A l'occasion de la Saint Valentin, la célibataire que je suis a décidé de ne pas se laisser abattre et de partager avec tous un petit one-shot basé sur mes tourtereaux préférés.
Il s'agit de trois scènes de rencontre qui mettent en scène Gabrielle, Lizzie, Cinaed, Ael, Azela et Nathanaël, les héros de Eros et Thanatos. Je vous conseille d'avoir lu le roman avant de vous attaquer au one-shot, surtout qu'il contient pas mal de spoils.
Je n'ai plus qu'à vous souhaiter une très bonne lecture…
Une année, dans un lycée vide de
passé…
-
J’y vais, Nat’ !
Ael repoussa
le portail du jardin de son ami et le salua d’un large signe de main auquel
répondit timidement le jeune homme. Le lycéen se mit à courir dans les rues
encore ensommeillées de Honeda, soucieux d’arriver à l’heure pour cette
nouvelle rentrée qui annonçait des années plus calmes et colorées que celles
tout en vrac de sa vie collégienne.
Alors qu’il
arrivait en vue d’un imposant bâtiment, il fut accueilli par la rumeur
bruissante de vie des étudiants agglutinés devant les grilles. L’adolescent
sentit une soudaine nervosité gigoter dans sa poitrine et il ralentit le pas.
Voilà un nouveau monde qui s’ouvrait devant lui… Un monde où il n’était qu’Ael,
et pas Ael, le gamin instable qui jouait des poings, ni Ael, le pote du gars
qui aurait tué sa sœur.
Il s’avança
d’un pas timide et intimidé dans la cour de récréation, impressionné malgré lui
par l’immensité du lieu où régnait une activité de fourmi. Un peu perdu dans
l’œil de cette tumulte juvénile nouvelle, Ael demeura un moment bras ballants,
tentant de prendre quelque repère dans ce décor étranger. Alors qu’il
s’apprêtait de nouveau à se mettre en marche, un rugissement le cloua sur
place.
-
Gabrielle !!
Un rire de
nymphe libertine fit écho à la voix masculine. Ael vit alors bondir près de lui
un être aux cheveux roux coupés courts. Il capta, le temps d’un instant, un
regard pétillant de vitalité et perçut l’éclair blanc d’un sourire. Il sentit
son cœur rater un battement à la vue de cette apparition qui, déjà, s’éloignait
de son pas mi courant, mi sautillant.
Sa silhouette
fut bien vite masquée par la venue d’une personne à la carrure masculine. Le
satyre à visage humain abandonna la poursuite de la nymphe, visiblement fatigué
de cette course inutile, et passa une main agacée dans ses cheveux blonds. Il
dut sentir sur sa nuque le poids du regard d’Ael car il se tourna vers lui, un
sourcil haussé et un sourire moqueur gravé sur le coin de sa lèvre. Un fumet de
feu de bois enveloppa alors les sens du nouvel élève. C’était étrange, les
traits de cet inconnu ressemblaient à ceux de la fuyarde…
Ael ressentit
un curieux fourmillement à l’intérieur de son ventre, comme un frisson de
chaleur diffus. Troublé plus que de raison par cet homme à la boucle d’oreille
en forme de griffe, l’adolescent décida de s’éloigna le plus rapidement
possible pour tenter de se défaire de l’étrange attraction qui l’habitait.
-
Hé, le vilain petit canard !
Cette
interjection provenait évidemment de l’inconnu. En une seconde, la drôle de
sensation s’évanouit, chassée par un profond agacement. Ce type… Il venait
tout juste d’arriver et, déjà, il le prenait pour cible ? Ce n’était pas
parce qu’il portait de grosses lunettes qu’il se laissait marcher sur les
pieds ! Ael fit alors volte face et planta son regard dans celui de son
adversaire auto proclamé.
-
Quoi, l’affreux crapaud ?
Il le vit
écarquiller les yeux, ne s’attendant visiblement à ce qu’on lui réponde sur ce
ton. Satisfait de son petit effet, Ael s’éloigna d’un pas tranquille. Pour qui
il se prenait, celui-là ? “Jamais je ne pourrai être ami avec un type
pareil ! Quel con…”
Comment
aurait-il pu se douter qu’il venait d’ouvrir la page sur une telle histoire
d’amour ?
Une autre année,
dans une maison construite sur des cendres de poussières…
-
Allez, s’il te plaît, Nestor !
-
Non, Lizbeth. Je préfère gérer ça seul.
-
Mais elle va peut-être être ma nourrice ! J’ai envie de
savoir avec qui je risque de passer mes journées !
-
Il vaut mieux éviter le contact au maximum. je suis trop
souvent absent, il faut que quelqu’un soit là pour que tu puisses te nourrir,
je le sais bien, mais imagine qu’elle te découvre et te dénonce…
-
Je serai prudente, promis, promis, promis !
Lizzie joignit
ses mains d’os dans une attitude de supplique qui fut loin d’attendrir son
tuteur.
-
Non, c’est non, asséna-t-il.
