samedi 8 novembre 2014

PETITE NOUVELLE A LIRE

   Bien le bonsoir, les amis ! 
   Pour compenser mon manque flagrant d'activité ainsi que le non avancement de Rouge comme le rubis (je n'arrive toujours pas à m'y remettre pour le moment, désolée, mais j'y travaille, j'y travaille !), je vous ai composé un petit One Shot qui me trottait dans la tête depuis somme toute deux ans.
   Petit résumé de l'intrigue avant de vous lancer : Jimmy Walkers est le dirigeant d'une grande firme de produits de cosmétique. Suite à une découverte innovatrice, il s'envole vers l'Amérique pour que ses actionnaires financent son nouveau produit. Mais, à la sortie de l'aéroport, il se fait attaquer par deux hommes armés. Et il semblerait que son unique chance de survie réside dans un drôle de chauffeur de taxi.
   J'espère que vous l'apprécierez ! Bonne lecture !

Ce vieux taco puait la cigarette froide. A la troisième violente embardée, Jimmy Walkers se demanda vaguement, à travers sa panique, si ce tas de ferraille branli-branlo allait réellement tenir le choc.
Puis il bénit l’inventeur des ceintures de sécurité.
Au volant, le conducteur n’émettait pas un mot et ne détachait pas les yeux de la route (si on pouvait appeler ce ruban bétonné défoncé une route). Il ne jetait même pas de temps à autre un regard dans son rétroviseur pour vérifier si leurs poursuivants ne les rattrapaient pas.
Même s’il était déjà beaucoup trop proche au goût de Jimmy…
Il poussa un hurlement qui fit voler en éclat toute sa dignité au premier coup de feu.
-                Tout va bien, m’sieur ? lui lança le conducteur d’un air moqueur.
-                Comment voulez-vous que ça aille ?! couina Jimmy en se ratatinant sur son siège, serrant son précieux attaché-case contre sa maigre poitrine.
Pablo Vicagno eut un rire semblable à un hennissement de cheval. D’un violent coup de volant, il éjecta son taxi du sentier goudronné pour filer à vive allure à travers l’étendue poussiéreuse qui s’offrait à eux. Les voitures qui étaient à leurs trousses ne tardèrent pas à suivre le même parcours. Pablo grogna.
-                Z’ont l’air de vous en vouloir grave, m’sieur, émit-il.
-                Sans blague ?! Mais roulez, bon Dieu ! S’ils m’attrapent, ils vont me descendre !
-                Y’a pas d’prob’ !
Poussant un hurlement digne des plus grands cow-boys de l’Ouest, le chauffeur de taxi tira soudainement à lui son frein à main. Le pauvre taco émit un bruit sinistre alors qu’il se trouvait violemment arrêté dans sa course folle. Jimmy Walkers se signa à toute vitesse. Pablo, en proie à une surprenante crise de rire, tourna à toute vitesse son volant. Leurs poursuivants, surpris par ce brusque revirement, durent s’écarter de leur route pour ne pas violemment les percuter.
Profitant de son effet de surprise, Pablo lança son véhicule vers la route qu’ils avaient quittée un peu plus tôt. Le moteur peinait à suivre l’allure et émettait de bruits des plus sinistres qui n’étaient pas pour rassurer le pauvre Jimmy. Ce dernier se mit à gémir comme un enfant quand les balles se mirent à pleuvoir. Très zen, Pablo haussa un sourcil. Il ouvrit la fenêtre de sa portière et, tout en finesse, passa un bras dehors pour adresser un magnifique doigt d’honneur aux meurtriers.  
-                Vous êtes complètement dingue ! hurla Jimmy, hystérique.
-                Vous pourrez me faire des compliments quand je nous aurai sortis de ce merdier, m’sieur !
-                Ça n’en était pas un, espèce de malade mental !
-                Dis donc, je suis en train de sauver votre petit cul, alors un minimum de respect. Ah, et à ce propos, pour mes honoraires… 
-                Concentrez-vous sur cette putain de route !!
-                Ok, Ok… Mais on en re-discutera !
Comment ais-je pu en arriver là ? Comment cela a-t-il pu se produire ?
Bah, en fait, c’était assez simple. Il fallait juste remonter deux jours auparavant. 
 

