Aujourd'hui, voici une petite fanfiction sur une de mes pièces favorites, j'ai nommé Lorenzaccio, d'Alfred de Musset (ça compte comme une disclame ou pas ?) !
Fanfiction basée sur Lorenzaccio, à ne pas
lire si vous ne connaissez pas la pièce, au risque de vous faire spoiler.
Alexandre vient de tomber dans le piège de
Lorenzo et s’est rendu dans une chambre où il pense être attendu par Catherine,
la tante de son cousin. Il s’est couché dans le noir et attend maintenant la
venue de la jeune femme…
Histoire racontée du point de vue de Lorenzo
J’ai refermé
la porte derrière moi et je me suis appuyé contre le battant, le cœur
tambourinant à toute allure dans ma poitrine. J’étais même surpris de ne pas le
sentir se cogner contre les os de ma cage thoracique. L’heure venait… L’heure
se tenait face à moi, drapée de sa grande cape mortuaire et de son sourire
enchanteur. On aurait dit un lutin aux cent farces qui se rit de la faiblesse
dans mes jambes. Ah, oui, je suis faible. Faible de corps et d’esprit, mais c’est
tout ce que je possède.
Et ce simple
fait me procure toute la force dont je puisse avoir besoin.
Je fis signe à
Sconronconcolo de demeurer à sa place quand il fit mine d’approcher. Juste un
peu… Je veux juste un peu de temps.
Me redressant,
je tournai sur moi-même pour enfin faire face à la porte. Le son affolé de mon
cœur n’était plus qu’un bruit sourd, lointain et diffus. Ma gorge était
sèche… Jamais je n’avais autant désiré tremper mes lèvres dans un verre de
vin. Ma langue, contre mes dents, pesait lourd, comme si elle était lestée de
plomb. J’avais l’impression de porter un poids mort dans ma bouche, un poids
mort qui m’empêchait de prononcer le moindre mot. Quelle ironie ! Et moi
qu’on disait armé d’une langue acérée, me voilà bien stupide, habité par cette
inertie de mort roide, alors que je me tiens là, devant ce simple bout de bois.
Je fermai un
court instant les yeux, souhaitant m’immerger dans le monde clos qui vit
derrière mes paupières. Ah… Notre première rencontre me revint. Il se
tenait là, le torse bombé, vêtu de vêtements richement décorés. Loin d’être
pompeuse ou étouffante, l’étoffe lui allait à ravir. Un sourire arrogant ornait
ses lèvres rendues cramoisies par le vin. Il avait cette haleine lourde qui vit
dans la bouche de ceux du pouvoir et qui aiment en user. Quand je l’ai vu, j’ai
senti un tremblement se produire dans le fond de mes entrailles. Ce frisson est
remonté dans mes organes et a couru dans mes os. Il était le signe que
j’attendais depuis tant d’années. Il était le tyran obscène et dangereux que j’avais
toujours guetté depuis le haut de ma tour d’ivoire, moi, le petit homme de
plomb, la statue de fer blanc.
Tu es le
tyran, je suis l’assassin. Tu es le dragon noir, je suis le chevalier blanc.
Tout du moins, c’est ce que je me suis plu à penser…
Mais il est
apparu que je ne pouvais t’atteindre depuis la cime de mon perchoir ridicule.
Mes flèches et mes javelots n’y changeaient rien, tu ne les remarquais même
pas. Il fallait que je me rapproche, que je ne te laisse pas d’espace entre mon
arme et ton cœur. J’ai entrepris alors la lente descente des marches de ma
tour. A chaque palier, le vin engourdissait un peu plus mon esprit et entamait,
entachait, même, tout ce que j’avais cru véritable, inébranlable. Peu à peu,
alors que les mains des filles s’amusaient à redessiner ce corps malingre, je
délestais mon armure. Quelle protection encombrante ! Qu’elle était
désuète. Celle d’Alexandre est tellement plus belle, tellement plus solide.
Alors j’ai enlevé le plastron, les cubitières, les jambières et même le
heaume.
C’est
enveloppé d’écailles que j’ai enfin atteint Alexandre. Nous nous sommes tenus
en face de l’autre, surpris par nos similitudes. J’ai alors compris que pour le
tuer, j’avais adhéré corps et âme à tout ce que j’abhorrais. En acceptant ce
carcan d’écailles, cette nouvelle image, je suis moi-même devenu un vulgaire
lézard à la langue fourchue, aux yeux luisants et aux griffes tranchantes.
Et je n’aurais
jamais cru que cela aurait pu être aussi plaisant…
-
Je t’aime autant que je te hais, Alexandre…
J’avais murmuré cette phrase comme si je
lui accordais mon ultime bénédiction, mon ultime malédiction. Mon cœur avait
cessé de jouer comme un fou et diffusait maintenant un son d’une lenteur
incroyable, au point que je crus pendant un instant qu’il avait tout simplement
cessé de battre. Je poussai doucement le battant de la porte. Qu’il faisait
froid dans cette chambre… Y aurait-on suspendu le temps ? Je devinais,
malgré le noir, la silhouette d’Alexandre qui était allongée entre les draps.
-
Seigneur, appelai-je doucement.
Dormez-vous ?
Il remua
faiblement. Cette vue relança les battements effrénés de mon cœur. J’assurai la
prise que j’avais sur mon arme, le souffle coupé involontairement. Ses yeux me
cherchèrent parmi les ombres environnantes.
-
Renzo, c’est toi ? chuchota-t-il d’une voix
hésitante.
Vraiment… Quel
étrange sortilège m’a-t-il jeté là. Le dégoût et la tendresse ont fusionné en
un seul sentiment doux-amer.
-
Seigneur, n’en doutez pas.
Je levai mon
bras armé.
Marine Lafontaine
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