Azela parcourut avec ravissement son
nouveau chez-elle. Ce n’était qu’un petit studio, à la hauteur de leurs moyens,
mais elle l’aimait déjà. Pour la première fois, elle allait vivre avec son
fiancé dans un vrai foyer, comme n’importe quel couple, sans craindre à chaque
instant que la brigade leur tombe dessus. Nathanaël déposa leurs affaires à
terre, deux grosses valises, et observa autour de lui avec un petit sourire.
-
Je crois
qu’on sera bien, là.
-
Je le pense
aussi !
La jeune femme était ravie. Vu l’heure,
ils prirent la décision de commander quelque chose à manger et de déballer les
affaires demain. C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent à terre avec une pizza
fumante posée entre eux deux.
-
Dire que
dans deux mois, je me marie, murmura Azela, ayant du mal à y croire. C’est un
rêve.
-
Une
réalité, rectifia son fiancé d’un ton professoral.
-
Oui, c’est
vrai… Que ferons-nous, après ?
-
Je ne sais
pas… Personnellement, j’aimerais reprendre des études. Avec mon niveau, je
n’irai pas bien loin, mais j’aimerais avoir un métier qui nous fera vivre
décemment.
-
Moi
aussi…
-
Quelque
chose te tente ?
-
J’ai
toujours voulu être comme ta sœur.
-
Marielle ?
s’étrangla Nathanaël.
-
Oui, une
policière aussi droite qu’elle !
-
Heu, oui,
pourquoi pas, après tout… Du moment que tu ne choppes pas son caractère,
ça me va !
Azela leva les yeux au ciel, un sourire
amusé aux lèvres. Elle allait ajouter quelque chose quand le portable de
Nathnaël sonna. Son fiancé s’excusa d’une grimace avant de décrocher.
-
Oui
?… Cinaed ? Qu’est-ce qu’il y a ?… QUOI ?
Cinaed n’aimait pas les bains… Il
s’ennuyait dedans. Pour pallier au problème, il s’était acheté un canard en plastique,
mais, finalement, ce volatile jaune avec ses grands yeux bleus ne faisait que
flotter stupidement sur l’eau ; il n’était pas le moins du monde
distrayant.
Le jeune homme immergea son nez pour
faire des bulles dans l’eau chaude. Ael lui manquait… son absence était comme
une brûlure qui ne cessait de le lancer… Quelle ironie, quand il y
pensait. Il avait de nombreuses fois rêvé de se marier, de finir sa vie avec
lui et même d’élever un enfant… Et alors que le jeune homme lui avait
présenté la possibilité de vivre ce fantasme, il avait fui… Un rire amer
fusa de ses lèvres.
-
Quelle
belle connerie…
Il laissa son regard vagabonder sur le
carrelage blanc de la salle de bain éclairé par une lumière faiblarde. Il
pouvait encore y voir chantonner le fantôme d’Ael. Leur vie commune avait été
d’une rapidité incroyable… Après six ans d’attente, le rêve ne s’était
révélé qu’une illusion. Ael et lui avaient fait leur choix… Il n’y avait
plus de place pour lui… Une larme douloureuse tomba dans l’eau chaude.
Un craquement de fin du monde le tira de
sa torpeur. Stupéfait, il se précipita hors du bain, manqua de s’étaler de tout
son long, mais retrouva son assiette in extremis. Attrapant rapidement un
peignoir qu’il enfila à la va-vite, le jeune homme courut vers la source du
bruit… et fut accueilli par une série de braillements surpuissants !
Au centre de la pièce, ou plus
précisément des restes de la table basse littéralement explosée, pleurait
Antoine. Cinaed devint blême, comprenant mal comment l’enfant avait pu atterrir
dans son salon alors qu’il était censé se trouver dans un avion en partance
pour le Japon.
Mais, pour le moment, ce qui le
préoccupait davantage, c’était que le dessus de sa table était en
verre… Le dessinateur enfila ses chaussons avant de s’avancer vers
l’enfant dont le visage était barbouillé de sang.
-
Heu… Antoine ?
appela-t-il, ne sachant que faire. Ça… Ça va ?