-                Etes-vous absolument certain de ce que vous avancez ?
-                Oui, monsieur. Les résultats ne laissent pas de place au doute.
-                Extraordinaire…
Jimmy Walkers était le grand patron de la firme multinationale W, une entreprise spécialisée dans la fabrication de produits pharmaceutiques et esthétiques, un empire fondé par son arrière grand-père et qui, depuis, était passé de main en main dans sa famille. Malheureusement, cet empire, aussi somptueux soit-il, n’était pas à l’abri des farces de la fortune. Les dettes contractées par feu son père étaient tombées sur les épaules de Jimmy dès que sa majorité avait été atteinte. Mais quelle idée, quand on était patron d’une entreprise qui comptait des centaines de salariés, d’investir son argent dans des cabarets sans la moindre valeur ?!
Mais la tendance pourrait très bien s’inverser avec ce qu’il tenait entre ses mains. Il examina une nouvelle fois avec soin les feuillets qu’il venait de lire. S’ils parvenaient à concrétiser le produit mis au point par ses scientifiques, il allait irrémédiablement bouleverser le monde !
… et au passage effacer jusqu’à la moindre de ses dettes.
Mais il allait lui falloir des investisseurs. La réalisation de cette trouvaille allait être très coûteuse.
-                Quand se tiendra ma prochaine réunion avec nos actionnaires ? lança-t-il à l’adresse de sa secrétaire.
-                Dans trois jours, monsieur, répondit celle-ci après avoir rapidement consulté son agenda.
-                C’est parfait… Monsieur Hepbarn, je veux que vous réunissiez tous vos plans. Vous les déposerez demain matin sur mon bureau. Je les prendrai avec moi pour la réunion.
-                Certainement, monsieur Walkers ! s’enthousiasma le scientifique, ravi que sa trouvaille ait éveillé l’intérêt de son employeur. 


