Oyé, oyé ! Nobles damoiseaux et gentes demoiselles ! Le crieur publique a une annonce à vous faire parvenir ! Oyé, oyé ! Grand évènement !
Il était une fois un petit blog, né un jour d'avril (le 22 pour être précis). Il était fourni en articles par une demoiselle qui aimait publier toutes sortes de nouveautés. Et les visiteurs, curieuses petites bêtes que cela, commencèrent alors à affluer…
Messieurs dames, nobles damoiseaux et gentes damoiselles, j'ai l'immense privilège aujourd'hui de vous annoncer que nous avons atteint les 10 100 visites aujourd'hui même !!!
Un énorme merci pour tous ceux qui viennent lire ce blog, merci à tous les visiteurs, à tous les lecteurs, à toux ceux qui laissent des commentaires et à tous ceux qui m'envoient des mails ! C'est super !
Pour fêter l'évènement, je voulais vous faire un dessin, mais… Bah, je n'ai pas réussi. Ce que j'ai produis n'était vraiment pas à la hauteur du moment, alors j'ai choisi de me concentrer sur ma spécialité, c'est à dire, l'écriture !
Alors, voici maintenant, oui, tout de suite, immédiatement, les deux derniers chapitres de la fiction “Médée, un monstre d'humanité”. Oui, la fin, vous avez bien lu ! Je vous souhaite une très bonne lecture et on se retrouve après pour notre instant musique !
Pollux lui
avait donné du fil à retordre. Phérès, vacillant, regagna péniblement sa
chambre. Le sort dont il avait usé lui avait coûté beaucoup de son
énergie… Il s’affala contre sa porte, le cœur battant la chamade. Le
moindre effort lui était douloureux. Il entendit soudainement des pas
précipités et un verrou qu’on défait. La porte bascula, lui retirant son seul
soutien. Entraîné par son poids, le garçon s’affaissa dans les bras de son
frère.
-
Phérès ! s’inquiéta-t-il. Phérès !
-
Merméros, murmura-t-il d’une voix endormie. Retourne te
coucher !
Mais son jeune
frère ne semblait pas décidé à lui obéir. Ses mains s’agrippèrent au vêtement
de son aîné alors qu’il enfouissait son visage dans le creux de son épaule.
-
Pourquoi ? s’étrangla-t-il. Si seulement j’avais des
pouvoirs, moi aussi…
Phérès se
redressa, étonné. C’était bien la première fois que Merméros parlait en ces
termes. Serait-il jaloux ? Non… plutôt inquiet. Il lui sourit avec
douceur.
-
Tu en as un, mon frère, un bien plus grand que n’importe lequel
de mes sortilèges.
-
C’est vrai ? balbutia Merméros. Qu’est-ce que c’est,
qu’est-ce que c’est ?
Son frère ne
répondit pas. Il se contenta de lui sourire et de passer une main sur ses yeux.
Quand il la retira, son frère dormait profondément contre lui.
-
Ça, tu le découvriras un jour, mon cher frère.
Son regard se
porta par delà la fenêtre percée dans le mur du couloir. Il plissa les yeux,
gagné par une soudaine mélancolie.
-
L’aube est là…
Corinthe tout
entier était en fête ! La joie courait dans les rues, planait dans le ciel
tel un oiseau d’or dont les ailes saupoudreraient les esprits d’un éclat
nouveau. Aujourd’hui, mariage. Aujourd’hui, le vieux roi quittait son trône.
Aujourd’hui, une nouvelle page de l’Histoire s’écrivait.
Voilà qu’elles
étaient les pensées de Jason en voyant les plébéiens danser sur les routes
pavées. On frappa à sa porte.
-
Entrez ! lança-t-il.
Nérine le
salua bien bas. Elle tenait entre ses bras la magnifique tunique de Médée.
-
Voici le vêtement exigé par la princesse, sourit-elle avec
douleur. Je suis sûre qu’elle ira à merveille à votre nouvelle épouse, seigneur
Jason.
Le jeune homme
sentit un élan de culpabilité étreindre son cœur. Il voulut parler, mais Nérine
lui fit signe de se taire.