Mais la sirène ambulante qu’était devenu
l’enfant refusa de lui répondre autrement que par des pleurs sonores. Inquiet à
la vue du liquide rouge, Cinaed obligea Antoine à se lever pour s’éloigner des
tessons tranchants. Bon, que faire, maintenant ? Heu… Vérifier s’il
allait bien ! Examinant l’enfant en le manipulant sans ménagement, le
jeune homme fut soulagé de constater que le verre n’avait causé que des dégâts
superficiels. Antoine avait cessé de hurler et gémissait maintenant. Il avait
mal, il avait peur et il était en colère contre lui-même parce qu’il avait
encore perdu le contrôle de son pouvoir. En plus, il s’était téléporté chez la
seule personne qu’il voulait à tout prix éviter : celui qui avait brisé le
cœur de son père.
Il le vit se saisir d’un téléphone et se
rappela qu’il en avait un aussi. Il fouilla ses poches, mais ne le trouva pas.
Affolé, Antoine fouilla la pièce du regard et le repéra au milieu des débris de
la table basse. Cinaed s’étant isolé pour téléphoner, il n’hésita pas et
s’élança vers l’objet de son désir.
Dans le couloir, complètement dépassé par
les évènements, Cinaed voulait joindre le père du gamin, mais n’avait pas son
numéro. Alors il appela la seule personne susceptible de lui donner des
conseils.
-
Oui ? émit
une voix avec quelques tonalités particulièrement stressantes.
-
Nat’ !
-
Cinaed ?
Qu’est-ce qu’il y a ?
-
Le… Le
gamin… Le gamin est chez moi…
-
QUOI ?
-
Le gamin
est chez moi ! cria Cinaed, paniqué. Il est apparu de, de, de nulle
part ! Je ne sais pas quoi faire ! Il est blessé !
-
OK,
commence par te calmer. Je vais venir, ne t’en fais pas. En attendant, ne le
quitte pas des yeux et soigne-le.
-
O… OK.
-
Et sois
gentil avec lui !
Cinaed raccrocha, pas rassuré pour un
sou. Il regagna timidement le salon… et se figea. Antoine venait de
récupérer son portable au milieu des débris de verre et de bois.
-
Antoine !
Surpris, l’enfant sursauta et recula, effrayé
par le ton du jeune homme. Complètement affolé, Cinaed se précipita sur lui et
le souleva dans ses bras.
-
Viens ici,
on doit te soigner !
Il l’emmena dans la salle de bain où il
retira ses vêtements. Il se saisit d’un spray dont il aspergea généreusement
les coupures. Antoine gémit sous la morsure du produit et se mit à gigoter,
mais Cinaed le força sèchement à s’immobiliser pour appliquer des pansements.
Dès qu’il le put, Antoine lui échappa pour courir dans le couloir où il sortit
son téléphone. Cinaed poussa un long soupir avant d’attraper le balai pour
nettoyer les dégâts au plus vite et éviter qu’Antoine se blesse à nouveau. Il
l’entendait gazouiller au téléphone. Finalement, il le vit sur le seuil du
salon qui lui tendait timidement son portable.
-
Papa veut
te parler, déclara-t-il.
Cinaed en lâcha son balai. Il hésita,
puis s’approcha et prit l’appareil.
-
Allô ?
murmura-t-il.
-
Je suis
désolé, Cinaed, s’excusa précipitamment Ael. Je ne pensais pas qu’il irait
atterrir chez toi !
-
… Qu’est-ce
qui s’est passé ?
Même s’il ne pouvait le voir, il savait
Ael au bord des larmes, prêt à éclater en sanglots. Il l’entendit prendre une
grande inspiration.
-
Il a un
pouvoir de téléportation très instable, il n’arrive pas à le contrôler. Je suis
désolé, je saute dans le prochain avion en partance pour la France. Le problème
est je ne serai pas là avant demain soir au mieux…
-
Je pourrais
m’oc…
-
Ça te
dérangerait d’appeler Nathanaël pour qu’il s’occupe d’Antoine ? Désolé de
prendre de ton temps…
-
Non, non,
c’est bon…
-
Merci, tu
me sauves la vie ! Peux-tu me repasser Antoine, s’il te plaît ?
-
Oui, bien
sûr… Au… Au revoir…
Il rendit le téléphone à l’enfant
qui le lui arracha pratiquement des mains, pressé de récupérer son bien. La
sonnette retentit peu après et Nathanaël débarqua. A sa vue, Antoine lui sauta
dans les bras, plus que ravi d’avoir enfin une présence rassurante auprès de
lui.