Tout aurait dû se dérouler sans accroc. A l’aéroport, il aurait pris l’avion, il se serait détendu avec une flûte de champagne, aurait lu un ou deux chapitres du roman qu’il avait commencé, aurait pris un taxi, serait allé dormir dans un hôtel pour, le lendemain, être fin prêt pour sa réunion.
Alors… pourquoi… ?
Pourquoi des foutues armoires à glace l’avaient attaqué à la sortie de son avion ?!
Des fuites, voilà ce qu’il y a eu ! Une putain de fuite ! On m’a vendu, on en a après mon produit !
Alors, il avait fait la première chose qui lui était venue à l’esprit. Il avait sauté dans un taxi en lui hurlant de démarrer. Le chauffeur, bien loin de paniquer, avait jeté son mégot à terre et avait quitté en trombe la longue file de taxis qui stationnait devant l’aéroport.
Avait-il fait le bon choix ? Bah, aux dernières nouvelles, il était encore en vie, donc, oui, il pouvait s’estimer chanceux. 
-                On dirait qu’on les a semés.
Un silence surnaturel semblait planer sur la route. Cela faisait un moment que Pablo n’avait pas vu de voitures dans son rétroviseur. Il jeta un coup d’œil à son client dont le visage oscillait entre le blanc et le verre.
-                J’viens de changer les sièges, indiqua-t-il en fronçant les sourcils. Si vous voulez vomir, je vous prierai de le faire dehors.
A peine eut-il achevé sa phrase que Jimmy sortait sa tête du véhicule fou pour rendre tripes et boyaux. Une grimace de dégoût vint tordre la bouche du chauffeur de taxi. Il ne s’attendait pas à ce qu’il le fasse réellement… 
-                Ça va aller, m’sieur ? le questionna-t-il.
-                Heu, oui, oui, balbutia le pauvre PDG, complètement sonné. Ça va… passer… 
-                Qu’est-ce qu’vous leur avez fait, à ces gars ? lui demanda Pablo avec curiosité. Parce que j’suis bien gentil d’sauver vot’peau, mais bon, si vous êtes un meurtrier ou un violeur, bah… 
-                Ni l’un, ni l’autre ! s’offusqua Jimmy. Je suis le dirigeant des industries W ! Et eux, ils veulent me voler le produit révolutionnaire que je compte bien lancer sur le marché tantôt !
-                Oh… Donc z’êtes un gentil ?
-                Evidemment ! Une victime, même !
-                Ah, tant mieux. J’peux pas les blairer… les meurtriers, j’veux dire. Les violeurs non plus, d’ailleurs.
Ce type est franchement bizarre. Jimmy prit la liberté de le classer dans la catégorie des PC, à savoir les Petits Cerveaux. Il se retourna sur son siège pour scruter la route avec inquiétude. Il ne s’attendait pas à ce que ce voyage se révèle aussi dangereux !
-                Mais dans quoi je me suis embarqué ? gémit-il en se recroquevillant sur lui-même, l’air profondément désespéré.
Pablo, tout en continuant de conduire, se pencha sur la boîte à gant pour en extraire une pipe. Il fouilla encore un moment à la recherche de son tabac en grommelant des injures. Jimmy se raidit en voyant la voiture tirer vers la gauche pour peu à peu dévier de sa trajectoire initiale. Mais le conducteur rétablit violemment leur position en se redressant victorieusement, son paquet convoité à la main.
-                Ah, je savais bien qu’il n’était pas loin !
Il bourra habilement sa pipe d’un geste qui tenait de l’habitude. Bientôt, un nuage de fumée nauséabonde envahit l’habitacle. Jimmy fronça le nez d’un air dégoûté et agita sa main devant son visage pour espérer chasser l’odeur.
-                Au fait, m’sieur, où est-ce que je dois vous déposer ?
-                Pardon ? balbutia le PDG.
-                Bah, j’suis chauffeur de taxi. Je vous amène d’un point A à un point B, vous pigez ? Donc c’est quoi votre point B, vous ?
-                Vous pensez vraiment que c’est le moment de penser à ça ?! On se faisait canarder, il y a de cela même pas cinq minutes !
Pablo écrasa brusquement la pédale de frein. Jimmy sentit son souffle se couper quand la ceinture de sécurité rentra dans sa cage thoracique.
-                Mais qu’est-ce que vous faîtes ?! Vous êtes malade !
Le chauffeur se tourna vers lui, l’air agacé.
-                Ecoutez, j’suis d’accord que le client est roi et tout ça, mais ce n’est pas une raison pour me faire couillonner. J’viens de sauver votre cul, oui ou non ?
-                O… Oui…
-                Alors, votre point B ?
-                A l’hôtel False, au cœur de New-York.
Un petit sifflement admiratif échappa au chauffeur de taxi.
-                Ah, bah dis donc, c’est drôlement chic là-bas. Je vois que monsieur est de la haute !
-                Si vous le dîtes… 
-                Okay, on est reparti !
Jimmy écarquilla les yeux.
-                Attendez, ça veut dire que vous acceptez réellement de me conduire jusque là-bas ?
-                Je suis un chauffeur de taxi, m’sieur ! répliqua Pablo après avoir tiré sur sa pipe. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse d’autre ? Je vous amène du point A au point B, c’est mon job.
-                On vous a tiré dessus !
-                Vous, vous n’êtes pas américain, hein ? Faut pas avoir peur comme ça, mon p’tit monsieur. On est tous armés ici !
Pour appuyer ses dires, Pablo plongea la main dans sa boîte à gant qui semblait plus s’apparenter à la caverne d’Ali Baba qu’à un simple rangement.
-                Tada !
Jimmy n’y connaissait véritablement rien en arme à feu, c’est pourquoi il ne saurait dire qu’elle était la marque de celle-ci, la capacité de son chargeur ou quoique ce soit d’autre.
Mais bon, il avait tout de même vu suffisamment de films pour reconnaître un revolver. Par contre, il ignorait comment il devrait réagir exactement : hurler, fuir ou s’évanouir ?  
-                C’est… C’est rassurant, finit-il par bafouiller, s’évertuant à faire passer inaperçu le tremblement qui agitait sa voix.
Pablo sourit, sa pipe toujours coincée entre ses dents. Il jeta l’arme sur le siège du mort, ce qui fit sursauter le pauvre PDG qui s’attendait à tout moment à voir un coup de feu partir.
-                Bon, avec le détour qu’on a pris là, on n’arrivera pas à l’hôtel avant demain midi. On va passer la nuit sur la route, ensemble. Ça va être chouette ! Ça fait longtemps que je n’ai pas bivouaqué !
Il enclencha le bouton de l’auto radio qui déversa alors un flot de hard métal. Satisfait, le conducteur passa la première et les voilà repartis.
Soulagé à en crever, Jimmy se laissa aller au fond du siège, serrant dans ses bras sa précieuse mallette. Il était épuisé. Trop de chose s’étaient passées ces derniers jours. Bien trop pour un homme à la vie réglée comme du papier à musique. Un homme comme lui… Ses yeux se risquèrent sur la nuque de Pablo. Il voyait dépasser du col de son tee-shirt une cicatrice blanchâtre. 
-                Comment vous vous êtes fait ça ?
La question était sortie de sa bouche sans son autorisation. Le conducteur scruta le visage de son passager grâce au rétroviseur.
-                C’est pas une histoire bien joyeuse comme il faut, m’sieur. Cette cicatrice date d’mon enfance, savez ?
-                Ah… bon… Mais si vous ne voulez pas en parler, je comprendrais ! Ma question était indiscrète après tout, j’en suis désolé !
Le hennissement si caractéristique de Pablo l’interrompit. Jimmy devina sans peine que son curieux sauveur souriait de toutes ses dents.
-                Je vous l’ai dit plus tôt, y’a pas d’prob’. En plus, discuter nous fera passer le temps ! Mais en échange, faudra jouer l’jeu et répondre à mes questions, okay ? Sinon, ce n’est pas drôle !
-                Si vous voulez… 
-                COOOOOL !
Dans le lointain, les hautes falaises qui bouchaient l’horizon ressemblaient à des sortes de doigts. Des doigts dont les ongles auraient crevé la poche du soleil. Tel un jaune d’œuf encore mou, le soleil liquide se répand dans le ciel, teintant l’univers de touches jaunâtres et rougeâtres. Jimmy avait envie d’un œuf au plat…
-                Alors ? lança-t-il d’une voix endormie. Vous l’avez eu comment… votre cicatrice… ?
Il sentait la torpeur rôder, prêt à s’abattre sur lui. Mais il ne voulait pas dormir. Il avait l’impression que s’il se laissait aller dans les bras rassurants de Morphée, plus jamais il ne se réveillerait. Ses poursuivants prolongeraient à jamais son sommeil d’une balle dans la poitrine. Sûrement pile à l’emplacement du cœur… 
Ne me laissez pas dormir… J’ai peur…  
-                Cette cicatrice, je l’ai eue lors d’un accident, m’sieur. C’est quand mes parents et moi, on allait chez ma grand-mère. Une vieille bonne femme qui savait faire les cornichons comme personne. Je devrais vous faire goûter un jour. Plus jamais vous ne pourrez en manger d’autres. Oh, mieux, faudrait que je vous passe la recette. Parce que z’êtes pas du pays, hein ? Bref, j’parlais de quoi, moi ? Ah oui, ma cicatrice ! Alors, en chemin, y’avait ce chauffard là…  