-
Mon Seigneur, murmura-t-elle, les yeux larmoyants, votre union
est bénie par les Dieux. Vous êtes un enfant bon, Jason, mais cruel envers les
femmes qui s’éprennent de lui. Soyons bon envers Créuse, je vous en prie.
Faites au moins cela.
Ses paroles
étaient teintées de solennité, elles sonnaient comme un serment. Jason se
promit de ne pas les prendre à la légère. Il cueillit le somptueux vêtement et
le remit à un esclave.
-
Je respecterai ta volonté, Nérine, promit-il. Oui, je le
ferai, je le jure sur le Styx.
-
Ne jure pas, doux guerrier. Seul l’avenir nous dira si Créon a
eu raison de te confier la vie de sa fille.
-
… Nérine ?
-
Comment va… Médée ?
La vieille
servante pâlit. Elle songeait à sa maîtresse, perdue dans sa douleur, enfermée
dans sa chambre alors que son exil pesait telle une épée de Damoclès sur sa
tête, l’esprit perclus de souffrance, les pensées empoisonnées de mille
sortilèges maléfiques.
Pourtant, elle
cacha sa peur derrière un sourire affable.
-
Elle guérit, seigneur. Comme un malade qui sort d’une grippe,
elle a encore l’esprit engourdi, mais elle comprend votre choix.
Un vif
soulagement peignit les traits de Jason. Il se laissa tomber sur un divan.
-
Puis-je vous faire une confidence, Nérine ?
-
Cela dépend de quelle sorte de confidence il s’agit, seigneur,
émit la vieille fille avec méfiance.
-
Je n’ai jamais aimé Médée… Elle m’a toujours procuré un
sentiment de puissance. Se tenir à ses côtés nous donnaient l’impression d’être
capable de triompher des plus grandes épreuves. Mais auprès de Créuse, j’ai
découvert un nouveau sentiment, une émotion qui me fait me sentir
grandiose… et unique.
Cette
confession ébranla Nérine. Elle posa un regard humide sur Jason. Puis elle
s’avança et baisa son front.
-
Mon pauvre enfant, s’étrangla-t-elle. Je prie pour que les
dieux aient pitié de toi…
Jason la
dévisagea avec insistance. Et il comprit.
-
Moi aussi, Nérine… Je prie pour que Jupiter ait pitié de
moi.
Médée
s’avançait dans les couloirs sombres. Elle allait, les pieds chaussés de
sandales de cuir dont les lacets enserraient ses chevilles. Elle était vêtue
d’une simple tunique blanche serrée à la taille par une ceinture. Les esclaves
chuchotaient sur son passage, se demandant pourquoi elle était habillée de la
tenue des épousées. Ils désignaient le voile orangé qui couvrait ses cheveux
coiffés selon ce rite particulier réservé aux fiancées. Sa longue chevelure
avait été séparée en six tresses qui avaient été ensuite fixées autour de sa
tête à l’aide de bandes de laines et d’épingles. Un curieux sourire semblait
être gravé sur ses lèvres…
-
Ubi tu Gaïus, ibi ego Gaîa, murmurait-elle dans une étrange
litanie.
Elle répétait
la phrase rituelle dans un murmure, comme si prononcer ce vœu à voix haute la
consumerait. Elle avait tout d’une jeune mariée dans sa plus belle toilette,
une jeune femme dont le souhait le plus cher se réaliserait en ce jour…
-
Médée !
La prêtresse
d’Hécate ne s’arrêta pas à cette injonction. Une main la saisit violemment par
le coude et elle posa alors son regard vide sur un Pollux visiblement furieux.
-
Que fais-tu ?
Tu n’as pas ta place ici ! Tu devrais déjà être partie en exil,
loin de nous tous ! Tu ne dois être présente lors du mariage !
C’est alors
qu’il dénota son étrange toilette. Il pâlit à cette vue.
-
Mais qu’as-tu l’intention de faire ? murmura-t-il.
-
…
-
Médée ! Je sais que Jaon a mal agi envers toi ! Il a
bafoué ta confiance, il t’a humiliée ! Mais ce n’est pas en restant
présente ici que tu parviendras à guérir tes blessures ! Si tu assistes à
cette union, ton cœur jamais ne cessera de saigner !