Il claqua la
porte sur ses mots, comme pour leur donner plus d’impact et les imprimer dans
le crâne d’oiseau de sa protégée. Celle-ci étouffa un cri de rage alors qu’elle
se laissait tomber de dépit dans son lit. Bon sang, elle n’avait jamais rien
demandé à Nestor ! Même quand elle n’était encore qu’une enfant, jamais
elle n’avait osé quémander ne serait-ce un jouet ou un câlin.
A quoi cela
aurait-il servi, de toute manière ? J’ai la mort au bout des doigts…
Elle entendit
une voix féminine résonner dans la maison. Se redressant, Lizzie s’approcha
d’un pas hésitant de la porte. Une fille… ? Quelqu’un de son âge ? A
quoi ressemblait-elle ? Est-ce qu’elle avait des points communs avec
Azela ? Elle allait dans le lycée de la ville ? Une famille ?
Est-ce qu’elle en avait ?
Une cri
étranglé lui échappa quand le battant se mit soudain à se décomposer sous ses
yeux. Elle avait dû l’effleurer sans s’en rendre compte. Le couloir s’ouvrait
dorénavant devant elle, mais jamais il ne lui avait paru aussi grand.
-
Si ça, ce n’est pas un signe, murmura l’adolescente.
Timidement,
elle effectua un pas hors de sa chambre. Quand elle parvint enfin à l’escalier,
elle s’arrêta un court instant, tiraillée entre sa curiosité et sa peur de
l’inconnu. Mais très vite, avant même qu’elle-même de s’en rende compte, elle
s’était mise à descendre les marches avec une extrême prudence pour ne pas
faire grincer le bois sous ses pieds nus. Elle pouvait percevoir des voix dans
le salon. Prenant garde à ne pas être vue, Lizzie se glissa dans la pièce,
dissimulée derrière les paravents qui lui offraient un couloir protecteur
rassurant. Entre deux battants, Lizzie trouva une interstice où glisser son
regard instigateur.
De là où elle
se trouvait, elle ne pouvait percevoir qu’une chevelure flamboyante coupée
court, comme si le soleil lui-même y avait déversé son sang. Un silence lourd
semblait peser sur la nuque des deux interlocuteurs. Soudain, leur invitée prit
la parole, d’un ton plutôt sec.
-
Si vous me demandez si je m’y connais en opéra, j’ai déjà
assisté à deux, trois représentations. Mais je ne suis pas fan, je préfère
encore lire les pièces moi-même.
-
Ah oui ? émit Nestor en haussant un sourcil. Vu votre…
dégaine, je ne m’étonne pas que vous ne sachiez pas apprécier la pureté d’un
opéra.
Lizzie
écarquilla les yeux, le souffle coupé par la surprise. Son tuteur ne jugeait jamais les personnes selon leur
apparence, pourquoi disait-il une chose pareille ? Indignée par un tel
comportement, la jeune fille s’apprêtait à intervenir quand l’interlocutrice du
grand-père d’Azela lança sa réplique avec mordant :
-
Si vous jugez les gens sur leur apparence, vous devez être une
personne bien étroite d’esprit.
Lizzie vit le
visage de son tuteur passer du blanc au rouge en une fraction de seconde. Il
avait l’air tellement surpris qu’elle ne put retenir un gloussement. Elle
plaqua aussitôt ses doigts osseux contre sa bouche, surprise d’avoir produit un
son dont elle ne s’était plus cru capable depuis la disparition d’Azela. Elle
vit alors la jeune fille se tourner vers elle, surprise de se savoir espionnée.
Lizzie ne put alors détacher son regard de ce visage d’ange aux yeux d’une
couleur étrangement proche du sépia. Des lentilles ? Malheureusement, elle
fut brutalement arrachée de sa contemplation par la voix indignée de
Nestor.
-
Mademoiselle, je vous avais demandé de ne pas assister à
l’entretien ! Vous devriez remonter dans votre chambre !
-
Désolée, Nestor, s’excusa-t-elle rapidement. Je n’ai pas pu
m’en empêcher.
Elle
s’attendait à recevoir un autre sermon quand la fille aux yeux étranges éleva
de nouveau la voix, apparemment incapable de rester silencieuse plus de
quelques secondes.
-
Elle a bien raison ! Si j’étais à sa place, je préférais
rencontrer celle qui va passer ses journées avec moi avant qu’elle ne soit
embauchée. Vous imaginez si c’est quelqu’un que je ne peux carrer ?
L’horreur !
Lizzie ne put s’empêcher de rire une nouvelle fois,
plus franchement encore. Elle vit un sourire soulever les lèvres de la jeune
fille.
-
Je m’appelle Gabrielle, se présenta celle-ci. Et toi ?
Il y eut un instant de silence durant lequel Lizzie
osa à peine respirer. Gabrielle… C’était vraiment un très beau prénom… Chaud
comme un rayon de soleil…
-
Je m’appelle Lizbeth.
