Bonne lecture
Torja avait
mené les prisonniers hors de le demeure d’Arhzel. Séchar et Jaide s’arrêtèrent
pour contempler un moment le harem qui avait été, pour un temps, leur foyer.
Ils n’eurent pas le temps de se noyer dans l’alcool amer des souvenirs. Déjà,
Torja les exhortait d’avancer.
-
Pressez-vous. Le seigneur Arzhel nous attend.
A cette
évocation, Jack sentit un violent frisson descendre le long de sa colonne
vertébrale. Il n’avait pas franchement envie de se frotter de nouveau à son
ancêtre, là, tout de suite. Mais Torja ne lui laissa pas le luxe de réfléchir à
quelque escapade. L’attrapant par le coude, il le força à le suivre. Marlyne
n’hésita qu’un court instant avant d’emboîter le pas de Séchar et Jaide à son
tour. La petite troupe, sous la direction de l’esclave, s’empressa de
disparaître. Une odeur âcre de fumée vint bientôt agresser leurs narines. Dans
le lointain, d’épaisses volutes noires venaient se peindre dans le ciel bleu
d’une journée comme les autres. Le feu purificateur était en train d’engloutir
le projet de toute une vie… Séchar jeta un dernier regard douloureux
par-dessus son épaule avant de presser le pas pour s’éloigner du lieu maudit.
Torja les mena
en silence jusqu’au port. Celui-ci était quasiment vide, à croire que
l’événement du jour avait attiré tous les marins des alentours. Sûrement
d’anciennes rancunes envers le puissant seigneur Arzhel qui se manifestaient,
éveillées par l’éclat des flammes. Ils trouvèrent le vampire là, assis sur un
tonneau, une jambe ramenée contre lui, une autre pendant négligemment dans le
vide.
-
Je vois que tu as amené du beau monde, Torja, lança-t-il d’un
ton mordant. Pressons-nous, poursuivit-il en sautant à terre.
Il leur fit
signe de garder le silence tout en le suivant. Jack, bien que la perspective le
répugne, n’avait pas d’autre choix que d’obéir à l’injonction silencieuse. Le
regard moqueur que posa un court instant son ancêtre sur lui mit les nerfs en
pelote. Alors lui ! Il fit de son mieux pour ravaler la colère qui lui
brûlait la langue, mais celle-ci lui laissa dans la bouche comme un goût âcre
de mauvais vin. Les doigts de Marlyne se nouèrent autour de son poignet. Il
croisa son regard assuré qui parvint à le calmer. La jeune femme avait vraiment
une présence tranquillisante.
La troupe se
faufila dans l’ombre du port. Au bout de longues minutes de marche, Arzhel leur
fit signe de s’arrêter et s’avança seul dans la lumière, son splendide manteau
rouge battant dans le vent du matin. Une silhouette apparut près de lui
soudainement. Torja faillit bondir hors de sa cachette, arme à la main, mais
son maître, comme s’il avait ressenti ses intentions, lui jeta un regard noir
pour qu’il demeure à sa place. Le vampire se tourna alors vers son
interlocuteur.
-
Vous avez fini d’inspecter le bateau ?
-
Ce n’est pas le tiens, n’est-ce pas ? grogna Peter en
guise de réponse.
-
Depuis quand l’illégalité vous poserait-elle un
problème ?
Le marin resta
un moment silencieux. Il finit par marmonner un “aucun” avant de se diriger
d’un pas assuré vers un sloop de taille plus que respectable. Séchar, n’y
tenant plus, se précipita près de son employeur.
-
Seigneur, vous n’y pensez tout de même pas !
s’indigna-t-il d’un ton étouffé, de peur que le vent porte ses paroles jusqu’à
Peter. Confier nos vies à une telle fripouille ! Il va nous égorger durant
notre sommeil !
-
Je respecte mes engagements, faiseur de tambouille, répliqua
tranquillement l’intéressé alors qu’il lui balançait dans les bras un ballot de
corde. Au lieu de démarrer sur une méfiance mutuelle, laissons de côté toutes
les querelles. Ça ne ferait qu’enrayer notre progression… et sûrement nous
ôtera la vie au passage.
Son regard
glissa mystérieusement sur Jack à ces mots, comme s’il s’adressait tout
particulièrement à lui. L’américain se rembrunit. Ce marin ne lui semblait
guère digne de confiance. Les autres semblaient être du même avis que lui, au
vu de la tension qu’il pouvait lire dans leur regard.
-
Pas le temps de tergiverser, les secoua Arzhel d’une voix
glaciale. Si vous voulez demeurer ici, grand bien vous fasse. Nous, nous
prenons la mer, ajouta-t-il en faisant un signe de main à Torja.