La magicienne éclata
brusquement de rire. Elle dégagea son bras de l’emprise de Pollux et reprit sa
marche. Il voulut la suivre quand on tira sur sa tunique. Baissant les yeux, il
vit Phérès qui le fixait, sourcils froncés.
-
J’ai l’impression que tu as oublié mes ordres, siffla
l’enfant. Laisse mère !
Pollux voulut
protester, mais une force titanesque l’en empêcha. Il était incapable de
contredire le fils de Médée ! Pis encore, il sentait qu’il devait agir
selon ses directives ! Alors, il hocha la tête, les yeux vidés de toute
volonté.
-
Oui, Phérès… Il en sera ainsi.
Les gardes
s’empressèrent de s’écarter à la vue de Médée, peu désireux d’être victimes de
ses maléfices. La jeune femme ne leur accorda même pas un regard alors qu’elle
passait la porte des geôles. Dans l’une de ses cellules crasseuses,
recroquevillé sur lui-même tel un enfant qui attendrait sa punition, se
trouvait Egée.
-
Ce n’était pas moi, ce n’était pas moi, murmurait-il en se
balançant doucement tout en mordillant l’ongle de son pouce. Ce n’était pas
moi, je ne sais pourquoi j’ai fait ça, ce n’était pas moi, pitié, Créon,
écoute-moi, ce n’était pas moi, ce n’était pas moi…
-
Pauvre, pauvre roi, déclara doucement Médée. Aurais-tu donc
été ensorcelé ?
Le roi
d’Athènes leva ses yeux écarquillés sur la magicienne, comme frappé d’une
illumination.
-
Oui, coassa-t-il d’une voix enrouée à force de clamer son
innocence. Oui, c’est cela, j’ai été ensorcelé ! Ô bonne dame, je vous en
supplie, aidez-moi !
L’intéressée
lui sourit avec douceur et s’accroupit à sa hauteur. Ils n’étaient séparés que
par les barreaux. Egée frissonna en sentant le souffle glacé de cette femme sur
sa peau. Qui était-elle ?
-
Je vais vous sorti d’ici, lui confia-t-elle sur un ton
étouffé. Dès que le mariage sera passé, nous serons libres, tous les
deux… Mais, pour cela, j’aurai besoin que vous me fassiez une promesse.
-
Une… promesse ?
-
Vous allez devoir m’emmener avec vous, à Athènes, et me placer
sous votre protection royale. Parce que vous m’aimez, n’est-ce pas ?
La tête d’Egée
dodelina alors que ses paupières s’abaissaient, tels des voiles lestés de
plomb. Il tenta de lutter un moment contre la torpeur qui gagnait ses membres,
mais, un instant plus tard, il y avait cédé et était plongé dans un profond
sommeil. Médée reprit son souffle, pantelante. Ce sort lui avait coûté
énormément en énergie. Pourtant, il était nécessaire pour qu’elle assure ses
arrières.
-
Voilà une bonne chose de faite, chuchota-t-elle alors qu’elle
se redressait.
Alecto, la
furie de l’Implacable, la suivait des yeux sans un mot. Ses sœurs étaient
parties surveiller les agissements de Jason et de Créuse. Elle, elle avait
tenue à continuer de suivre la sorcière de Colchide. Dérobée à son regard par
une puissance autrement plus forte que la sienne, elle marchait dans ses pas
sans que la jeune femme ne se doutât de rien. Elle la suivit du regard alors
qu’elle quittait la prison.
-
Oui, ma sœur, va… murmura-t-elle. L’heure est venue de
punir les crimes…
Dans ses
appartements, Créuse se tenait devant son miroir. Ses dames de compagnie lui
avaient présenté la robe de Médée quelques minutes auparavant. Le vêtement
était encore plus beau que dans ses souvenirs… Le tissu était d’une
douceur surprenante, les broderies étaient simplement d’une beauté sans
pareille ! Emerveillée, la princesse la contemplait encore et encore sur
son portant sans oser l’enfiler.
Le cœur
battant, elle se rappelait avec acuité de la veille quand elle avait prié les
lares. Elle quittait enfin le monde de l’enfance, la protection paternelle pour
s’unir à l’homme après lequel elle avait soupiré pendant tant d’années.