Le claquement du coffre le fit brutalement sursauter. Il se redressa comme un ressort sur son siège, l’air vaguement perdu. Son corps se rappela violemment à lui par des éclairs de douleurs fulgurantes qui chatouillaient ses muscles. 
-                Je me suis endormi… ? murmura-t-il en passant le dos de sa main sur ses lèvres humides. Merde, j’espère qu’il ne m’a pas vu baver…
C’est alors qu’il remarqua qu’une encre noire s’était répandue dans le ciel, plongeant le monde entier dans un monochrome sombre. Le moteur de la voiture avait été coupé et nulle trace de Pablo. Inquiet, Jimmy se risqua un coup d’œil hors du taxi. A quelques pas de la voiture, garée loin de la route, le chauffeur s’était installé sur une chaise dépliable, un thermos de café à la main. Il redressa la tête quand son client ouvrit la portière et se glissa dehors à pas prudents, sa mallette serrée contre sa maigre poitrine. 
-                Bien dormi, m’sieur ? s’enquit-t-il.
Il avait un large sourire qui faisait plisser ses yeux. Vaguement rassuré par la présence de son chauffeur, Jimmy s’assit auprès de lui puis hocha la tête pour lui donner sa réponse. Pablo lui tendit son thermos. 
-                T’nez, ça va vous réchauffer.
-                Merci…
Le PDG en but en gorgée et faillit tout recracher. Dans une grimace écœurée, il se força à avaler.
-                Vous avez foutu quoi, là-dedans ? s’exclama-t-il.
-                Du café et du whisky, pourquoi, ça n’vous plaît pas ? lui répondit Pablo avec une honnêteté teintée d’une innocente non feinte.
Jimmy poussa un soupir pour toute réponse, désabusé par une telle réponse. Il se perdit dans la contemplation passionnante des grains de poussières qui tapissaient le sol rocailleux. 
-                Pourquoi vous risquez votre vie pour moi… ? souffla-t-il soudainement.
Le chauffeur, qui s’était enfoncé dans le fond de son siège, yeux clos, souleva une paupière.
-                J’suis chauffeur. C’est mon job de vous emmener du point A au point B.
-                Mais… !
-                Vous vous posez beaucoup trop de questions, m’sieur. Vous ne pourriez pas juste profiter du fait que je sois là ? Juste profiter de mon aide.
Jimmy nia vigoureusement du chef.
-                Vous allez me réclamer de l’argent, une compensation, n’est-ce pas ? Je ne suis pas sûr de pouvoir la payer, vous savez ! Ce n’est… !
Jimmy fut violemment interrompu par une main qui vint se poser sur sa bouche pour le bâillonner. Il allait protester, mais le regard acéré de son chauffeur lui intima de se taire. Son corps tout entier se tendit quand un bruit de moteur lui parvint. Non… Pas eux ! Il sentit son corps se mettre à trembler alors qu’une peur animale refermait ses mâchoires aiguisées sur son esprit d’enfant esseulé. Pablo le força à se lever et l’emmena de force vers la voiture. Il le jeta sur la banquette arrière avec sa mallette. Jimmy se redressa quand il le vit fouiller dans la boîte à gant. 
-                Qu’est-ce que vous faîtes… ? balbutia-t-il.
Un éclat métallique qui luit entre des doigts recourbés et le bruit d’une portière qu’on claque composèrent son unique réponse. Jimmy gémit, les yeux roulant comme des billes folles dans ses orbites. Un silence pesant semblait s’amusait à le torturer. C’était comme si cet être diabolique et grotesque maintenait la touche “pause” avec un plaisir somme toute évident.
Au premier coup de feu, Jimmy se jeta à terre. Il rampa sur le sol de la voiture, pleurant et tremblant. Les coups se répétèrent, se poursuivirent. Parfois des cris qui s’apparentaient plus à des beuglements. Comme si les hommes, dans leur lutte, s’étaient changés en animaux fauves. Comme si la raison n’avait plus aucune prise ici bas.
Puis de nouveau, le silence vint danser, déposant sur le taxi un globe oppressant. Il perçut alors à travers le coton qui embrumait sa cervelle, un pas. Puis un deuxième. Hésitant, comme… vacillant.
Les battements de son cœur terrorisé faisait battre le sang dans ses tempes au point que, bientôt, il ne put percevoir aucun son.
La portière s’ouvrit. Jimmy écarquilla les yeux.   
-                Pa… blo… ? s’étrangla-t-il.
Le chauffeur de taxi se dressait à quelques pas de lui, la respiration erratique. Et la chemise luisante de sang frais. Il esquissa un pénible sourire.
-                Hé, m’sieur, désolé… J’crois pas que je vais pouvoir vous emmener au point B… 
Jimmy avait du mal à respirer. Il ne parvenait à détacher son regard de cette empreinte cramoisie qui s’étendait au niveau de l’abdomen. Le sang gorgeait la chemise… Pablo ricana à sa face livide. Dans un effort pénible, il s’assit sur la banquette et tapota la place à côté de lui pour inviter son client à en faire de même. Tremblant, Jimmy obtempéra. Il sembla brusquement se réveiller quand le chauffeur toussa.
-                L’hé… L’hémorragie ! balbutia-t-il. Il faut arrêter l’hémorragie !
-                Who, who, calme, m’sieur. C’est un peu tard pour moi, là… Perdez pas votre temps.
-                Vous allez mourir ! lui hurla Jimmy, perdant totalement son sang froid.
-                Oui, c’est vrai.
La voix tranquille et maîtrisée du mourrant lui fit l’effet d’une douche froide. Il le dévisagea avec stupéfaction.
-                Non… s’étrangla-t-il. Ça ne peut pas être vrai… Ce n’est rien d’autre qu’un putain de cauchemar… n’est-ce pas ?
-                Non, désolé, m’sieur, je ne crois pas… 
Pablo se redressa en grimaçant. Il déposa sa main là où le sang coulait le plus et pressa la chair comme pour contenir le peu de vie qui demeurait encore dans sa carcasse.
-                Dîtes, m’sieur… J’me demandais… Votre mallette… Elle est codée, c’est ça ? ‘Doit y avoir un truc vachement important d’dans, hein ?
-                Ah, ça… -un rire nerveux monta dans la gorge de Jimmy-  Non, ce n’est rien. Cette vieille mallette est cassée depuis longtemps, elle ne ferme plus… 
-                Je vois… 
Jimmy caressait la mallette d’un air absent. Il redressa la tête pour ajouter quelque chose, mais sa phrase mourut dans sa gorge. Il prit un air halluciné alors qu’il contemplait sans comprendre le canon du revolver qui était collé contre son front.
-                Ce n’est pas contre vous, monsieur Walkers, assura Pablo, le regard froid. C’est le business.
La détonation résonna dans l’habitacle alors que les fenêtres étaient aspergées de rouge. 