Celui-ci
acquiesça et attrapa Jack qu’il jeta en travers de son épaule, tel un vulgaire
sac à patate. Le jeune homme protesta, bien évidemment, mais le regard qu’il
perçut de l’esclave, plus froid et aiguisé qu’une lame de glace, le doucha et
il accepta, bien grès, mal grès, de se faire transporter ainsi. Il constata
très vite avec soulagement que Marlyne les suivait, heureusement. Séchar,
refusant de quitter Peter des yeux, leur emboîta prudemment le pas. Seule Jaide
demeura en arrière, hésitante. Finalement, exaspéré par une telle attitude,
Arzhel lui tourna le dos. La jeune femme se secoua et s’empressa alors de le
suivre. Elle observait le dos de son maître avec curiosité et peur. Elle
l’avait vu… Elle avait vu Arzhel mourir, poignardé par cet affreux
salopard. Elle revoyait l’éclat de la lame fiché dans sa poitrine, et tout ce
sang… Elle en frissonna. Qui était donc en réalité son seigneur pour
triompher même de la mort ?
La petite
troupe venait de se faufiler à bord du navire, plus silencieux que des
ombres.
-
Aïe !
-
Jack, la ferme, veux-tu.
-
Ce n’est pas ma faute, Séchar m’a marché sur le pied.
-
Même pas vrai !
-
Désolée…
-
Mais non, Jaide, ce n’est pas ta faute.
-
C’est quoi cette discrimination ?
-
Ta gueule, Séchar.
-
Vous ne pourriez juste tous vous taire ?
-
Pardon, Marlyne…
Arzhel eut un
ricanement qui acheva de mettre Jack en colère. Ce dernier incendia son ancêtre
du regard. Presque inconsciemment, sa main glissa sur sa gorge. Il pouvait
sentir à travers les bandages les traces laissées par les crocs du vampire. Un
frisson le saisit. Il avait lu pas mal de trucs sur les vampires. Quel était
donc la part de vérité dans ces récits à priori fictionnels ?
“J’ai vraiment
une vie déglinguée depuis quelques temps… Si je recroise Rodolphe, je lui fais
bouffer ses papiers… et le tableau avec !”
Peter Twist se
pencha par-dessus par la rambarde. Il revint vers eux, un sourire satisfait
gravé sur le visage.
-
Le vent est bon, on va pouvoir prendre le large rapidement.
Qui est agile, ici ?
Marlyne et
Jack levèrent timidement la main, impressionnés malgré eux par la présence du
bonhomme. Celui-ci hocha la tête.
-
Bien. Alors vous allez monter dans les cordages.
-
Pardon ? s’étrangla le Cadillac.
-
Et que ça saute !
Jack voulut
protester une nouvelle fois, mais le regard de Twist transpirait l’urgence. Ses
yeux se portèrent sur la ville. De quoi avait-il peur ? Qu’est-ce qui
pouvait inquiéter un homme que tous semblaient craindre, même Torja ? Il
ne préférait pas le découvrir…
-
Vite, Jack ! le pressa Marlyne, déjà en train de gravir
les haubants.
P’tain, ça
faisait des années qu’il avait cessé de faire du sport, lui ! Pour la
première fois, il se découvrit à la fois certains muscles et une certaine
graisse dont il ne s’était jusqu’alors jamais préoccupé. Marchant d’un pas mal
assuré, Jack parvint jusqu’à la corde qu’il devait tirer pour déferler les
voiles. Calquant ses gestes sur ceux de Marlyne, ils libérèrent la première.
Arzhel, juché sur un tonneau sur le pont, observait la ville de ses yeux aigus.
-
Ils approchent, siffla-t-il doucement.
Torja assura
sa prise sur sa hache. Twist, qui vérifiait le navire d’un pas alerte, finit
par le réquisitionner pour remonter l’ancre avec Séchar. Mais, malgré leurs
efforts, ils ne parvinrent à faire tourner l’épais rouage. Les voyant forcer
comme des bœufs, Arzhel consentit à descendre de son perchoir pour leur
accorder son aide. Twist se positionna derrière la barre. Ses doigts se
nouèrent autour des poignets du gouvernail. Aussitôt, un flot de sensations
poussiéreuses déferla sur lui. Depuis combien d’années rêvait-il de ce
moment… ?
-
En avant toute ! rugit-il.
Le vent
s’engouffra dans les voiles. Aussitôt, le navire se mit en branle pour quitter
le port. Jack et Marlyne se hissèrent dans la hune de vigie. Le jeune homme,
fasciné, observait autour de lui en ouvrant grands les yeux. Dans la naissance
de l’aube, le monde se drapait d’un tout nouvel aspect, comme s’il
s’épanouissait dans les prémices d’une ère nouvelle, fleur de sang et de
lumière.
-
C’est incroyable, murmura-t-il, saisi par l’immensité du
spectacle.
Marlyne
s’approcha de lui et perdit un moment son regard à son tour dans le jour
timide.