Elle le volait
à la sorcière…
Non.
Elle le
sauvait. Oui, ses actes étaient justes, elle n’était pas en tort. Avec un
rictus, elle se remémora le visage de cette femme quand elle lui avait annoncé
la nouvelle de son mariage. Ses traits ravagés, son teint blanchâtre, tel celui
d’un fantôme, ses yeux démesurés par la peur… A sa grande stupéfaction, elle
l’avait vu s’effondrer à ses pieds, tel un vulgaire pantin dont on aurait
soudainement tranché les fils. Elle avait ressenti à ce moment-là une sorte de
délectation qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant, excepté dans ces
soirées folles où elle prenait plaisir à battre ses esclaves.
-
Vêtissez-moi !
Sa tunique
tomba à ses pieds. Nue, elle tendit ses bras graciles pour laisser la robe
glisser contre sa peau. Elle eut un frisson de délice au contact soyeux de
l’étoffe. En quel matériau cette toilette pouvait-elle bien être tissée ?
Elle n’en connaissait pas de semblable. Quand son regard croisa les yeux de son
reflet, elle eut un mouvement de recul, sublimée par sa propre image.
-
C’est… magnifique, murmura-t-elle, le souffle coupé par
l’émotion.
Ses doigts
caressèrent la surface polie de son miroir. Elle avait l’impression de faire
face à une autre femme, plus belle encore, comme si Vénus était venue lui
accorder ses grâces. Ses cheveux lui semblaient vaporeux, auréolés d’une
lumière surnaturelle. Sa peau, blanche comme le lait…
-
Je suis Créuse, nouvelle reine de Corinthe,
s’enorgueillit-elle. Reine et épouse, enfin !
Un vent
violent se leva et souffla soudainement les chandelles des candélabres. Créuse
se figea, habitée par un malaise inexpliqué.
-
Rallumez les bougies ! rugit-elle. Faites-le
immédiatement !
Nul bruit ne
lui parvint en réponse. Inquiète, la princesse se recula jusqu’à toucher le
miroir. Sa surface lui paraissait glacée…
-
Que se passe-t-il ? murmura-t-elle. Obéissez-moi,
esclaves !
Un rire lui
répondit. Un frisson malsain la parcourut toute entière. Jamais elle n’avait
entendu son plus sinistre. Une mélodie alors s’éleva.
-
Créuse, petite princesse aux mains couvertes de sang de ceux
qu’elle bat…
La fiancée
poussa un hurlement de terreur. Elle se recroquevilla sur elle-même, les mains
plaquées sur ses oreilles, les pupilles dilatées. Mais la chanson, au lieu de
s’éteindre, s’amplifia et sembla remplir tout son être.
-
Créuse, petite princesse, qui s’amuse de la souffrance de ceux
qu’elle bat… Créuse, petite fille, toujours dans les jupes de son
papa… Créuse, sale fillette, aux caprices de reine qui séduit les hommes
qui ne lui appartiennent pas. Créuse, stupide gamine, tu n’es rien…
La princesse
porta alors ses mains à sa gorge. Elle ne parvenait plus à respirer ! Le
vêtement était en train de l’étrangler. Elle voulut appeler au secours, se
lever, courir loin de cette voix venimeuse, mais la robe l’enserrait dans un
étau de fer. Elle s’écroula à terre, la bave aux lèvres. Ses yeux suppliaient
une aide, une main charitable qui saurait la dégager de ce piège morbide.
-
J… Ja… son, parvint-elle seulement à articuler
péniblement.
Sa souffrance
fut brève. Quand elle eut rendu son dernier souffle, Tisiphone, la Vengeance,
sortit lentement de sa cachette. Les serpents dans ses cheveux sifflaient de
joie, mais le visage de la furie demeurait grave.
-
N’y voit rien de personnel, Créuse, fille de Créon. Mais il
fallait que tu périsses…
Elle eut un
bref ricanement.
-
Maintenant, laissons l’histoire reprendre son cours.
Elle claqua
des doigts et disparut instantanément. Les flammes des chandelles se ravivèrent
et les esclaves, encore désorientés par ce qu’il venait de se produire,
découvrirent le corps de leur maîtresse gisant à terre.