-
Coucou,
bonhomme, lui sourit gentiment le garçon. Bah alors, que s’est-il passé ?
-
Je me suis
téléporté… encore, avoua honteusement le garçon. Je suis désolé…
-
Ne t’excuse
pas, ce n’est pas grave. Tu ne t’es pas fait mal en atterrissant ici ?
-
Non, pas du
tout ! mentit fièrement l’enfant.
Nathanaël se tourna vers Cinaed qui
attendait en se balançant d’un pied sur l’autre, ne sachant comment réagir.
-
Antoine, tu
veux bien me laisser parler avec Cinaed un moment, s’il te plaît ? lui
demanda-t-il.
-
Oui,
d’accord !
Une fois l’enfant parti, le sourire
faussement joyeux du jeune homme s’effaça pour laisser place à l’inquiétude.
-
Il a pas
mal de coupures, on dirait…
-
Je m’en
suis occupé, le rassura Cinaed.
-
Bien… Cin’ ?
-
Oui ?
-
Je suppose
que tu veux que je le prenne avec moi ?
-
A moins que
tu ne préfères qu’il finisse traumatisé…
-
Je ne peux
pas.
Silence…
-
QUOI ?
-
Chut,
baisse d’un ton ! Cinaed, je viens d’emménager. Chez moi, il n’y a rien,
on part dès demain avec Azela pour s’acheter des meubles et vivre à peu près
décemment. Je ne vais trimballer ce pauvre gamin de magasins en magasins alors
qu’il pourrait être tranquille ici.
-
Nat’, tu
sais bien que je…
-
Cin’, je
sais, mais… c’est une étape importante pour Azela et moi, tu
comprends ?
-
Je ne peux
pas, Nat’ !
-
Pourquoi,
tu as une réunion importante prévue durant les deux prochains jours ?
-
Non,
mais…
-
Alors il
n’y a pas de problème.
Il s’approcha du jeune homme et continua
à voix basse pour être sûr de ne pas se faire surprendre d’Antoine.
-
Ce n’est
pas en fuyant que tu vaincras tes démons, Cin’. Ce gamin est terrifié,
bouleversé… Mets-toi à sa place, demande comment tu voudrais qu’on agisse
envers toi. Je te fais confiance.
Quand Nathanaël ferma la porte derrière
lui, Cinaed vit Antoine débouler dans le couloir, l’air terrifié.
-
Mais… et
moi ? murmura-t-il.
Cinaed passa une main fatiguée sur son
visage.
-
Toi, tu
restes avec moi, marmonna-t-il.
-
Quoi ?
s’étrangla l’enfant.
-
Tu m’as
bien entendu ! cria Cinaed, à bout de nerfs.
Il se figea en voyant les larmes dans les
yeux de l’enfant. Ah… Il avait encore merdé… Il repensa au conseil de
Nathanaël. Agir, agir… Comment ? Il se souvenait aussi de ces
instants où son père lui criait après sans raison apparente. Alors que, dans ce
genre de moment, lui, tout ce qu’il voulait… Cinaed s’accroupit à hauteur
de l’enfant et lui offrit un maladroit sourire qui ne rassura pas vraiment le
gamin.
-
Je crois
que l’on est parti sur de mauvaises bases, toi et moi, commença-t-il avec
hésitation.
-
…
-
Ecoute… Ton
papa reviendra te chercher dans quelques temps. En attendant, on ferait mieux
de bien s’entendre, tu ne crois pas ?
-
Il revient
quand ? demanda timidement Antoine.
Cinaed passa une main gênée sur sa nuque
et eut l’air de réfléchir.
-
Dans un
jour ou deux. Dès qu’il le pourra.
-
…
-
Heu… Je… Tu
as faim ?
Les yeux de l’enfant s’allumèrent et il
hocha vigoureusement la tête. Cinaed lui fit signe de le suivre, mais, alors
qu’il se détournait de lui, il sentit une main tirer sur sa manche et baissa la
tête. Antoine lui tendait ses bras, une moue à la fois suppliante et adorable
sur le visage. Mais le garçon ne saisit pas le message. Il fronça les sourcils
et, doucement, frappa dans les mains tendues. A la vue de la tête de l’enfant,
il sut que ce n’était pas ce qu’il voulait.