-
Que comptes-tu faire, maintenant ? l’interrogea-t-il.
L’américain
grimaça. Ce qu’il comptait faire ? Suivre son ancêtre, avait-il d’autre
choix ? Il n’avait aucun moyen de rentrer chez, de retourner à son époque.
Son seul point d’ancrage, c’était ce suceur de sang. Même s’il n’était pas
enchanté par l’idée de suivre le vampire, il ne devait pas le perdre de vue car
il sentait que s’il s’éloignait de lui, jamais il ne reverrait Aron et son
jardin avec ses chers coyotes.
-
Jack.
Torja venait
de sauter habilement dans la hune, tenant toujours sa hache à la main.
-
Le seigneur Arzhel veut te voir.
-
Que me veux-tu ?
Arzhel releva
les yeux du livre qu’il était en train de lire. S’apercevant qu’il ne
s’agissait que de Jack, il se replongea dans sa lecture. L’américain,
appréciant peu qu’on le dédaigne ainsi, s’empara de l’ouvrage qu’il referma
avant de le claquer sur le bureau. Ce geste arracha un haussement de sourcil à
Twist, occupé à compulser une carte sur ledit bureau.
-
Que me veux-tu ? répéta soigneusement le fils de Richard
Cadillac.
-
Oui, oui, soupira le vampire. Tiens, assis-toi.
-
Ça ira.
-
Tu as un esprit contradictoire, hein ? Très bien, reste
là si tu veux.
Lui choisit de
se glisser dans un fauteuil à haut dossier et s’y pelotonna comme un chat.
Twist, lui, se concentra sur sa carte du mieux qu’il put, tâchant de faire
abstraction de ces deux-là.
-
Il faut qu’on te renvoie chez toi, attaqua le vampire de but
en blanc.
-
Oui, ça, j’aimerais bien, répliqua sèchement l’intéressé. Mais
le problème c’est que je n’ai aucune idée de comment faire !
Twist leva les
yeux au ciel. S’ils continuaient à jacasser comme des pieds, jamais il ne
parviendrait à calculer correctement ce fichu itinéraire ! Arzhel passa
outre son regard agacé et focalisa son attention sur l’américain.
-
Essaie simplement de te rappeler comment tu es arrivé ici. Ça
ne devrait pas être si compliqué que ça, non ?
Jack grogna,
irrité par la note moqueuse qu’il percevait dans la voix de son ancêtre.
-
Je te l’ai déjà dit, souligna-t-il. J’étais en train de
regarder un portrait de toi quand j’ai atterri dans les cuisines !
-
De toute ta longue
existence ?
-
Qu’est-ce que tu sous-entends, blanc bec ?
Jack poussa un
soupir et passa une main lasse sur son visage, imité par le vampire qui,
semblait-il, en avait plus qu’assez de sa présence. Twist, qui avait abandonné
l’idée de travailler tranquillement, était occupé à fouiller les placards de la
cabine. Un sourire satisfait retroussa le coin de ses lèvres quand il découvrit
une boîte de café.
-
Puisque tu n’as pas de tableau de toi, autant te faire tirer
le portrait par quelqu’un ! suggéra soudain Jack.
-
Et où est-ce que tu veux que je trouve un peintre sur ce
rafiot ? persifla l’intéressé.
Le marin prit
quelques grains en main pour les examiner puis les renifla avec
application.
-
Mais je n’en sais rien, moi ! Tu es censé être mon aîné,
trouve quelque chose !
-
Censé, c’est bien le mot.
-
Pardon ?
-
Je vais chercher de l’eau, marmonna leur navigateur pour
lui-même en sortant de la pièce.
Arhzel suivit
sa progression des yeux sans un mot. Quand il eut refermé la porte, il se leva.
Qu’est-ce qu’il ne donnerait pas pour quelques griottines ! Non, au lieu
de ça, il se coltinait l’autre morveux…
-
Qu’est-ce que tu veux dire par “censé” ? voulut savoir ce
dernier, sourcils froncés.
-
Heu, t’as pas encore percuté ? Moi pas avoir fait bébé à
Dania. Et moi plus être fiancé de Dania. Alors, moi pas être ancêtre toi.
Capito ?… Tu peux retirer cet air soulagé de ton visage, s’il te
plaît ?
-
Donc tu n’es pas mon ancêtre !
-
… Je suis obligé de me répéter ?
-
Super !… Mais ça ne règle pas notre problème.
-
Seigneur, si je peux me permettre…
Jack bondit
sur le côté, réfrénant un cri de surprise. Depuis quand Torj a ainsi près de lui ?! Arzhel, nullement
surpris, lui fit signe qu’il pouvait lui soumettre son idée. L’esclave désigna
la porte que venait de prendre Peter.
- Vous avez un peintre juste là, non ?
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