Créon était en
train de faire une offrande à Jupiter avec Jason. Ils avaient sacrifié un jeune
agneau en lui tranchant la gorge. Le sang de l’animal se répandait sur l’autel
à grand flot, teintant la pierre d’un rouge cramoisi. Le roi plissa le nez. Ses
rituels, bien qu’ils lui paraissent naturels, lui avaient toujours soulevé le
cœur. Alors qu’il s’écartait pour laisser plce à son gendre et lui permettre
d’adresser ses prières au roi des Dieux, il se sentit tiré brusquement en
arrière. Une main froide armée de longues griffes fut plaquée sur le bas de son
visage. Une odeur de charogne lui parvint et il gémit. Mais personne ne
semblait se rendre compte qu’on était en train de violenter le roi sous leurs
yeux.
-
Ô roi stupide, toi qui te prétends sage, mais qui n’est qu’un
homme cupide et stupide, chuchota Mégère dans le creux de son oreille. Toi
qu’on dit être juste et qui t’acharne sur le sort d’une simple femme… Toi
dont l’œil déforme la vérité, toi dont les paroles changent les faits. Deux
malheurs vont te frapper. Ton destin s’accomplit, tu ne peux y réchapper…
La main libéra sa bouche. Créon voulut
hurler, mais en était incapable. Les portes du temple furent alors violemment
écartées par ses esclaves personnels.
-
Votre Majesté ! C’est terrible, votre fille… !
Créon et Jason
débouchèrent en trombe dans l’appartement de Créuse où elle gisait encore à
terre. Aucun esclave n’avait encore osé toucher son cadavre. Jason, livide,
n’osa pas pénétrer la chambre de sa fiancée. Accablé, épouvanté, il la
contemplait sans pouvoir dire un mot ou esquisser un geste. Créon, lui, tomba
aux côtés de sa fille. Ses mains tremblantes caressèrent son visage.
-
Pourquoi ? gémit-il. Qu’avez-vous fait ?!
Il se tourna
vers Jason, hors de lui.
-
Toi ! Tu as amener le fléau dans ma demeure ! Tu es
un monstre, tout autant qu’elle !
-
Q… Quoi ? parvint seulement à balbutier le jeune homme,
encore sous le choc.
-
Vous avez tué Créuse ! Vous avez assassiné la chair de ma
chair !
Tué, tué,
tué, tué, tué, tué, tué ! Jason gémit,
la tête comprimée par les reproches. Il se frotta les tempes comme pour espérer
soulager la douleur qui l’habitait. Titubant, il se laissa aller contre le
portant de la porte.
C’est alors
que se produisit le deuxième malheur.
Un hurlement
sans fin sortit de la gorge de Créon. Il était extrêmement douloureux, plus
douloureux qu’une simple plaie de cœur. Sous les yeux terrifiés de ses
esclaves, le bras de Créon venait de prendre feu. Jason, tétanisé, n’osait pas
bouger un seul muscle. Les flammes gagnaient du terrain, dévoraient chair et
vêtements. Les esclaves balancèrent de l’eau, mais le feu se raviva à son
contact. Alors, ils essayèrent de l’éteindre à main nue, mais ils ne se
brûlèrent pas.
-
Démon ! hurla une esclave avant de tourner de l’œil.
Créon se
tordait de douleur sur le sol, hurlant et hurlant encore. Les essais de ses
esclaves pour le sauver ne faisaient qu’attiser la souffrance qui le dévorait.
Il courait à travers la chambre, entièrement baigné de flammes, souffrant, lui
semblait-il de mille maux ! Il voulut hurler le nom de Jason, le supplier
de le sauver, mais il ne sortit de ses lèvres qu’un râle d’agonie. Alors,
titubant, il se rendit sur le balcon. Tous virent avec horreur son corps
basculer dans le vide.
Créon était
mort avant de s’écraser sur le sol. Jason, le souffle court, les yeux
écarquillés, tentait de vain de mettre de l’ordre dans ses pensées confuses. Un
cri de terreur lui fit faire volte face. Derrière lui se tenait Nérine.
-
Par les Dieux, s’étranglait-elle, les joues baignées de
larmes. Faites que cela cesse.