Pablo jeta à terre la poche de faux sang qu’il avait dissimulé sous sa chemise. Il bourra tranquillement sa pipe, la mallette à ses pieds. Deux hommes en imperméables noirs s’avancèrent vers lui.
-                Walkers ? questionna l’un d’entre eux.
-                J’ai effectué mon boulot.
Il fit glisser la précieuse mallette vers eux d’un coup de pied. Aussitôt, un homme s’accroupit pour l’ouvrir. Pablo, dégoûté par cette attitude empreinte d’une avidité malsaine, détourna le regard. Inéluctablement attiré par la voiture qui flambait à quelques mètres, il se mit à la fixer d’un air absent.
-                Vicagno, tu te fous de nous ?!
Pablo haussa un sourcil. Puis son expression méprisante se teinta d’incompréhension quand un de ses employeurs et complices jeta à ses pieds la mallette. Vide.
Entièrement et irrémédiablement vide.
-                Où est le produit ?! rugit-il. Il était sur le cadavre, c’est ça ?!
-                Non, je l’ai fouillé avant de foutre le feu ! Il n’avait rien ! protesta Pablo.
-                P’tain, on a été baisé, grogna le second homme. Walkers nous a tendu un piège et nous, on a sauté à pieds joints dedans !
Pablo ne les écoutait plus. Il avait reporté son attention sur la voiture, horrifié. Mais alors…
Qui est l’homme que j’ai descendu ? 