-
Heu… Oui ?
finit-il par demander. Je suis désolé, mais je n’ai pas un détecteur pour
comprendre le langage des bébés, moi !
-
J’suis pas
un bébé ! protesta vivement Antoine, vexé.
-
Oui,
oui… Alors quoi ?
-
Je voulais
juste que tu me prennes dans tes bras, couina le fils d’Ael.
Surpris, Cinaed comprit qu’il avait une
nouvelle fois gaffé. Il souleva le petit corps dans ses bras et le sentit se
pelotonner contre lui avec ravissement. Un petit sourire vint effleurer les
lèvres du dessinateur.
Peut-être que cette cohabitation ne sera
pas si terrible que ça, finalement…
-
Tu as
abandonné ce pauvre gosse alors ? pouffa Lizzie.
Elle était assise dans un fauteuil, juste
à côté de Gabrielle, où elle dessinait de futurs plans pour la transformation
du bâtiment. Le téléphone coincé entre l’épaule et la tête, elle écoutait
Nathanaël tenter de se justifier.
-
Si ça se
passe bien, peut-être qu’Ael et Cinaed reviendront sur leur décision.
-
Mais oui,
Cupidon… le taquina Lizzie. Donc, en somme, même si le gamin est en pleurs
et que Cinaed nous fait une dépression nerveuse, je ne dois pas accepter sa
charge ?
-
Heu,
peut-être que si, arrivés à de telles extrémités, non ?
-
Je retiens,
je retiens. Je saute du coq à l’âne, mais, et votre déménagement ?
-
Impeccable.
On compte s’acheter quelques meubles dès demain et aussi se mettre à la
recherche d’un petit travail en attendant de pouvoir recommencer des études.
-
Je vais
transformer le bâtiment en auberge de jeunesse. J’aurai besoin de main d’œuvre,
si cela vous intéresse.
-
On n’y
manquera pas.
Nathanaël et elle échangèrent quelques
paroles avant que ce soit au tour d’Azela d’avoir le téléphone. Après de
longues minutes de bavardage, Lizzie raccrocha, un petit sourire aux lèvres.
-
Ils sont si
heureux, chuchota-t-elle. On sera comme ça, nous aussi, à ton réveil ?
Mais elle ne reçut aucune réponse de la
part de l’intéressée…
Le bain fut un enfer… Déjà, il avait
fallu courir dans tout l’appartement pour attraper le monstre, puis hausser la
voix parce que crapahuter dans tous les sens n’avait pas été suffisant. Après
la capture, l’emprisonnement. Et garder un sauvageon dans une baignoire
pleine… non, impossible. Une fois le bain vidé de toute son eau, ça
devient plus probable, mais, après, il y a un sacré coup de serpillière à
passer et des vêtements à faire sécher. En somme, ce fut un moment très dur
pour les nerfs du dessinateur. Mais il ignorait que le pire était à venir…
L’heure de l’histoire ! Et, évidemment, Antoine refusa de céder. Il
voulait son histoire et il était décidé à l’avoir. Cinaed, bien embêté, piocha
dans sa propre bibliothèque parce qu’il n’avait guère d’imagination pour créer
des scénarios à l’improviste.
Mais il avait oublié un léger détail. Un
Stephen King pour dormir, ça passe quand on est un adulte aguerri. Un enfant de
cinq ans… beaucoup moins.
C’est pourquoi, au beau milieu de la
nuit, il se fit attaquer par un monstre pleurnicheur.
-
C’est
Carriiiiiiiie ! Elle vient me chercheeeeeeeer !
Et il se planqua sous la couette de
Cinaed, plaquant ses pieds glacés contre lui. Autant dire qu’il apprécia peu le
geste… Il allait l’enguirlander quand il croisa ses yeux pleins de larmes.
-
Heu… Tu
as peur ?
-
Oui ! hurla
l’enfant sur un ton de reproche. L’histoire que tu m’as lue faisait trop
peur !
-
Ben, elle
est pourtant bien, cette histoire…
-
Non !
-
…
-
…
-
Heu, tu
comptes rester là ?
-
J’ai
peur !
-
Ah,
heu… Qu’est-ce qu’il fait, ton père, dans ces cas-là ?
Antoine ouvrit de grands yeux. Puis un
sourire rêveur vint flotter sur ses lèvres.
