire béat sur le visage. Il passa le revers de sa manche
sur ses yeux pour essuyer l’encre qui obstruait sa vision.
- J’espère que c’est réel, murmura-t-il
dans un souffle.
Cuphead eut un violent sursaut quand ce
chuchotement, pourtant infime, lui parvint. Il aurait souhaité demander de plus
amples explications au mécanicien, mais il n’en eut pas le temps. En effet, ce
dernier s’avançait déjà vers son adversaire tout en faisant craquer ses jointures,
une expression carnassière gravée sur ses traits. Il pouvait se battre… Il
allait se battre ! Il allait écraser cette fichue sirène ! En cet
instant, rien n’aurait pu le rendre plus heureux. Il allait être utile à
monsieur Félix, à son frère, à ses amis !
- Désolé, mesdames, lança-t-il par-dessus
son épaule, mordant. J’aurais adoré rester et discuter, mais je dois montrer à
cette salope qui est le patron, ici.
Et, sans ajouter un mot de plus ou ne
serait-ce accorder une œillade à ses compagnons, Bendy se lança de nouveau dans
son duel mortel avec la sirène.
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