Jimmy Walkers consultait la carte des vins d’un air profondément réfléchi. Hum… Quel vin ferait donc meilleure impression à ses actionnaires ? Il s’agissait de montrer son bon goût sans avoir l’impression de l’étaler. Sa secrétaire s’approcha timidement à pas furtifs.
-                Monsieur Walkers, nous avons perdu le contact avec votre doublure… 
Un sourire triomphant vint orner les lèvres du PDG.
-                Comme je le pensais, ces charognards ont bel et bien tenté d’attenter à ma vie… Vous pouvez vous retirer, Adeline. Ah, et n’oubliez pas de verser la compensation à la famille de la victime. Il ne faudrait pas qu’elle nous ouvre un procès.
-                Bien, monsieur, murmura la jeune femme en tâchant de dissimuler son dégoût.
Elle se retira sous le regard condescendant de son patron. Hé bien, qu’avait-elle ? C’était ça, le business !
-                Excusez-moi, monsieur, vous n’auriez pas du feu ?
Walkers poussa un profond soupir, fâché qu’on ose l’interrompre alors qu’il souhaitait simplement savourer le fait d’avoir su déjouer le plan de ses ennemis. Il tendit négligemment son briquet à l’importun, ne lui accordant même pas un regard. Le fumeur, satisfait, tira longuement sur sa pipe.
-                Merci, m’sieur. C’est un beau briquet que vous z’avez là.
Walkers lui jeta un regard courroucé en guise de réponse, mais il n’aperçut pas le visage du gêneur, seulement la cicatrice qui courait le long de sa nuque et disparaissait dans le col de sa chemise. 


-           Votre travail n’est toujours pas exécuté, Vicagno. Walkers vit.
-           Je sais, monsieur. Mais ne vous en faites pas pour ça. Je n’en ai plus pour longtemps. 
Pablo achevait de ligoter le sommelier assommé, son portable coincé entre son épaule et son oreille. Il enfila tranquillement la veste de sa victime, un sourire de loup sur les lèvres.
-                Réglez ça le plus vite possible ! beugla son interlocuteur.
Il lui raccrocha au nez. Désinvolte, Pablo tira une nouvelle bouffée sur sa pipe. Puis souffla. Calmement. Repensa au regard qu’avait eu le faux Jimmy quand il l’avait abattu, songea à celui qu’aurait Walkers quand il sentirait le poison faire son office, puis, lentement, comme s’il voulait en goûtait chaque syllabe, il prononça ce mot qui, depuis tant d’années, épousait sa vie.
-                Business.     

   Voilà, c'est fini ! Qu'en avez-vous pensé ! J'aime vraiment Pablo, peut-être le réutiliserai-je un jour dans une autre histoire. Ouais, je vois bien le truc… Bref ! 
   J'espère que vous avez aimé, n'hésitez pas à partager cette histoire et/ou à la commenter. En attendant, je vous souhaite une bonne nuit, je m'en vais me regarder le dernier épisode de la nouvelle saison de Psycho-pass !  

Marine Lafontaine