-
On se fait
un chocolat chaud, on mange des bonbons et on regarde la télé en faisant un
câlin.
-
Ah… Heu… Tu
veux un chocolat ?
-
Je veux
bien, acquiesça timidement Antoine.
Le frère de Gabrielle poussa un soupir et
quitta la chaleur des draps, suivi de près par l’enfant apeuré. Une fois le
chocolat fait et les petits beurres Lu sortis de leur cachette, Cinaed s’assit
sur le canapé avec l’enfant sur les genoux. Cette fois-ci, il prit bien garde
de choisir un programme adapté à l’âge d’Antoine. Après avoir passé une bonne
vingtaine de minutes à grignoter les biscuits et à rire des gags de Tom et
Jerry, le fils adoptif d’Ael se laissa aller contre Cinaed.
-
Cinaed… murmura-t-il.
-
Hum ?
grogna le dessinateur à moitié endormi.
-
Pourquoi tu
as fait du mal à mon papa ?
Sa voix était plaintive. Cinaed rouvrit
doucement les yeux et choisit soigneusement ses mots.
-
Je l’ai
blessé en prenant une mauvaise décision, lui avoua-t-il doucement.
-
A cause de
moi ?
-
Ce n’est
pas ta faute…
-
Tu ne veux
pas partager papa ?
Cinaed fronça les sourcils et fit face au
regard on ne peut plus sérieux du garçonnet. Ce fut au tour de celui-ci de
passer aux confidences.
-
Au début,
j’étais content que papa soit qu’à moi. Mais papa, il a mal. Alors, si c’est
pour qu’il soit heureux… je veux bien le partager. Mais attention, qu’avec
toi, hein !
Cinaed médita un moment ses paroles.
-
Dis,
Antoine, ça ne te gêne pas ?
-
Quoi ?
-
Que ton
papa soit amoureux d’un homme ?
-
Ben non,
pourquoi ?
-
Parce qu’il
arrive que… Ah, comment t’expliquer… que des gens trouvent
ça… anormal.
-
D’aimer ?
émit l’enfant qui ne semblait pas comprendre.
-
Non, enfin,
oui… c’est que… Heu… Tu vois, il existe un grand livre appelé la
Bible qui condamne l’amour entre deux hommes. Ce livre dit même qu’ils finiront
en enfer.
-
En
enfer ? s’étrangla Antoine.
-
Et il y a
des gens qui croient ce qu’il y a écrit dedans.
-
Et
toi ?
-
Heu,
c’est… Hé, tu sais quoi ?
-
On s’en
fiche ?
-
Ouais,
totalement !
-
Chéri,
veux-tu bien quitter ce portable des yeux ?
Nathanaël poussa un soupir et rangea
l’appareil dans sa poche avant d’offrir un sourire à sa compagne qui bataillait
depuis tout à l’heure entre deux couleurs de coussins (à savoir bleu roi et
bleu pas-roi-mais-presque-c’est-une-jolie-nuance-tu-ne-trouves-pas-Natou-chéri ?).
-
Désolé,
s’excusa-t-il.
-
Si tu
t’inquiètes tant pour Cinaed et Antoine, appelle-les, va les voir, mais cesse
d’être à l’ouest alors que je tente de capter ton attention depuis tout à l’heure !
Elle gonfla les joues en une manière
faussement vexée qui attendrit son fiancé. Il déposa un rapide baiser sur ses
lèvres.
-
Nous irons
les voir ce soir, qu’en penses-tu ? proposa-t-il. Ça ne te dérange
pas ?
-
Non, bien
sûr que non. A une condition.
-
Laquelle ?
-
Dis-moi
lequel des deux coussins je dois prendre !
-
Ben, c’est
pas les mêmes ?
-
Bien sûr
que non, enfin !
-
Ah…
Le soir venu, une fois qu’ils eurent
déposés leurs nouveaux achats au studio, les deux fiancés partirent pour rendre
visite à leurs infortunés compagnons. Au pied de l’immeuble, ils eurent la
surprise de tomber sur Lizzie qui s’apprêtait à monter. Elle leur tint la porte
avec le pied le temps qu’ils la rejoignent dans le hall.
-
Vous
arrivez à temps, se réjouit-elle. J’allais justement constater les dégâts par
moi-même.
-
On a eu la
même idée, à ce que je vois, sourit Azela. Mais, personne n’est avec
Gabrielle ?