-
Nérine !
-
Je ne le savais pas, seigneur Jason. Je ne le savais pas, je
le jure au nom du Styx ! Ô seigneur…
-
Je sais, Nérine, vous n’y êtes pour rien, tenta-t-il de
l’apaiser.
-
Pas eux, seigneur ! Ce sont les enfants !
Médée se
tenait au centre de la pièce, couchée dans le lit nuptial. Phérès et Merméros
étaient blottis contre elle et ses mains caressaient leurs cheveux.
-
Mes doux agneaux, chuchotait-elle doucement, avec un douceur
infinie. Vous m’aimez, n’est-ce pas ?
-
Bien sûr, mère ! s’exclama Merméros avec enthousiasme.
-
Mes tout petits… Comme je vous aime.
Un violent
coup à la porte fit sursauter Merméros. Le coup se renouvela, encore et encore.
-
Médée ! Laisse-les ! Médée !
Pour toute
réponse, la jeune femme éclata de rire. Un rire chaud et bienveillant. Mais ses
yeux reflétaient une haine sans faille.
-
Pourquoi donc ? gloussa-t-elle, telle une jeune fille. Ce
sont mes enfants, ils ne font que
m’aider dans ma tâche !
-
Médée ! Je t’en supplie ! Je ferai tout ce que tu
voudras ! Je t’en supplie, par les Dieux ! Ne leur fais pas de
mal !
De l’autre
côté de la porte barricadée, Jason continuait à frapper le battant. Il dégaina
son glaive qu’il enfonça dans le bois dans un cri de guerre. A ses côtés,
Nérine continuait de sangloter.
-
Madame ! cria-t-elle. S’il vous plaît, cessez cette
folie ! Libérez les petits !
-
Silence ! rugit Médée. Silence, silence, silence,
silence, silence !
Phérès avait
attiré son frère à lui. Depuis l’autre bout du lit, il observait sa mère,
recroquevillée sur elle-même, les joues inondées de larmes, les mains plaquées
sur les oreilles.
-
Je veux qu’elle paie ! hurla-t-elle d’une voix aigu. Il
doit connaître ma souffrance, il doit savoir ! Je le hais ! C’est le
seul moyen pour qu’il souffre ! Qu’il souffre autant que j’ai
souffert !
Dans la
chambre, la tête de son frère roulait, roulait et il riait, riait. Sa bouche
aux lèvres éclatées dévoilaient ses dents brisées et teintées de sang. Médée,
effrayée, s’affaissa un peu plus sur elle-même.
-
Je dois le faire, je dois le faire, je dois le faire, je dois
le faire, je dois le faire, je dois le faire…
Elle répétait
cela, telle une lente litanie. Ses yeux écarquillés se posèrent sur le poignard
qu’elle avait sorti. Et un sourire étira ses lèvres.
-
Mes doux enfants, mes chers petits… Venez me voir…
Merméros,
terrifié, sanglotait contre son frère. Phérès retenait difficilement ses
larmes. Ses dents se serrèrent.
-
Mère, je vous en supplie, reprenez vos esprits !
-
MEDEE ! hurlait toujours Jason de l’autre côté.
Et Médée qui
s’avançait toujours. A quatre pattes sur le matelas, son poignard en main, elle
déchirait les draps au passage. Phérès vit la lame pénétrer les coussins et un
frisson de terreur pure s’empara de lui.
Jason abattit
encore sa lame sur la porte…
Médée leva son
bras.
Phérès hurla.
Quand Jason
parvint à enfoncer enfin la porte, il se trouva face à face avec Médée. Sans
même hésiter une seule seconde, il lui enfonça sa lame dans le ventre. La jeune
femme se plia en deux sur le glaive et un flot carmin s’échappa de ses lèvres.
C’est alors qu’il remarqua tout le sang qui maculait sa robe blanche. Un hurlement
de rage et de désespoir sortit de sa gorge.
-
MEDEE !
Dans un
mouvement vif, il plongea encore plus profondément l’acier dans le corps de la
sorcière. Cette dernière, tremblante, parvint à saisir la poignée à deux mains.