La même
semaine, dans des ténèbres insondables…
Azela jeta le
livre qu’elle avait pris en main. Ahanante, elle dissimula ses yeux sous le
voile protecteur de ses paupières alors qu’elle cherchait fébrilement à tâtons
son bandeau. Quand elle parvint enfin à nouer ses doigts autour, elle ne
parvint qu’avec difficulté à renouer le nœud. Tremblante de tous ses membres,
la jeune fille se laissa glisser sur son lit où elle se recroquevilla en position
fœtale.
-
Elles sont toujours là,
elles ne sont toujours pas
parties…
Peu à peu, sa
respiration se calma, à mesure que les ténèbres les chassaient de sa vue. Azela secoua la tête
doucement, le corps secoué de petits sanglots.
-
Aidez-moi… Aidez-moi, geignait-elle.
La trappe
située au bas de la porte s’ouvrit sur un plateau puis rabattue aussitôt. La
jeune fille renifla avant de consentir à quitter sa posture défensive. A quatre
pattes sur le sol, elle chercha le plateau. Ses doigts effleurèrent la porcelaine
d’une assiette puis voyagèrent vers quatre petites pilules qui reposaient à
côté du pichet d’eau. Méthodiquement, Azela les ramassa une à une puis se
dirigea vers sa salle de bain. Accroupie près du lavabo, elle retira sans
effort une latte pourrie du sol et se saisit d’une petite boîte. Les pilules
tombèrent à l’intérieur rejoindre leurs sœurs.
-
Un jour, j’en aurais assez - un sourire triste étira ses
lèvres gercées. Et je pourrais enfin partir d’ici…
La jeune fille
quitta d’un pas leste sa chambre, réconfortée par la pensée d’avoir à sa portée
le moyen d’échapper à cette situation qu’elle haïssait tant. Sa main droite
effleurant à peine le mur, Azela se mit à marcher dans les couloirs noirs de
cet asile noir. Dans son univers uniforme, elle perçut soudain quelques
bruissements. Une odeur, des pas… Une voix.
-
…as le droit à une tous les deux jours, le soir, vers dix-neuf
heures.
Cet affreux
parfum, marié à l’odeur de cigarette froide. Azela fronça le nez discrètement.
Wiilez, le directeur de cet enfer, était apparemment en tournée. Le bruit des
pas s’était tu, alors elle fit taire les siens également et para son visage de
son plus agréable sourire.
-
Bonjour, monsieur le directeur.
“J’espère au
moins avoir du pain frais, la prochaine fois…”. Une autre odeur vint
chatouiller ses sens. Qui accompagnait donc Wiilez ? Elle ne parvenait pas
à mettre de nom sur la fragrance. Intriguée, Azela inspira doucement, mais ne
parvint pas à trouver à qui appartenait ce curieux parfum d’herbes…
-
Je ne connais pas cette odeur… - elle hésita un court instant.
Tu es nouveau ici ?
-
Je viens d’arriver. Je m’appelle Nathanaël, et toi ?
Une voix grave
et jeune, un léger accent du nord de la France. Un jeune homme à la présence
chaleureuse…
-
Azela, se présenta-t-elle, tâchant d’étouffer l’étrange
sensation de bien être qui prenait corps dans son esprit, mal à l’aise.
-
Azela, tu pourrais l’accompagner ? intervint le
directeur. C’est le nouveau pensionnaire qui va occuper la chambre voisine de
la tienne.
La jeune fille haussa un sourcil moqueur. Tiens
donc ? Un hybride de la section dangereuse ? Et on le lui
refilait ? Elle avait connu le directeur plus courageux.
-
Alors comme ça, il serait considéré comme aussi dangereux que
moi ? émit-elle d’un ton ironique. Qu’a-t-il commis de si grave ?
-
Deux meurtres.
“Deux ? Petit joueur. On voit bien qu’il n’y a
personne pour t’y pousser chaque jour, pas comme moi…”
-
Je vois. Suis-moi, Nathanaël.
-
Heu, oui…
Elle sentait de la surprise dans sa voix. Peut-être
s’attendait-il à une autre réaction de sa part. Qu’elle réagisse comme quoi…
Une fille ? Elle avait cessé de se considérer comme un être humain depuis
de longues années…
Elle se détourna sans un mot. Elle entendit
aussitôt les pas du garçon suivre les siens.
-
… Tu n’as pas l’air d’être folle, finit par émettre Nathanaël
d’une voix hésitante.
C’est
étrange… Elle avait ce sentiment inexplicable. Que cet hybride, soit
disant si dangereux, pourrait être bien son ticket de sortie. Si elle
l’utilisait correctement, peut-être qu’elle pourrait s’empoisonner dans la
nature. Manger chacune des pilules au soleil sous le regard des cieux.
Ce qu’elle
ignorait alors, c’était que ce n’était pas la mort qui l’attendait au creux de
la paume de Nathanaël, mais bel et bien la vie.
Marine Lafontaine
1 commentaire:
Kya ! Sont trop choupinous !
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