-
Si. Anaïs
Arra est restée avec moi pour l’instant, le temps de voir ce qu’elle compte
faire pour la suite. Du coup, elle s’est proposée pour veiller sur Gabrielle.
-
Ah, je me
disais aussi !
-
De
quoi ?
-
Que la
Lizzie poule que tu es n’aurait jamais laissé sa dulcinée sans
surveillance !
La jeune femme choisit de ne pas relever.
Ils arrivèrent enfin au palier que Cinaed partageait avec Lydéric quand un
gigantesque cri retentit :
-
Là, c’est
trop ! Tu vas me le payer ! Tu vas regretter d’être né !
Tous trois s’élancèrent sans se concerter
et déboulèrent dans l’appartement à une vitesse folle !
-
Antoine !
Cinaed !
Les deux intéressés, respectivement
habillés en cow-boys, en posture de duel, échangèrent un regard étonné. Ben
quoi ? Nathanaël cligna des yeux, abasourdi.
-
Mais que
s’est-il passé ici ?!
L’appartement était sans dessus
dessous ! Quelques meubles renversés, des tiroirs ouverts, des coussins
qui semblaient avoir volé à travers les cieux… Un tableau fort désordonné,
en somme !
-
Ouais !
cria Antoine qui sauta dans les bras d’Azela. Vous venez jouer aussi ?!
-
Jouer ?
répéta Lizzie en haussant un sourcil.
Antoine se mit à débiter sa journée avec
un enthousiasme grandissant, tout à sa joie d’avoir trouvé un auditoire aussi
attentif. Nathanaël émit un petit rire et sourit à Cinaed.
-
On dirait
que ça ne s’est pas aussi mal passé, le taquina-t-il. Tu as peut-être un don
insoupçonné avec les enfants, qui sait ?
-
Ça été un
peu compliqué au début, mais on finit par s’y faire, sourit le dessinateur.
Antoine n’est pas trop compliqué à comprendre.
-
Alors j’ai
bien fait de te le confier, hein ?
-
Tu me le
paieras quand même.
-
Je n’en
doute pas une seconde.
-
Cin’ !
l’interrompit Lizzie. Je propose qu’on se fasse une soirée diététique ! Tu
as de quoi faire des crêpes ?
Grâce à la clé de Lydéric, Ael put entrer
directement dans le hall sans avoir à appeler Cinaed. Il consulta l’heure dans
une grimace. Il devait être dans les alentours de cinq heures, peut-être
devrait-il attendre un peu avant d’aller secouer Cinaed, un véritable ours au
réveil, celui-là… En même temps, il était vraiment inquiet pour son
bonhomme. Il n’avait pas réussi à joindre les fiancés, ignorait leur nouvelle
adresse et Lizzie n’était pas chez elle… En somme, il n’avait pas eu
d’autre choix que de se tourner vers le dessinateur. Il délaissa rapidement ses
inquiétudes et monta rapidement les étages. L’appréhension devenait de plus en
plus forte alors qu’il gravissait les marches. Il ignorait comment il allait
réagir face à Cinaed. Il espérait seulement ne pas retomber dans ses
bras… Il se le refusait…
Quand il arriva au palier, il remarqua
très vite la porte entrouverte de l’appartement de Cinaed. Ses anciens réflexes
d’agent prirent le dessus et son pas se fit aussi silencieux et léger que celui
d’une ombre… Il se coula dans l’appartement sans un bruit. Là, il
découvrit un spectacle qui le cloua sur place.
Couchés au travers une multitude de
coussins colorés, cinq corps dormaient, pelotonnés les uns contre les autres.
Azela dans les bras de son fiancé, le nez niché dans son cou. Contre son
épaule, les mains soigneusement écartées, Lizzie semblait tellement paisible…
Mais ce qui attendrit le plus le jeune homme fut Cinaed qui tenait dans le
creux de ses bras puissants un minuscule Antoine qui dormait profondément. Le
cœur d’Ael se mit à battre plus fort devant pareil tableau. Et si… ? Ne
voulant pas briser l’harmonie et la sérénité qui se dégageait des endormis, le
jeune homme recula à petits pas. Il venait de faire plus de vingt-quatre heures
de vol, ayant souhaité repartir à peine l’avion à terre, et il était épuisé. Ne
pouvant résister à l’appel du canapé, il s’allongea dessus et s’endormit
aussitôt.