Jason voulut retirer son glaive, mais il n’y parvint pas ! Médée gardait
fermement la garde entre ses doigts. Il entendit un gargouillis parvenir de la
jeune femme et se recula. Elle… riait ?
La nièce de
Circée se redressa péniblement, le glaive en travers du corps. Nérine hurla de
terreur à la vue de la large plaie qui courait en travers de sa gorge. Qui
pouvait donc avoir bien fait ça ? Une voix surgit soudainement de nulle
part.
-
Je suis Médée de Colchide, nièce de Circée, prêtresse
d’Hécate, descendante de Sol ! Vous n’êtes rien comparé à moi ! Je
suis une furie, et je viens appliquer ma sentence !
Elle fit
glisser le glaive hors de son ventre. Un flot épais de sang jaillit de la
plaie, mais Médée ne semblait pas se soucier de ses blessures. Elle avait les
yeux fixés sur un Jason tétanisé.
-
JASON !
Mais jamais sa
main armée ne frappa l’homme terrifié. Alors qu’elle s’apprêtait à plonger le
glaive dans la chair blanche, des serpents s’enroulèrent autour de ses membres
et la rejetèrent en arrière. Elle glissa à terre et l’arme lui échappa.
Au-dessus d’elle se penchèrent les trois furies.
-
Que faîtes-vous ?! Lâchez-moi, mes sœurs ! Je suis
une divinité ! Je suis une furie ! Je vais accomplir mon
devoir !
-
Ton devoir, jamais tu n’en as eu, répliqua Mégère.
Les trois
visages aux yeux crevés étaient mortellement sérieux. Ils fixaient Médée qui
commençait à s’étouffer dans son propre sang.
-
Créuse devait mourir, chuchota Tisiphone. Alors nous avons
accompli notre sentence. Elle était mauvaise, égoïste, cruelle et capricieuse.
Créuse devait mourir.
-
Créon devait mourir, murmura Mégère. Alors nous avons accompli
notre sentence. Il était un roi qui se pensait sage, mais il n’en était rien,
au contraire. Créon devait mourir.
Alecto se
redressa. Elle tenait à la main une torche dont la flamme bleue émettait une
chaleur glacée…
-
Médée doit mourir, déclara-t-elle avec solennité. Alors nous
allons accomplir notre sentence. Elle est cruelle, stupide, aveugle,
amoureuse… Médée doit mourir.
Epouvantée,
agonisante, Médée se mit à pleurer. Elle n’était pas une furie, elle n’était
pas une divinité. Elle n’était rien qu’une mortelle à la douleur démesuré et
qui s’était fait emportée par un flot de violence.
Dans un flash,
elle revit sa rencontre avec Jason. Sa chevelure bouclée qui brillait sous le
soleil de Colchide, ses vêtements étrangers, sa barbe négligée. Il respirait la
virilité, la bravoure et la sécurité. Leurs regards s’étaient croisés. Elle
avait senti son cœur battre fort, fort, plus fort qu’à n’importe quel autre
moment de sa vie.
-
Ja… son, parvint-elle à articuler dans un ultime effort.
Puis Alecto
laissa tomber la torche sur elle. Dans un torrent de flammes bleues, les furies
et Médée disparurent, ne laissant de leur passage qu’une immense flaque de
sang. Jason, hébété, fixait l’endroit où se tenait un instant plus tôt le corps
de la sorcière, incapable de croire ce qu’il venait de se passer. Ce fut le cri
de Nérine qui le tira hors de ses pensées.
-
Seigneur Jason !
Trois formes,
dissimulées sous le lit, se tortillèrent pour sortir de leur cachette.
-
Père !
Merméros fonça
dans les bras de Jason. Ce dernier, les yeux écarquillés, n’arrivait pas à
réaliser la situation. Il voulut parler, mais ne trouva aucun mot pour exprimer
son soulagement et son bonheur. Il accueillit son fils dans ses bras et le
serra fort, fort, fort contre lui. Nérine s’accroupit près d’eux, pleurant de
joie et de soulagement. Elle caressait les cheveux du petit Merméros, répétant
inlassablement son nom avec cette tendresse qu’ont les vieilles femmes.
Au bout de
longues minutes, Jason parvint à se détacher de son fils. Il le contempla de
longues minutes et embrassa ses joues en pleurant et en riant. Puis il les vit.