Quand Cinaed rouvrit les yeux, la matinée
était déjà bien avancée. Il se redressa en prenant garde de ne pas réveiller
l’enfant endormi. Il constata que Lizzie n’était plus là, mais les fiancés
dormaient encore. Un bruit lui parvint depuis la cuisine. Il s’y dirigea et eut
la surprise de tomber sur Ael aux fourneaux. Ce dernier se tourna vers lui et
le dévisagea sans un mot. Puis il saisit la tasse à café qu’il venait de se
servir et la lui tendit.
-
Merci,
murmura Cinaed.
Il s’assit à table, ne sachant que dire.
Ael était en train de laver la vaisselle de la veille. Seul le bruit de l’eau
qui coulait et de l’éponge frottée contre les assiettes troublaient le silence
inconfortable.
-
Tu…
Heu… finit par balbutier le dessinateur. Tu es rentré depuis
longtemps ?
-
Quelques
heures, confia Ael.
-
…
-
Tu t’en es
sorti avec Antoine ? Lizzie m’a dit que c’était toi qui t’en étais occupé.
-
Oui, ça a
été. C’est un petit garçon très gentil.
-
Ah
oui…
Le silence, de nouveau. Cinaed savait
qu’Ael le mettait à l’épreuve et il maudissait ses propres doutes.
-
Ael ?
hésita-t-il.
-
Oui ?
répondit tranquillement le jeune homme.
-
Tu m’en
veux ?
-
Oui.
Ça avait au moins le mérite d’être
clair… Cinaed se racla la gorge, gêné.
-
Je… Je
suis désolé.
-
Pour ?
-
Ne pas
t’avoir apporté mon soutien. Ça doit être très dur pour toi de gérer un enfant
qui disparaît à tout bout de champ.
-
Je l’ai
adopté en connaissance de cause.
-
… Tu sais
pourquoi j’ai refusé ?
Ael cessa de frotter la vaisselle. Il
essuya méticuleusement ses mains avec un torchon et se retourna, le bas du dos
appuyé contre l’évier.
-
Je me
doute, acquiesça-t-il. Tu fais un blocage par rapport à ta propre enfance,
non ?
Le dessinateur opina du chef. Il leva un
regard un peu perdu sur le jeune homme qui lui faisait face.
-
Je ne sais
pas comment réagir avec les enfants. Je ne voulais pas qu’Antoine me haïsse.
-
Tu aurais
dû me le dire, soupira Ael.
-
Je
sais…
-
Tu ne me
fais pas confiance ?
-
Si, bien
sûr que si ! Ce n’est pas la question… c’est plutôt en moi que je
n’ai pas confiance.
Ael eut un minuscule sourire. Il vint
s’accroupir devant son amant et posa ses mains sur ses genoux.
-
Moi, j’ai
confiance en l’homme que j’aime, lui murmura-t-il. Je t’en sais capable,
Cin’… Mais je ne t’y forcerai pas.
Il se releva doucement, mais sentit
soudain des doigts se refermer sur son poignet. Instinctivement, il se tendit,
mais se laissa tirer sur les genoux de Cinaed qui referma ses bras de manière
possessive autour de son corps. Il plongea son nez dans son cou.
-
Je veux
bien essayer, marmonna-t-il.
Ael eut un sourire où sa joie et son
soulagement transparaissaient. Il se mussa dans les bras de son amant avec
plaisir. Cette sensation de plénitude lui avait manqué… Il avait cru la
perdre à tout jamais…
-
Je t’aime,
mon petit jeteur de flammes, lui murmura-t-il.
-
Je t’aime,
mon ange…
Ils échangèrent un tendre baiser, comme
un pacte plein de promesses et d’avenir. Une simple caresse qui débordait de
sentiments et de sensations, d’images, de sons, de couleurs et de parfums. Cinaed
se recula à contrecœur.
-
Une
famille… murmura-t-il sans oser y croire.
Une étincelle s’alluma dans les yeux
d’Ael. Il attrapa les doigts de son amant qu’il serra fort entre les siens.
Une famille, confirma-t-il.
5 commentaires:
Cinaed est trop fort XD
Adorable, le tchô !
trop meugnon ce chap !
Moi je le trouve chiant le gamin -_-
Une famillllllllllllle ! Waiiiiii !
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