Phérès et Pollux se tenaient en retrait. Sans attendre, il alla soulever son
fils aîné qu’il écrasa dans une étreinte possessive. Phérès éclata alors en
sanglot et s’accrocha désespérément à son père.
-
Comment est-ce possible ? murmurait ce dernier.
Comment… Comment ?
Il se tourna
vers Pollux sans oser y croire.
-
Est-ce toi qui les a sauvés ? Pollux, mon ami ?
Pollux ne
répondit pas tout de suite. De sa main, il comprimait la plaie de son épaule
gauche. Lorsqu’il se laissa tomber sur le matelas éventré, il ne put retenir
une grimace de douleur.
-
Dis ça à ton satané gamin, grommela-t-il pour la forme, mais un
grand sourire aux lèvres. Ton Phérès possède des pouvoirs époustouflants.
-
Phérès ? répéta Jason, surpris.
L’enfant, qui
avait cessé de pleurer, hocha timidement la tête.
-
J’ai rendu Pollux invisible aux yeux de mère, parvint-il à
s’expliquer, encore tremblant de peur.
-
Quand elle a voulu les poignarder, reprit Pollux, voyant bien
que l’enfant était incapable de continuer, je me suis interposé. Elle m’a
blessé, mais j’ai réussi à lui trancher la gorge. Puis tu es arrivé… et je
n’ai pas compris la suite !
-
C’étaient les furies !
Tous se
tournèrent vers Nérine qui berçait contre son sein le petit Merméros endormi,
vaincu par la violence de toutes ces émotions.
-
C’étaient les furies, répéta la vieille servante dans un
frisson. Elles ont rendu la justice… Elles ont tué Médée.
Phérès
frissonna une nouvelle fois. Puis se yeux se posèrent sur son jeune frère
endormi et il ressentit à son tour l’envie de sommeiller. Terrassé par la
fatigue, il s’écroula dans les bras de son père. Celui-ci le serra encore un long
moment contre lui en lui murmurant des paroles apaisantes. Dans un sourire
tendre, il le berça, lui baisa la tempe.
-
Pollux…
-
Oui ? sourit ce dernier.
-
Je te jure sur le Styx de ne plus jamais me marier par
profit ! Je vais être un père, dorénavant, un véritable père qui saura
choyer ses enfants et qui, un jour, peut-être, prendra une femme qu’il aimera
et qui aimera mes enfants.
-
Voilà une sage décision, souffla son ami en caressant les
boucles de Phérès dans un sourire attendri.
Il existe des
douleurs qui font naître des tragédies. Il existe des histoires qui iront
traverser les âges car elles sont porteuses d’une souffrance incommensurable.
Il existe des légendes brûlantes de vengeance et de haine.
Et il existe
l’amour d’un frère, un petit être sans défense, dénudé de toute force.
Pourtant, ce fut cet amour qui parvint à vaincre la tragédie et qui donna la
puissance nécessaire aux autres personnages de s’arracher de leur rôle inscrit
dans le sang.
Quand la
tragédie est brisée, il reste la vie.
Et voilà pour la fin, j'espère qu'elle vous a plu ! Je dois vous avouer, qu'à force, cette histoire commençait à me peser. c'est pourquoi j'ai décidé de lui donner un ton plus léger sur la fin. Médée est une femme qui m'a captivée, mais aussi dégoûtée et qui m'a inspirée un grand sentiment de pitié. J'aurai pu continuer l'histoire en la faisant sortir victorieuse, mais j'ai choisi de mettre fin à toute sa souffrance. En espérant que vous ayez apprécié !
Et maintenant, comme promis, voici une chanson d'un groupe excellent nommé RED. Et celle-là est ma préférée d'eux.
Voilà, encore merci pour tout le soutien que vous m'apportez ! J'espère que vous continuerez à me suivre car l'année scolaire ne fait que commencer et que j'ai une foule monstrueuse de chose sà vous faire partager ! A très vite !
Marine Lafontaine
3 commentaires:
belle fin !
Félicitations ! Et bravo pour la fin, juste et adéquate !
Mais pk elle est morte Médée :'(((((( !!!???
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